Val-de-Marne (94)

Entre blocus et résignation, les étudiants se sentent oubliés

Publié le 24/03/2021

Après la soudaineté du premier confinement, les étudiants en droit de l’université de Créteil (94) espéraient une rentrée moins chaotique. Personnels enseignants et administratifs ont fait leur maximum pour répondre aux besoins aussi bien pédagogiques qu’humains. Malgré les efforts, la situation reste critique.

« Mon père a des soucis de santé, ma mère aussi. J’ai dû choisir le moins fragile pour savoir où j’allais habiter. J’ai une amie, c’est son frère qui a une maladie chronique ». Solène est étudiante en licence de droit à Créteil. Depuis le début de la pandémie, elle vit avec l’appréhension de transmettre le virus. Elle fait partie de celles et ceux qui soutiennent les blocus organisés lors de la session d’examen de janvier dernier, pour s’opposer au « présentiel ». « J’espère sincèrement qu’il n’y aura pas de décès de proches. On rentre chez nous, avec nos parents à côté… Mon père était à l’hôpital cette nuit, qu’est-ce que je fais ? Tout ça pour passer un examen. C’est gravissime ».

Les examens ont bien eu lieu à la faculté de droit de Créteil : certains dans des salles, d’autres via un ordinateur. « J’ai mesuré avec mon mètre, j’étais à 75 cm de mon camarade », s’indigne Solène. « On se touchait avec nos coudes. On attendait dans les couloirs les uns contre les autres. Les profs ne pouvaient rien dire ni faire. Mais tout le monde respectait la règle du masque. Sur nos groupes Facebook, des étudiants positifs ont prévenu qu’ils viendraient et qu’il faudrait faire attention ».

« C’est un sujet très clivant auprès des étudiants »

Des blocus sont organisés. Des lettres envoyées au doyen de l’université. Vyasa Jeerasoo est président de l’association « L’apprenti juriste » et étudiant en M1 droit européen à Créteil. « C’est très surprenant que des étudiants en droit initient un blocus. Le dernier doit dater de 2006… Le premier concernait les étudiants en L1, le deuxième, c’était des étudiants du master droit de la santé. Les deux blocus n’ont pas duré très longtemps. La majorité est restée assez indifférente ».

Selon lui, les mesures sanitaires ont été appliquées. « Une circulaire a établi un protocole et l’université est allée au-delà de ce qu’elle prévoit. Est-ce suffisant ? Le risque zéro n’existe pas. Nous sommes une université de proximité, la plupart prennent les transports et donc peuvent être contaminés. Cela ne peut pas être parfait ».

En décembre dernier, la direction demande son avis à l’association sur l’organisation à privilégier. « Nous étions pour le présentiel parce que le distanciel révèle beaucoup de problèmes. Des étudiants ont eu des problèmes pour passer les examens dans de bonnes conditions, sans pièce dédiée ou avec une mauvaise connexion. Pour toutes ces raisons, on trouvait que le présentiel pouvait abolir les inégalités. Quand les examens ont commencé, nous avons eu des retours, surtout de la part des étudiants vulnérables ou avec des proches vulnérables. Pour eux, venir à la fac et passer les épreuves c’était mettre en danger leurs proches ou eux-mêmes. On ne vit pas la crise de la même façon. Certains sont confinés depuis le début. C’est pour eux que j’ai écrit une lettre. Le doyen a répondu qu’il y avait une salle dédiée où ils pouvaient composer en salle avec des effectifs plus réduits. C’est une mesure que j’ai trouvée cohérente. C’est un sujet très clivant auprès des étudiants ».

Portrait de quatre étudiants portant des masques devant un bâtiment
Davide Angelini / AdobeStock

Un système hybride qui ne convainc pas

Comme dans toutes les facultés françaises, s’est posée la question de dispenser les cours en présentiel ou en distanciel. Le dispositif « hybride », avec un cours à la fois disponible en ligne et en amphi a été testé à partir de septembre dernier, avant d’être interrompu par le deuxième confinement fin octobre 2020. « C’était chaotique parce que certains profs n’étaient pas à l’aise pour jongler entre l’ordinateur et les élèves qui étaient là, face à eux », constate Solène. Mais pour elle, cela permettait au moins d’avoir le choix.

Du côté des enseignants, l’inquiétude est entendue et comprise. Gregory Bligh est maître de conférences en droit public : « Ce premier semestre a été vraiment problématique. D’autant plus que nous n’avons pas toujours de rapport avec les étudiants parce qu’ils n’allument pas la caméra lors des cours en ligne. Nous n’avons pas les moyens d’enseigner correctement. Dans un amphithéâtre, on peut sentir si ce qu’on a dit n’a pas été clair. On peut reformuler. Sur le papier, il n’y a qu’une seule et unique formulation… ». L’hybride a été pour lui une « grande source de frustration ». Après des semaines à tenter de répondre aux problèmes, avec une mobilisation de tous les instants pour le personnel administratif, « tout le monde a été renvoyé à la maison ».

Des questions légales se sont posées : « Qu’advient-il de notre image ? Ce qu’on produit est diffusé en ligne, quid des droits de la propriété intellectuelle ? ». «  Mes cours sont ouverts et appartiennent à tout le monde donc cela ne m’a pas gênée », précise une maîtresse de conférences qui souhaite conserver l’anonymat. « L’autre problématique, au-delà de nos libertés individuelles, est le fait que nos universités ait recours à des boîtes privées dans ces conditions. Si j’avais pu faire autrement, je n’aurais pas utilisé Zoom mais il fallait assurer la continuité ».

Entre hybridation, confinement et un flou permanent quant à un retour sur le campus, des étudiants perdent pied. « J’ai une étudiante excellente qui a raté son second semestre et qui a arrêté de venir parce que le fait d’être enfermée à la maison l’a remise dans une situation critique en termes de santé. Une major de promo va être redoublante. Ce sont des étudiants qui doivent mettre en œuvre des efforts démesurés pour être à la fac et ils ne savent pas s’ils vont pouvoir revenir. Ce sont des échecs personnels terribles. C’est un élan qui est perdu ».

Paniers solidaires

La détresse n’était pas seulement liée aux conditions d’enseignement, mais également à des aspects beaucoup plus matériels, voire vitaux. Des paniers solidaires ont ainsi été distribués sur tout le campus de l’université de Créteil en novembre et en décembre derniers, gérés par le Crous à Créteil et Boissy-Saint-Léger, sous l’égide de l’université et avec le soutien du département. De leur côté, la fédération des associations de Créteil et les bénévoles de la Croix rouge ont distribué des paniers de produits secs (pâtes, riz, conserves) et kits d’hygiène.

« La solidarité entre étudiants, j’en ai pleuré. Cela m’est arrivé de faire des courses pour une copine qui est ici. Elle était en chômage partiel. C’était compliqué. Aux étudiants qui étaient malades et confinés, certains ont proposé de faire leurs courses et le montant était laissé devant la porte. D’autres se privent de repas parce que 3,50 € c’est déjà trop. Cette crise est fulgurante », confie Solène.

« La précarité touche plus d’élèves cette année », constate Vyasa. On a tendance à penser que les étudiants les plus précaires sont boursiers. Je suis moi-même boursier mais beaucoup d’étudiants qui n’avaient pas droit aux bourses pouvaient vivre avec leur emploi, sauf qu’ils ne travaillent plus et n’ont pour autant pas droit aux aides ». À Créteil, bien que la question présentiel-distanciel soit clivante, une belle cohésion est apparue.

Lors du premier confinement, une certaine proximité s’est aussi installée entre étudiants et chargés d’enseignement. « On était un peu en intimité avec tout le monde. On fait avec ce qu’on a et on le fait avec notre cœur. La précarité est là. Le soutien est là », ajoute Solène. Les cours circulent, les fiches aussi. « Pour l’accès à la matière c’est bien », confirme Vyasa. « Les dernières années ont l’autonomie que n’ont pas les premières années. Le distanciel pour les TD leur a enlevé beaucoup de points de méthodologie ».

Isolement et mal-être

Si Vyasa se montrait optimiste l’été dernier, pensant reprendre une « vie normale » en septembre, il s’inquiète aujourd’hui de plus en plus de la détresse psychologique de ses camarades. « On s’attend à beaucoup de décrochages. Des étudiants considèrent l’année universitaire 2020-2021 comme une année blanche. Surtout, les étudiants se sentent oubliés par le gouvernement. C’est ce qui ressort de plus en plus ces derniers temps. Nous n’avons toujours pas l’impression d’être représentés ».

« C’est une difficulté qu’on n’a pas résolue : l’isolement des étudiants et leur mal-être psychique », poursuit Lucie Sponchiado, maîtresse de conférences en droit public. « J’ai eu des mails d’étudiants qui n’étaient vraiment pas bien. C’est difficile moralement mais à charge pour nous de mettre un masque (c’est d’époque !) pour donner l’impression qu’on tient la boutique. En tant qu’universitaires, on a dû en plus faire face au vote de la loi de programmation de la recherche… On a eu à lutter contre tout cela en faisant tourner un service public auquel on tient ».

Gregory Bligh est loin d’être plus rassuré : « On est en train de payer les conséquences de ce qui n’a pas été fait depuis plusieurs décennies. C’est un état d’indigence au sein de l’université en France qui tient avec des bouts de ficelle et la bonne volonté des gens qui fournissent un travail non payé. Comme d’habitude les personnes qui le subissent doivent trouver la solution au problème. Non ! Il ne faut pas que ce soit à nous de trouver la solution mais qu’on mette le doigt sur le fait que cette situation est un révélateur ».

Malgré de nombreuses relances, la direction de la faculté de droit de Créteil n’a pas souhaité répondre à nos questions.

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