Tribunal de Meaux : « Venez vite, j’ai peur qu’il la tue, et il y a quatre enfants ! »

Publié le 07/11/2024

« L’homme est en transe totale », hurle la voisine d’Anita* lors de son 3e appel à Police Secours. Un marteau à la main, Grishka est effectivement enragé contre son épouse, qu’il vient de mordre et frapper devant quatre enfants en bas âge. Cet « élu de Dieu », ainsi qu’il se définit, ne supporte pas que sa famille lui résiste. Les juges de Meaux (Seine-et-Marne) l’ont condamné à de la prison ferme.

Tribunal de Meaux : « Venez vite, j’ai peur qu’il la tue, et il y a quatre enfants ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 

Grishka, 43 ans, a la carrure d’un boxeur, qu’il fut durant des années. Dans le box des détenus, au tribunal de Meaux, il va d’ailleurs mimer, les poings serrés, « les enchaînements » d’un habitué du ring pour démontrer que s’il les avait exécutés contre Anita*, elle ne serait peut-être plus de ce monde ; la présidente Lemoine fera « acter » cette scène, par la greffière, au procès-verbal d’audience. Directs de l’avant-bras ou pas, sa femme est amochée : « Blessures au thorax, au sein gauche, ecchymoses, hématomes, traces de strangulation, morsure humaine assez profonde », décrit le légiste, qui lui a délivré une incapacité totale de travail (ITT) de dix jours.

Le 28 octobre à 5 heures du matin, Grishka s’est déchaîné sur elle au motif que, la veille, la jeune mère avait utilisé sa carte bancaire pour les courses alimentaires et ne l’avait pas rangée à sa place, c’est-à-dire dans ses affaires à lui. Tout lui appartient, y compris le téléphone et l’ordinateur d’Anita – « c’est moi qui paie », explique-t-il.

Il est prévenu des délits perpétrés cette nuit-là, et de violences habituelles à son encontre, ainsi que sur ses quatre enfants mineurs âgés de 4, 7, 9 ans, depuis l’année 2018.

« La poitrine nue, couverte de bleus »

 Torse moulé dans un sweat gris perle, nerveux et verbeux, Grishka estime que les faits du 28 relèvent de « chamailleries » entre époux qui traversent « une passe difficile ». Une dispute banale, somme toute, qui a débuté à 5 heures, lorsqu’il s’est aperçu que sa femme n’avait pas remis sa carte bleue dans son portefeuille. La présidente rapporte les détails : il la jette au sol, la tire par les cheveux, s’empare d’une altère de dix kilos qu’il lui lance, la frappe, arrache son tee-shirt, essaie de l’étrangler et brise son ordinateur à coups de marteau. Alors qu’elle parvient à s’échapper de l’appartement en criant, il la poursuit, l’outil en main.

Une voisine intervient, met les petits en sécurité. Une autre compose le 17, joint la police de Villeparisis. Premier appel à 5h11 : « Une femme hurle. » À 5h13 : « Vite, j’ai peur qu’il la tue, il y a quatre enfants ! » Un troisième : « L’homme est en transe totale. »

À 5h30, Grishka est neutralisé dans l’immeuble de Claye-Souilly. Anita est emmenée à l’hôpital. Les femmes qui l’ont secourue évoquent « sa poitrine nue, couverte de bleus », « l’ordinateur brisé balancé dans les escaliers ».

La présidente : « Tout ça pour une histoire de carte bancaire ?…

– C’était très violent, j’en conviens. Mais j’avais besoin de ma carte.

– À 5 heures ? Il y avait urgence ?

– Non, mais c’est à moi.

– Et son ordinateur ?

– Je l’ai pris en otage pour avoir la carte en échange. »

Le prévenu se lance dans un soliloque, en position de combat dans le box. Ses poings fendent l’air. « Je ne voulais pas la tuer », conclut-il.

  « Si on ne récite pas par cœur les versets de la Bible, il nous tape »

« En vous regardant reconstituer la scène, la revivre, je me dis que ça a dû être difficile pour vous de redescendre [en pression]. Et la présence de vos enfants ne vous a pas arrêté ?

– Non, j’étais dans le feu de l’action. J’ai pas pu. Et elle était face à moi, avec un fer à repasser.

– Madame est très blessée…

– Elle marque vite.

– Le tribunal n’entend pas ce genre d’arguments », le reprend de volée Léa Dreyfus, substitute du procureur.

En effet, Anita « marque ». Lorsqu’il la frappait au visage, elle ne pouvait plus sortir. Il était contraint de conduire les petits à l’école, ça l’agaçait. Les coups, il les lui porte désormais « dans l’os pubien pour qu’ils ne se voient pas », révèle-t-elle. Et elle regrette que ce consultant en informatique « soit passé sous les radars de la justice en 2015, et des services sociaux en 2018 ». Déféré à l’époque, Grishka avait bénéficié d’une dispense de peine.

Cette fois, trois enfants ont été entendus. Les jumeaux de 7 ans : « Il frappe fort avec des choses. Il fait mal à maman, elle a des traces » ; « il l’étrangle, la jette par terre. » L’aîné de 9 ans : « Papa nous cogne la tête, nous tire les cheveux, prend une spatule si on parle fort à table. Il nous met des claques. Il y a des cris, des bagarres. » La fille majeure d’Anita, qui s’est enfuie : « Il a toujours été violent (…) Si on ne récite pas par cœur les versets de la Bible, il nous tape. »

Se prétendant « élu de Dieu », Grishka impose sa religion qui, au passage, l’empêche d’accepter le divorce souhaité par son épouse.

« Une bêtise = une punition ! J’ai été formaté comme ça »

 Loin de nier ces violences, il les juge normales : « S’ils ne récitent pas bien, oui, ils sont frappés. Je leur tire les oreilles, je mets des fessées. Une bêtise = une punition ! J’ai été formaté comme ça », tonne-t-il. « Éduqué ainsi », rectifie-t-il.

La juge Cécile Lemoine : « Votre méthode fonctionne ?

– Oui.

– Vous n’envisagez pas d’autres possibilités ?

– J’ai le temps de répondre ? »

Nouveau monologue affecté, bavard et vide. Aucune remise en question.

Représentés par une administratrice ad hoc, les quatre enfants sont parties civiles, avec leur mère. Me Maria Cuco-Bouguessa indique « leur degré de retentissement psychologique » évalué par un expert, la répercussion sur leur croissance, leurs troubles du comportement, leurs ITT de quatre à six jours. « Cet homme est dangereux. Ma cliente souhaite un éloignement ou un bracelet anti-rapprochement. »

« Vous brisez la vie de vos enfants », s’indigne la procureure Dreyfus, qui déplore « qu’il en soit encore au stade de la minimisation », qu’il dise « “je ne la maîtrise pas toujours” à propos de sa femme ». Elle considère « qu’il a besoin de cheminer car il ne sait pas se contrôler ». Ne tenant pas compte de son casier judiciaire vierge, « tant il y a des risques de réitération », elle requiert 24 mois de prison, dont 12 avec sursis probatoire de deux ans, un mandat de dépôt à l’audience. La parquetière demande aussi l’interdiction d’approcher ou de contacter sa famille durant trois ans. Elle sollicite enfin le retrait de l’exercice de l’autorité parentale.

En défense, Me Clothilde Brémond assure « qu’il a conscience de la gravité des faits », qu’il lui faut simplement du temps pour enrayer le mécanisme « de la reproduction familiale ». Elle espère une semi-liberté.

Grishka reprend son monologue là où il l’avait interrompu, se lamente sur son sort : « Mes mots n’étaient peut-être pas ceux que vous attendiez. » Et finit par jurer « n’avoir jamais voulu briser [ses] enfants ».

Les juges vont au-delà des réquisitions : 36 mois dont 18 ferme, placement en détention immédiat. Ils confirment les autres sanctions réclamées.

 

* Prénom modifié

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