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Eden School : le paradis des apprentis développeurs

Publié le 20/10/2022

Eden School : le paradis des apprentis développeurs

Ils ont entre 14 et 18 ans et rêvent de devenir développeurs. Eden School, première école de code inclusive, accueille des élèves motivés mais qui ont quitté le système scolaire classique trop tôt. Reportage dans ses locaux parisiens, ouverts depuis 2019.

Comme toutes les bonnes histoires, celle d’Eden School ne s’invente pas. À l’occasion de son stage de 3e, le fils de Pierre Mailliet, dyspraxique, lui lance qu’il aimerait faire le même métier que lui, à savoir travailler dans le numérique. En faisant des recherches, ce « growth hacker » dans l’âme (professionnel missionné pour augmenter la croissance d’une start-up, NDLR) et passionné de web, comprends qu’aucune école de développement n’existe pour des mineurs. Pourtant beaucoup d’entre eux ne peuvent ou ne veulent pas attendre d’entrer à l’École 42 ou à Simplon, ouvertes seulement à partir de 18 ans. « Une hérésie », lâche Pierre Mailliet, de surcroît devant la demande croissante des entreprises pour ces métiers. En 2022, 191 000 nouveaux postes sont à pourvoir et plus de 80 000 postes sont non pourvus chaque année au niveau national. Face à ces besoins non comblés, de nombreux élèves, geek en herbe, en demande : des décrocheurs, des jeunes porteurs de troubles de l’apprentissage (dyslexie, autisme, TDA, TDAH… ), souffrant de phobie scolaire, des HPI, des élèves ayant des problèmes médicaux ou encore sans solution en sortie de troisième ou de seconde. Alors pourquoi ne pas faire se rencontrer des entreprises en demande et ces jeunes ? Pierre Mailliet décide de créer la formation adéquate. Pas seul, car le projet est d’envergure. Il partage son idée avec Hélène Ribeiro, psychologue à l’Éducation nationale, qui a suivi le dossier d’orientation de son fils. Elle est partante : régulièrement, elle rencontrait des « élèves de 3e qui codaient mais n’avaient pas le niveau de seconde générale, alors qu’ils étaient très bons dans ce qu’ils faisaient », se souvient-elle. Une troisième cofondatrice rejoint l’équipe, Ségolène de Montgolfier, directrice RSE d’Evolem.

Tous les trois, ils mettent sur pied une nouvelle école, de A à Z. Eden School, première école de code inclusive, voit le jour d’abord à Villeurbanne en 2017, dans la banlieue de Lyon. En 2019, une antenne ouvre ses portes à Paris.

C’est justement dans le XVIIe arrondissement de Paris, au Campus des chasseurs, que nous retrouvons Enio, élève de 1re année – le cursus est en 2 ans. « Ici, c’est la seule école où je me sente bien ». L’adolescent de 17 ans lâche cette petite phrase entre deux lignes de code qu’il crée, des étoiles dans les yeux. Diagnostiqué autiste et bipolaire, Enio a connu des épisodes de dépression. C’est lors d’un séjour à l’hôpital qu’il entend parler d’Eden School : l’avenir est donc possible hors d’un parcours scolaire classique. « Le but est que les élèves retrouvent le goût d’apprendre », expliquent Hélène Ribeiro et Pierre Mailliet. La communication a la place belle. Grâce au photolangage – l’association d’un sentiment ou d’une émotion à une image -, les élèves réussissent à projeter leur ressenti vis-à-vis d’une situation ou d’une question. Hélène Ribeiro explique que lors de ces ateliers, la confiance s’instaure progressivement. « Je leur demande par exemple « comment tu te vois quand tu choisis cette image [l’image d’une rangée de mannequins unicolores et identiques NDLR) » ? Ils répondent qu’avant d’entrer à l’école, ils avaient l’impression d’être un numéro ou de n’être personne dans un groupe ». Certains expriment même le sentiment de sortir du gouffre.

Une pédagogie innovante et différenciée, des élèves qui reprennent confiance

Dans sa classe, Enio est entouré de 14 autres élèves. Les effectifs sont volontairement limités (20 élèves maximum) afin de rendre possible une pédagogie active et différenciée, selon le rythme et le niveau de chacun. Ici, malgré des niveaux différents, on ne lisse pas car on fait une force des différences. Ce que confirme Marie-Hélène Gauriau, enseignante technique en première année, qui explique « mixer les apprentissages en fonction de la vitesse d’apprentissage et des niveaux, avec des petits projets en plus pour aller plus loin, pour s’adapter aux différents niveaux ». Certains codent depuis qu’ils ont 10 ou 12 ans. D’autres ont découvert cette discipline pendant le confinement en utilisant le logiciel Scratch. Les professeurs créent des groupes de besoin en fonction de leur situation. Travailler régulièrement en groupe permet de les rendre autonomes, car c’est l’une des caractéristiques du métier. En effet, en entreprise, les développeurs sont ceux qui répondent aux questions et interrogations des collègues, ils sont ceux qui doivent fournir les réponses. Sur le Net, ils ont accès à toutes les ressources possibles, à eux d’être assez malins pour savoir où chercher et donc, où trouver. Les remarques fusent, les questionnements aussi. « Que veut dire « asset »? », demande leur professeure. Un élève répond puis un autre demande des précisions sur l’utilisation de Javascript. Aux oreilles des novices, ce langage fait office de langue étrangère. Mais les élèves, eux, le parlent couramment.

« Dans la pédagogie active, l’élève ne construit pas tout seul son savoir, les enseignants l’accompagnent et coordonnent ses avancées », précise Hélène Ribeiro. Pierre Mailliet complète : « Le but d’Eden School est que les élèves produisent de vrais sites à des clients », afin de les plonger dans le grand bain professionnel, réaliser des projets de la conception à la livraison. Les élèves travaillent donc sur le développement, mais aussi en parallèle, sur de la gestion ou de la direction de projet. Il s’agit d’apprendre en faisant. « Nous n’allons jamais faire un cours sur PowerPoint, mais nous allons les faire travailler sur un sujet et leur proposer de faire une présentation de 15 pages en PowerPoint, par exemple. On fait, on se plante, on apprend », résume-t-il.

Certains, passionnés, décident d’aller plus loin, comme cet élève qui a inventé une appli pour sa mère afin qu’elle n’oublie rien sur sa liste de courses. Noé, 17 ans et Ziyad, 15 ans, se sont rencontrés à Eden School mais, vivant dans la même ville, ils ont décidé de participer à un tremplin pour jeunes entrepreneurs. Pendant le cours de Marie-Hélène Gouriau, ça parle même SARL, entre deux allusions à ce « projet », objet de toutes leurs attentions et espoirs. La synergie a pris entre le jeune de 17 ans, qui a « déménagé de très loin » pour rejoindre les rangs d’Eden School et l’adolescent de 15 ans qui a trouvé cette formation par le biais de la mère d’un copain qui y est déjà. Le groupe d’ailleurs, constitue une valeur essentielle de l’école. « Il est super important, permet une émulation, une entraide. À la fin de chaque semaine, les élèves font le point sur leur semaine. Cela les responsabilise et les conforte dans le fait que leur avis compte », décrypte Hélène Ribeiro. Ziyad reconnaît aimer « l’ambiance d’entraide », Enio parle d’un « groupe bienveillant ».

Les secondes années eux, vont plus loin dans les apprentissages. Dans la salle de l’étage, les effectifs très réduits. Aujourd’hui, Jonas, Mathias et Tom travaillent sur leur catalogue de produits en ligne, où ils ont dû « lier l’esthétique au fonctionnel ». Sybille Huez, enseignante technique de seconde année, leur rappelle la signification de l’acronyme CRUD (create, reade, update, delete). Tom, 17 ans, se destinait à devenir forgeron. Finalement, il préfère que cela reste une passion et découvre Eden School, en raccord avec sa passion pour les jeux vidéo – il confesse aisément 10 000 heures de jeux depuis son enfance. Jonas, lui, était en CFA, mais le codage l’intéresse depuis longtemps. Heureux ici, il se voit continuer jusqu’en Master 2, tandis que Mathias, 15 ans, en avait marre de l’enseignement général pour le « surplus de théorie et le manque de pratique ». Il ne s’ennuie plus. Quelle victoire !

Au-delà des compétences techniques acquises, Hélène Ribeiro insiste sur le savoir-être. En première année, les élèves bénéficient ainsi d’un module pour apprendre à se connaître, savoir communiquer, travailler en groupe. En seconde année, pour maîtriser les codes de l’entreprise, les droits et devoirs, le CV ou encore la lettre de motivation. L’idée ? Sortir de l’uniformisation et fournir un enseignement sur-mesure. Les softs skills, faisant partie des 4 C encouragées par l’OCDE – pensée critique ; créativité ; esprit collaboratif et communication – devraient largement être développées. Les entreprises aiment les éléments qui font preuve de plus que d’un savoir technique ou académique. « Ici, nous apprenons ce qu’est la métacognition, c’est-à-dire savoir ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, afin de poser les bonnes questions et d’apprendre à apprendre. C’est d’autant plus nécessaire qu’ils auront des métiers différents au cours de leur vie, qu’ils seront free-lance, puis salariés ou patrons, ils travailleront à Londres ou à Rome, ils resteront flexibles », confie Pierre Mailliet.

Une école qui fait ses preuves

Les résultats sont là, l’enthousiasme également. Le tout s’inscrivant dans le cadre des recommandations de l’Europe qui incite les centres de formation à travailler sur les savoirs, savoir-faire et savoir être.

La raison d’être de l’école est plus que jamais justifiée. « Le coût d’un décrocheur atteint les 230 000 euros par élève », rappelle François-Xavier Possy-Berry-Quenum, directeur des relations institutionnelles et des partenariats, sans oublier le coût humain. Incalculable, car certains ne seront pas rattrapables et une fois l’école quittée, ne reviendront jamais sur ses bancs. « De plus, nous ne faisons pas de concurrence aux autres formations de développement informatique, car nous ciblons les mineurs et répondons à l’absence de formation infrabac sur un métier en tension », rappelle Hélène Ribeiro.

« Au bout de deux ans, les élèves ont 2 000 heures de code à leur actif, ce qui leur permet d’intégrer une entreprise en alternance et d’obtenir un bachelor en 2 ans au lieu de 3. En 4 ans après la troisième ils ont l’équivalent d’un Bac +3 sans avoir le Bac. Certains préparent un M1 voire un M2, soit l’équivalent d’un bac + 5 alors qu’ils balançaient des tables en 3e », plaide Pierre Mailliet. Pour de nombreux élèves, Eden School a changé leur vie. « Il n’existe aucun diplôme ou certification de niveau Bac. Nous avons échangé, un temps, avec France Compétences, sans retour positif de leur part sur la certification malgré l’appel, depuis des années, des syndicats professionnels du numérique de construire un continuum Bac-3/ Bac +5. L’absence de certification officielle n’est pourtant pas un frein, les centres de formations et les entreprises reconnaissent notre formation et la qualité de notre enseignement. Ils sollicitent chaque année nos jeunes et nous comptons chaque année plus d’élèves, signe que cela répond à une véritable attente », précise Pierre Mailliet.

Ne bénéficiant d’aucun denier public, l’école est soutenue par des mécènes, en premier lieu desquels Evolem, qui y croit « dur comme fer », détaille François-Xavier Possy-Berry-Quenum, mais aussi de SFR, Insign, Implid, ADP et de Xefi (leader des services informatiques auprès des TPE) qui se sont engagés à leurs côtés. Le coût de la scolarité se monte à 1 500 euros, mais il est dégressif en fonction des moyens des foyers jusqu’à atteindre la gratuité. La moyenne de frais de scolarité est de 600 euros, « en accord avec nos valeurs. Il n’y a pas de barrière à l’entrée, pas de diplôme demandé, mais une diversité des talents. Il nous manque juste des jeunes filles ! », plaisante à moitié l’équipe de fondateurs. Ils s’activent d’ailleurs sur la féminisation des effectifs en prenant contact avec des associations comme Rev’elles, qui accompagne des jeunes femmes de quartiers populaires dans leur cheminement professionnel.

Pour le moment, « notre impact n’est pas encore quantitatif mais il est qualitatif », soulignent-ils, car le passage par cette école inclusive change profondément la destinée de ces élèves condamnés, dans les yeux des pessimistes, à ne pas réussir. Alors qu’ils étaient sur le banc de touche, « ils sont demandés par les entreprises, valorisés. Ce sont de vraies réussites », estime François-Xavier Possy-Berry-Quenum. Certains sont même carrément convoités. Pierre Mailliet pense à ce jeune qui, parmi 450 candidats de bac + 2 et bac + 3, a été pris en alternance par Ubisoft. Son plus ? La maîtrise des algorithmes. « Pendant deux ans, ils en font deux heures par semaine. Ils vont deux fois plus vite que les autres ». Preuve que l’enseignement délivré est de grande qualité.

Épilogue. Finalement, le fils de Pierre Mailliet n’a pas suivi la formation que son père avait conçue pour lui. Il a rejoint les rangs de la maison Paul Bocuse. Mais aucun sentiment de gâchis. Au contraire. Son fils a trouvé son bonheur en embrassant une autre voie. « L’essentiel, est qu’il soit heureux dans ce qu’il fait ». Idem à Eden School. « Le but n’est pas de finir ici mais que les jeunes repartent avec une bonne estime d’eux-mêmes, de la confiance en eux et qu’ils reprennent la curiosité d’apprendre ». Mission accomplie.

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