VIGINUM, ou comment l’État se dote d’un outil pour lutter contre les ingérences étrangères

Publié le 23/05/2022

VIGINUM, ou comment l’État se dote d’un outil pour lutter contre les ingérences étrangères

Avec le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, dit VIGINUM, la France renforce son arsenal de cybersécurité et s’attaque à la lutte contre les attaques informationnelles et les ingérences numériques étrangères. Néanmoins, ce nouveau service de surveillance de l’information soulève des questions concernant le respect de la liberté d’expression.

Dans un monde où « l’information est une arme »1, sa prolifération représente autant une garantie au regard de la liberté des débats qu’une menace à leur sérénité.

Dès lors, la délicate question de sa régulation se pose. Comment, sans tomber dans la censure, concilier sécurité et liberté de l’information et se prémunir contre sa manipulation ?

Cet arbitrage entre liberté d’expression et sérénité du débat démocratique s’avère particulièrement nécessaire en période d’élections où le risque d’actions malveillantes et d’ingérences étrangères est accru.

Face à ce risque, l’État a souhaité, au travers de la création du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM)2, compléter l’arsenal existant en se dotant d’un nouveau service de contrôle de l’information afin de se prémunir contre des attaques informationnelles.

Rattaché au secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), VIGINUM est un service administratif à compétence nationale créé par décret3 et qui a pour mission d’identifier et de caractériser les contenus provenant d’un État étranger ou d’une institution étrangère (public ou privé) et qui sont accessibles publiquement sur les sites des opérateurs en ligne4.

À cet effet, le décret n° 2021-1587 du 7 décembre 20215 lui confère l’autorisation de collecter, exploiter et traiter les données à caractère personnel sur les plates-formes en ligne dont l’activité sur le territoire français dépasse un seuil de cinq millions de visiteurs uniques par mois, y compris si l’utilisation de ces plates-formes requiert une inscription ou la création d’un compte.

On ne peut néanmoins écarter le risque de voir ainsi naître, sous l’impulsion de l’exécutif, un arbitre de l’information valable et, partant, craindre pour la liberté d’expression si nécessaire à la démocratie.

Afin que le service ne soit réputé comme étant un outil d’influence en ligne du gouvernement, le régulateur a prévu la mise en place d’un comité d’éthique et scientifique constitué d’experts techniques qualifiés dans les domaines de compétence de VIGINUM6 et placés sous la présidence d’un conseiller d’État. Dans un dessein de transparence, ce comité a la charge d’établir un rapport annuel public qui contiendra notamment une note de synthèse sur les plates-formes desquelles les données ont été collectées, les mesures mises en place pour protéger la confidentialité et l’intégrité de ses données.

Cependant, plusieurs éléments interpellent. Ainsi, le rapport annuel du comité d’éthique est destiné à être adressé au Premier ministre dont on peut interroger l’impartialité, notamment dans les périodes électorales, celles-ci étant expressément visées dans le décret de création de VIGINUM.

En outre, une fois les auteurs d’une campagne de fake news identifiés par VIGINUM, le décret ne précise pas explicitement qui sont les acteurs qui ont été mandatés pour mettre fin à ces ingérences et en réalité, sur ce terrain, rien ne semble encore bien dessiné. Ainsi, d’après Gabriel Ferriol, chef du service, « VIGINUM est toujours en création, tant sur le plan du recrutement que sur celui de l’opérationnel, tout est à construire »7.

Enfin, on peut également s’interroger sur la redondance d’un tel mécanisme. En effet, l’article L. 163-2 du Code électoral prévoit déjà depuis 2020 que dans le cadre d’élections générales le juge des référés peut, à la demande du ministère public, de tout candidat ou de personne ayant intérêt à agir, ordonner la cession de diffusion des allégations inexactes de nature à altérer la sincérité du scrutin. Le pouvoir judiciaire n’est-il pas, par son indépendance, plus à même que l’exécutif d’assurer l’impartialité d’une décision relative au caractère préjudiciable d’une information ?

De même, la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 20188 institue un devoir de coopération des opérateurs de plate-forme en ligne en matière de lutte contre la diffusion de fausses informations et les astreint à adresser à l’ARCOM, sur une base annuelle, une déclaration précisant les moyens mis en œuvre pour protéger le public en ligne. La collaboration avec les opérateurs de plate-forme en ligne et leur contrôle, effectivement clés en la matière, n’est-elle pas déjà de nature à éviter le contrôle de l’information elle-même ?

S’il est compréhensible, au regard de l’actualité directe et plus lointaine, que l’exécutif souhaite détecter les ingérences numériques étrangères dont le but est de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, cela ne doit pas avoir pour effet de remettre en cause les libertés en place et notamment le libre exercice de la communication au public par voie électronique.

Sur cette première année d’activité, il conviendra donc de suivre avec attention l’activité de VIGINUM. Ceci, dans le but de s’assurer que la liberté d’expression ne soit pas limitée au-delà de ce qui est permis par la loi Léotard dont seules les limitations par la sauvegarde de l’ordre public ou les besoins de la défense nationale9 semblent pertinentes en l’espèce au regard de l’objet de VIGINUM.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le Figaro.fr, citations, https://lext.so/Y6XJDK.
  • 2.
    Par le décret n° 2021-922 du 13 juillet 2021 du Premier ministre portant création, auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, d’un service à compétence nationale dénommé « service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères » en date 13 juillet 2021, sur recommandation du Sénat en date du 16 avril 2021.
  • 3.
    D. n° 97-464, 9 mai 1997, relatif à la création et à l’organisation des services à compétence nationale, art. 2.
  • 4.
    Pour rappel, l’article L. 111-7, 1, du Code de la consommation définit un opérateur de plateforme en ligne comme « toute personne physique ou morale qui propose à titre professionnel de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de bien ou de service proposés ou mis en ligne par des tiers ».
  • 5.
    D. n° 2021-1587, 7 déc. 2021, portant autorisation d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dans le but d’identifier les ingérences numériques étrangères.
  • 6.
    Dont un membre de l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, née de la fusion du CSA et de l’HADOPI).
  • 7.
    CNNum, Les Français ont le droit de savoir comment les débats auxquels ils participent se nouent, 2022, https://lext.so/uzIliD.
  • 8.
    L. n° 2018-1202, 22 déc. 2018, relative à la lutte contre la manipulation de l’information.
  • 9.
    L. n° 86-1067, 30 sept. 1986, relative à la liberté de communication (loi Léotard), art. 1 : « La communication au public par voie électronique est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la protection de l’enfance et de l’adolescence, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle ».
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