La réparation du préjudice écologique : les limites de la convention d’intérêt public environnementale

Publié le 24/03/2025
La réparation du préjudice écologique : les limites de la convention d’intérêt public environnementale
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La loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a étendu le recours à la convention judiciaire d’intérêt public aux infractions environnementales. Dès lors, le procureur, avant que l’action publique ne soit déclenchée, sur la base de l’article 41-1-3 du Code de procédure pénale, peut proposer un accord aux personnes morales ayant commis des atteintes à l’environnement visées dans le Code de l’environnement. Cette convention peut comporter plusieurs obligations comme le versement d’une amende au Trésor public, la mise en place d’un programme de conformité ou encore la réparation du préjudice de la victime ou écologique.

Le préjudice écologique, bien que défini comme étant « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement », par le Code civil en son article 1247, depuis la loi du 8 août 2016, reste ignoré par le Code pénal et de procédure pénale et sa réparation demeure trop peu encadrée.

Ainsi, l’évaluation du préjudice environnemental laissée aux mains du juge qui ne dispose pas d’outil adapté (I), et le fait que la réparation du préjudice ne soit qu’optionnelle (II), porte préjudice à l’environnement.

I – La difficile évaluation du préjudice environnemental

La chambre criminelle de la Cour de cassation a déterminé, dans une décision rendue le 22 mars 20161, qu’il appartenait au juge du fond d’évaluer lui-même ce préjudice écologique, « de chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l’existence ». Ainsi, l’évaluation du préjudice écologique est laissée à l’appréciation du procureur, spécialiste du droit certes, mais pas de l’environnement, ce qui interpelle. De plus, le juge, pour déterminer l’étendue du préjudice environnemental, n’a aucun outil, aucune méthode unique. C’est en consultant les différentes conventions judiciaires d’intérêt public environnementales (CJIPE) rendues à propos d’infractions similaires que l’on se rend compte de cette limite.

En effet, concernant les cours d’eaux pollués par exemple, le procureur, dans la CJIPE conclue avec la SARL Biorecycle en 2023, n’a cité aucune nomenclature pour évaluer le préjudice environnemental et se contente de mentionner que la pollution a été occasionnée par un apport massif de lisiers et s’étendant sur 28 kilomètres. À l’inverse, le procureur de Riom, dans une proposition de CJIPE avec Borie en 2022, précise avoir utilisé la méthode Huet-Léger-Arrignon, qui est utilisée par la fédération de pêche et admise par les tribunaux pour estimation des dommages directs sur la faune piscicole. À la manière de la nomenclature Dintilhac, utilisée en droit de la responsabilité civile pour estimer le préjudice subi par la victime, la valeur de chaque espèce est déterminée et utilisée pour estimer le coût total du dommage.

Cependant, cette méthode n’apparaît pas comme un outil à généraliser pour calculer le préjudice écologique puisqu’elle ne prend en compte que l’atteinte causée au milieu halieutique et non l’ensemble du milieu et des éléments minéraux et végétaux bordant le cours d’eau pollué. Ainsi, la méthode d’estimation du préjudice écologique apparaîtra lacunaire jusqu’à ce qu’un outil commun soit utilisé par les magistrats et que la méthode choisie envisage tous les composants du milieu pollué.

II – La réparation optionnelle du préjudice écologique

Sur les vingt-huit CJIPE conclues jusqu’à présent, vingt et une concernent la pollution de l’eau mais toutes n’obligent pas les personnes morales à réparer le préjudice écologique qu’elles ont causé. C’est en comparant trois conventions conclues en 2024 qui visent des infractions similaires que l’on peut se rendre compte de la diversité des formes de réparation du préjudice écologique.

En effet, dans la CJIPE conclue avec l’entreprise Biorecycle, le rejet de substances nuisibles dans les eaux de rivières a causé une importante mortalité piscicole et une dégradation de la qualité de l’eau. Le procureur a déterminé que la réparation du préjudice écologique devait se faire par la plantation de 600 mètres de haies, sans autres explications.

À l’inverse, concernant la CJIPE conclue avec la société coopérative agricole Les Maîtres Laitiers du Cotentin, des substances nuisibles ont également été déversées et ont impacté de manière néfastes la faune et la flore locale, le procureur a ordonné que le préjudice écologique soit réparé mais n’a donné aucune indication sur la forme que cette réparation devait revêtir. Ainsi, il s’est contenté d’obliger la personne morale à réaliser des actions de renaturation et de restauration de la continuité écologique de la Douve, pour un montant de 180 000 €.

Enfin, le procureur n’a pas estimé, concernant la CJIPE conclue avec la SAS Imerys Talc Luzenac, pour un cas de pollution minérale résultant de rejets excédant les normes à la sortie d’un bassin de décantation et ayant causé des dommages sur plusieurs ruisseaux, que le préjudice écologique devait être réparé et n’a ordonné aucune mesure en ce sens.

Ces exemples illustrent la multiplicité des formes de réparation, allant de compensations environnementales concrètes à des contributions financières.

Bien que, selon la formule de l’article 41-1-3 du Code de procédure pénale, la réparation du préjudice écologique ne soit envisagée que comme une obligation que le procureur peut imposer à la personne morale, le fait qu’elle soit une option apparaît regrettable au détriment de l’environnement.

La CJIPE apparaît comme une mesure alternative aux poursuites intéressante, notamment par sa prise en compte de la nécessité de réparer le préjudice écologique. Cependant, l’absence d’une méthodologie claire pour l’évaluer et le réparer fait rendre au juge des décisions très différentes. Pour garantir une réelle efficacité, il apparaît urgent de renfoncer le cadre juridique de la CJIPE et de créer des outils d’évaluation, permettant une réparation cohérente des atteintes à l’environnement.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650, P.
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