À Créteil un piano à queue siège dans la cour d’assises

Publié le 02/01/2024

Habituée des lieux de justice, l’association : Tout en mesure, a organisé pour la seconde fois un concert de musique classique destiné aux professionnels du tribunal judiciaire de Créteil. Sylvain Bottineau, pianiste hors pair et vice-président adjoint du tribunal, a joué des morceaux de Chopin, Mozart et Tchaïkovski, accompagné par deux autres musiciens membres de l’association.

« C’est insolite, quand même, un piano dans une cour d’assises ! », Édouard Billaux, bâtonnier du Val-de-Marne, s’amuse de voir jouer sonates et autres morceaux composés par Mozart, Beethoven ou Tchaïkovski dans la salle des assises du tribunal judiciaire de Créteil. Ce lundi de décembre, un piano à queue est installé dans l’espace central, là où les avocats peuvent d’ordinaire faire des jeux de manche durant leurs plaidoiries dans des procès criminels.

« C’est une bonne initiative d’apporter de la poésie au tribunal. Surtout ici, dans cette salle où se jouent d’habitude des tragédies humaines », salue Anissa Righi, avocate au barreau de Créteil. Laurence Touzeau, juge des enfants au tribunal se réjouit, elle aussi, de la tenue de cet événement gratuit sur son lieu de travail : « Un concert à domicile, ça nous évite les trajets. Et c’est un collègue, on m’a dit qu’il jouait très bien. En revanche, je ne sais pas si l’acoustique est bonne ici », s’interroge-t-elle juste avant le début du spectacle.

Le collègue en question n’est autre que le vice-président adjoint du tribunal, Sylvain Bottineau, également fondateur et président de l’association Tout en mesure, qui organise des concerts de musique classique dans des lieux de justice mais aussi des hôpitaux et des universités depuis 2013. « Je suis arrivé l’an dernier à Créteil [comme juge, NDLR], c’est notre deuxième concert ici et maintenant que la dynamique est enclenchée, on va continuer au rythme de deux concerts par an », indique le magistrat. Une cadence qui permet aux professionnels du tribunal de dégager le temps nécessaire pour assister au concert, et à l’association d’éditer les flyers ainsi que de faire venir le piano jusque-là.

Costume gris clair et cravate mauve, Sylvain Bottineau s’installe au piano après un mot d’accueil du président du tribunal. « En cette fin d’année, on a préféré remplacer les Funérailles de Liszt par les Préludes de Chopin », annonce-t-il pour rectifier le programme inscrit sur les flyers. Le public lance un « Ah », unanime et enthousiaste. Le juge commence à jouer. En plein milieu des Préludes, un bref moment de silence suffit à faire claquer des mains une partie du public. Pas de quoi perturber Sylvain Bottineau, qui continue comme si de rien n’était et termine cette première partie. Il se lève, salue le public avec un grand sourire et un peu de réserve, puis va chercher Dominique d’Arco et son violon pour continuer le concert par une sonate de Mozart en duo. Ce sera ensuite au tour de Paule Nebout, elle aussi membre de l’association, de jouer avec le vice-président du tribunal Casse-noisette de Tchaïkovski au piano à quatre mains. « J’ai demandé à la police si on nous emmenait en prison en cas de fausses notes », plaisante-t-elle en aparté juste après le concert.

Avocats, huissiers, magistrats, agents d’accueil ou encore policiers… Les différentes professions qui exercent au tribunal se retrouvent sur les banquettes du public. En tout, plus de 70 personnes assistent au concert, avec des va-et-vient au gré des fins de journées des uns ou des pauses dans les emplois du temps des autres. « On a fait un roulement entre nous pour pouvoir assister au concert tout en continuant d’assurer la sécurité du tribunal », indiquent deux policiers conquis par le spectacle. « Je sais qu’il y a eu des suspensions d’audience pour venir écouter 10 minutes. C’est bien. Il n’y a pas d’obligation de rester tout le concert », sourit Sylvain Bottineau lors du cocktail organisé dans la soirée. Lui n’a d’ailleurs pas remarqué les entrées et sorties, mais a bien noté l’engouement du public qui s’est levé pour applaudir les musiciens au terme des deux heures de spectacle.

« Le juriste interprète le droit, le musicien interprète la musique »

L’association organise ainsi des concerts de musique classique dans des lieux de justice partout en France, de la Cour de cassation aux cours d’appel de Colmar, Metz, Montpellier ou Lyon, en passant par d’autres tribunaux judiciaires ou la maison d’arrêt des Beaumettes à Marseille. « C’est une manière de montrer que la justice n’est pas qu’une technique froide, que c’est aussi de l’humain qui fait appel à des sentiments et où l’empathie à toute sa place », explique Sylvain Bottineau. Lui-même était professeur de piano au conservatoire national de région à Toulouse avant de se prendre de passion pour le droit et de passer le concours de l’École nationale de la magistrature en 2002. Depuis, il a continué à exercer ces deux passions, obtenant même en 2012 le prix spécial musicalité au concours international d’Île-de-France, catégorie grand amateur. Le magistrat pianiste ne cesse de créer des rencontres entre musique et justice, deux disciplines qui ont selon lui des points communs : « Le juriste interprète le droit, le musicien interprète la musique », souligne-t-il.

« Le but de ces concerts, c’est aussi simplement de faire découvrir la musique classique aux professionnels », poursuit-il. Et ça marche : Antoine Poteau, fonctionnaire chargé de l’accueil du public au tribunal, est resté après sa journée de travail pour assister au concert. « C’est super pour un néophyte comme moi. Ça me rappelle mes cours à l’école où on faisait de la musique classique », s’enthousiasme-t-il. Les policiers chargés de la sécurité du tribunal sont eux aussi transportés par le concert et admiratifs des musiciens. « Je ne savais pas que le président était un virtuose à ce point-là », dit l’un d’eux, amateur de musique classique, avant de parler des « gens brillants » qui composent l’institution. Surtout, ce spectacle leur permet de porter un nouveau regard sur la salle des assises : « Ça dédramatise et ça nous sort un peu de la violence à laquelle on est confrontés ». Pour les organisateurs, le choix de cette salle est avant tout pragmatique – c’est la plus grande du tribunal, et donc la plus adaptée à accueillir un piano à queue en son sein – mais une bonne partie du public ne peut s’empêcher d’y voir un symbole. Pour ne rien gâcher, « l’acoustique est bonne », sourit la pianiste, Paule Nebout.

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