À Bobigny, des adolescents se souviennent du combat de « Marie-Claire »
Cinquante ans après son procès et deux mois après sa mort, Bobigny n’oublie pas Marie-Claire Chevalier. Le 22 mars dernier, une classe de Seconde du lycée Louise Michel lui a rendu hommage, en présence des deux chefs de juridiction, de la conseillère départementale en charge de l’observatoire départemental des violences envers les femmes, de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et la mairie de la ville.
Devant le tribunal judiciaire de Bobigny, treize adolescents en jean et baskets déposent une gerbe de fleurs devant la passerelle « Marie-Claire », nommée ainsi en hommage à Marie-Claire Chevalier. Les onze filles et deux garçons portent le même uniforme, jean basket et sweat entre le gris et le noir. Ils ont la démarche un peu gauche et le visage rebondi de ceux qui ne sont pas encore sortis de l’enfance. Lycéens en classe de seconde, ils ont l’âge qu’avait Marie-Claire Chevalier lorsqu’elle a été jugée, en 1972 pour avoir avorté.
Depuis le mois de septembre, ces élèves étudient l’histoire de Marie-Claire et du procès de Bobigny. La jeune femme, défendue par Gisèle Halimi, est devenue bien malgré elle une figure de la lutte pour l’émancipation des femmes. Son procès avait mené à la loi autorisant l’IVG en 1974.
« Son corps a été judiciaire et politisé », rappelle Madame Prost, l’enseignante en histoire de cette classe du lycée Louise Michel. « Marie-Claire Chevalier a été jugée en 1972. 2022 est une année pour se souvenir, ou pour découvrir ce procès qui a été un pas majeur vers la dépénalisation de l’avortement ».
Sur des morceaux de cartons, les élèves ont écrit au marqueur noir les mots de Marie-Claire Chevalier. Brandis à tour de rôle, ces mots résument l’histoire de Marie-Claire, ensevelie dans la mémoire collective par celle de ses illustres défenseuses, Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir. D’abord, il y a le mot « VIOL ». La jeune fille rappelle que le mot de viol avait pourtant heurté le tribunal pour enfants de Bobigny qui avait jugé la jeune femme de 17 ans. C’est pourtant ainsi qu’a commencé l’histoire de Marie-Claire, tombée enceinte d’un garçon de son âge qui l’avait forcée à avoir une relation sexuelle avec lui. « Il a menacé de me frapper, il m’a donné des claques », avait-elle déclaré face à ses juges. À l’issue de ce viol, la jeune femme, tombée enceinte, avait avorté clandestinement avec l’aide de sa mère. L’opération avait mal tourné, et Marie-Claire, souffrant d’une grave hémorragie, avait dû être admise à l’hôpital.
Ensuite, vient le mot « MESSIEURS ». L’élève qui le tient rappelle que la jeune fille de 17 ans, jugée en compagnie de sa mère et de 4 autres femmes, avait dû comparaître face à tribunal exclusivement masculin « pour parler de sonde, d’utérus et d’avortement ».
Viennent ensuite les mots « CHOISIR », du nom de l’association « Choisir la cause des femmes », fondée par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, « LIBERTÉ », pour souligner que Marie-Claire avait fait de la procuration un acte de liberté en choisissant des années plus tard d’accueillir une petite fille.
« PUNITION », pour rappeler que l’article 317 du Code pénal punissait les femmes qui avortaient et celles qui les y aidaient, ces dernières encourant des peines allant jusqu’à dix ans de prison…
Un garçon clôture l’intervention de la classe. « Tout cela n’aurait pas dû arriver. Tout ce que nous pouvons faire, c’est continuer son combat pour l’avortement dans le monde », déclare-t-il, l’air grave.
L’hommage des élèves est suivi par celui des représentants des institutions du département. La mairie de Bobigny, le tribunal judiciaire, l’Observatoire des violences faites aux femmes se sont associés à l’événement.
Le président du tribunal judiciaire, Peimane Ghaleh-Marzban, est le premier à prendre la parole. Plus que de Marie-Claire, il se souvient du tribunal qui l’a jugé. « Ce procès nous enseigne à regarder vers l’avenir ». Le magistrat rend hommage à son collègue magistrat qui, il y a cinquante ans, avait relaxé Marie-Claire Chevalier. « Grâce à son action, une loi absurde a évolué » !
Le procureur, Éric Mathais, salue l’intervention « très intéressante » des lycéens. « On sent que le sujet vous a touchés. Marie-Claire était une jeune femme ordinaire, comme vous l’êtes, victime d’un viol à seize ans, puis d’une série d’épreuves : l’avortement clandestin, l’hospitalisation, les poursuites devant le tribunal de Bobigny. Quand je pense à elle, je pense à mes filles ». De cette expérience traumatisante, Éric Mathais cherche à tirer un enseignement positif. « Une jeune fille ordinaire qui a vécu des choses terribles. De ses malheurs est sorti quelque chose de très grand que nous célébrons ».
Pascale Labbé, vice-présidente du département en charge de l’observatoire, loue le combat « juste et libérateur d’une figure emblématique de la lutte pour le droit des femmes ». « Le violeur l’avait dénoncé », souligne-t-elle à son tour. « Cette situation d’un cynisme invraisemblable était courante. Les violeurs avaient alors le droit de leur côté ». Elle en profite pour rappeler que la liberté des femmes est loin d’être acquise. « En France, le délai dans lequel les femmes peuvent avorter est passé de 12 à 14 semaines le 2 mars dernier », souligne-t-elle. Mais « dans 24 pays, la loi interdit l’avortement en toutes circonstances ».
Le mot de la fin fut pour le maire de Bobigny, Abdel Sadi. « Longtemps je n’ai connu de Marie-Claire que son prénom, puis sa silhouette prise à la sortie du tribunal de Bobigny, la main devant son visage », confesse-t-il. « Marie-Claire a été victime d’une violence ordinaire. Elle n’aspirait certainement pas à sortir de l’anonymat. Je suis fier de vous, de vos professeurs, de votre diversité », déclare-t-il à l’adresse de la classe de lycéens. L’élu en profite pour louer la Seine-Saint-Denis, « département monde, avec 130 nationalités, 177 langues parlées, 2 500 associations. Un département qui a fait le choix de travailler sur l’égalité et de mettre en place un observatoire local contre les violences ».
Les représentants du 93 annoncent qu’à l’automne, le département organisera plusieurs événements pour célébrer cinquante ans de promotion du droit des femmes. Dans les rares interviews données avant sa mort, Marie-Claire Chevalier, alors sexagénaire, déclarait pour sa part ne s’être jamais vraiment remise de ces traumatismes vécus adolescente.
Référence : AJU004i3