Droit de préemption : quand deux maires protègent leur petit bois

Publié le 03/06/2024
Droit de préemption : quand deux maires protègent leur petit bois
cronislaw/AdobeStock

Dans les Yvelines, deux maires viennent d’obtenir un accord avec les propriétaires d’un petit bois jouxtant les deux communes. Une petite histoire qui raconte la résistance des communes contre les coupes rases.

C’est un coin des Yvelines dominé par les bois, au nord de la forêt de Rambouillet. Orgerus (à peine 2 300 habitants) et Tacoignères (un peu plus de 1 000) se partagent depuis toujours un petit bois. La propriété de 22 hectares n’est privée que sur le papier : on y cueille les champignons, on s’y promène pour observer les animaux. Mais ce petit bois, c’est aussi la patate chaude que lèguent les maires à leurs successeurs depuis plusieurs dizaines d’années. Régulièrement, les propriétaires et leurs héritiers le mettent en vente et régulièrement, les mairies retiennent leur souffle : si le PLU y interdit la construction, rien n’empêche de gourmands acquéreurs d’en interdire l’accès et d’y effectuer des coupes rases pour le profit et au détriment de la nature.

En décembre dernier, quand un acquéreur potentiel fait une proposition d’achat, Patrice Le Bail, maire de Tacoignières et Jean-Michel Verplaetse, maire d’Orgerus, ont contacté le département sur l’attitude à adopter. Si le projet de cette société est en apparence respectueux, les édiles préfèrent jouer la prudence. « C’est un lieu de promenade et de randonnée apprécié par la population, avec une faune importante. Il me paraît difficile de croire que la société candidate à l’acquisition va renoncer à faire du bénéfice malgré la belle volonté affichée. Nous voulons préserver ce poumon vert dans le cadre du schéma directeur de la Région Île-de-France », a indiqué Patrice Le Bail, maire de Tacoignières. Si le département des Yvelines n’a pas utilisé son droit à préempter la propriété, il a accompagné les deux édiles à monter des dossiers de préemptions en leur communiquant la valeur pécuniaire du massif sur laquelle baser leurs offres (soit en deçà du prix de vente).

Un accord trouvé après saisine du tribunal administratif de Versailles

Pour la commune de Tacoignères, qui ne doit acheter qu’une portion congrue du massif, une solution à l’amiable est vite trouvée. Pour Orgérus, qui comme bien des petites communes en France ne dispose pas d’une trésorerie exponentielle, il en va autrement. « L’autre commune avait accepté le prix standard : ils n’avaient que 4 hectares à acheter et nous 19 ! Nous avons donc dû saisir le juge des expropriations au tribunal administratif de Versailles pour avoir gain de cause », souligne Jean-Michel Verplaetse, contacté par téléphone.

Si la procédure est toujours en cours, les deux parties ont trouvé un accord avant même la comparution devant le tribunal. Un jugement sera rendu fin mai pour signifier qu’il y a eu un accord de gré à gré. Un grand soulagement pour le maire de la petite commune, qui regrette le temps où les terres se transmettaient de génération en génération et où les maires n’avaient pas à s’inquiéter de l’artificialisation des terres agricoles ou des coupes rases dans les petits bois. « Nous sommes dans les Yvelines, la petite couronne est très urbanisée mais il existe beaucoup de communes rurales dans les campagnes et des terres se vendent car leurs anciens propriétaires sont partis au paradis. Contrairement à hier, les héritiers sont dans le Sud, en Bretagne, dans les Landes, ils vendent sans savoir qui achètera. C’est loin d’eux tout ça. Mais nous, nous sommes là pour servir nos administrés et protéger les terres agricoles ou les poumons verts ». Le maire d’Orgérus salue les progrès allant dans le même sens que l’initiative des deux communes. Depuis 2020, la Safer d’Île-de-France (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) peut, sans limitation de durée, préempter les parcelles de moins de 3 hectares, en nature réelle de bois ou classées comme tels au cadastre (C. rur., art. L. 143-2-1 modifié ) pour lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France. Le mitage correspond à l’éparpillement, sans plan d’urbanisme réellement cohérent, d’infrastructures, de zones d’habitat, de zones d’activité, dans des espaces initialement ruraux (forestiers ou agricoles). Cette mesure, qui avait été instituée à titre expérimental entre le 2 mars 2017 et le 2 mars 2020, est devenue pérenne avec la loi n° 2020-48 du 28 janvier 2020 visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Ile-de-France, le ministère de l’Agriculture, Didier Guillaume, avait alors indiqué que l’expérimentation avait montré l’efficacité du processus, insistant sur l’implication des collectivités : « depuis février 2017, la Safer d’Île-de-France a exercé son droit de préemption à 510 reprises, dont 198 pour la protection et la mise en valeur de la forêt, pour 5 289 m2 en moyenne, donc des parcelles de toute petite taille, et 180 à la demande de collectivités pour la protection des espaces boisés, en raison de la nécessité impérieuse de lutter contre le dérèglement climatique ».

Aujourd’hui, Jean-Michel Verplaetse souffle avec ses administrés. « Évidemment, c’est un budget à trouver mais nous sommes tous très satisfaits. Mon prédécesseur – qui n’est pas du même bord que moi – l’est tout autant. On nous demande de planter des arbres en centre bourg, dans les cours d’école, mais il faut se remonter les manches pour sauver un bois avec des chênes en bonne santé… nous voulons juste protéger la forêt ! Nous allons nettoyer le bois des dégâts laissés par la précédente tempête et nous sommes accordés avec le maire de Tacoignères pour en faire un lieu où les habitants pourront se sentir bien, sans craindre le garde champêtre ». Si une petite table de pique-nique sera a priori installée, le but est bien de laisser l’espace le plus brut possible : « ce sera un bois pour apprendre à nos enfants à différencier un bon champignon d’un mauvais, un endroit où aller voir au crépuscule les animaux qui sont encore nombreux ». L’élu encourage les édiles à rester attentifs aux situations comme celle qu’il a connue et souligne le travail des associations environnementales comme le collectif Sauvons les Yvelines : « même quand il est impossible de bâtir sur ces bois, avec la loi ASAP, ces bois peuvent toujours être vendus au privé. Il existe de la spéculation pour obtenir des crédits carbones, couper beaucoup et planter un peu… c’est notre responsabilité de garder l’œil sur nos bois ».

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