Anne-Sophie Lépinard : «Savoir reconnaître, c’est déjà combattre le harcèlement »

Publié le 24/10/2024
Anne-Sophie Lépinard : «Savoir reconnaître, c’est déjà combattre le harcèlement »
Iryna/AdobeStock

Dans le cadre de la Journée du droit dans les collèges, Me Anne-Sophie Lépinard s’est déplacée dans une classe de cinquième du collège Renoir de Boulogne-Billancourt… qui était dans les starting-blocks.

Pour la septième édition, la Journée du droit organisée par le ministère de l’Éducation nationale et le Conseil national des barreaux en partenariat avec l’association InitiaDroit a mobilisé des milliers d’avocats dans tout le pays pour se rendre au chevet des collégiens. Il fallait bien une deuxième édition consacrée au harcèlement scolaire et aux discriminations à l’école pour enfoncer le clou. Une des missions de l’école est de former les élèves à devenir des citoyens responsables. Voilà pourquoi en sixième, en cours d’éducation morale et civique (EMC), les enfants réfléchissent à leur rôle dans le maintien de la démocratie, sur l’égalité entre les citoyens, sur la lutte contre les discriminations et pour la liberté individuelle. Au-delà des cours en eux-mêmes, l’intervention de personnalités extérieures est toujours positive et suscite un moment particulier dans le parcours de réflexion des enfants, mobilisés et responsabilisés. Chaque avocat qui se déplace est armé s’il le souhaite de ressources pédagogiques bien ficelées, proposant des rappels, des textes butoir, des mises en situations, ainsi que les outils pédagogiques du Défenseur des droits sur le thème du harcèlement et de la discrimination.

Au micro d’Europe 1, la présidente du Conseil national des barreaux, Julie Couturier affirmait être convaincue qu’une deuxième édition consacrée à la question du harcèlement était capitale. « Nous en avons fait une cause nationale, cette année, compte tenu des chiffres annoncés par le ministère de l’Éducation nationale qui comptabilise l’année passée près de 800 000 cas d’enfants victimes de harcèlement ! Il faut expliquer aux enfants, que le droit c’est la règle du jeu, que chacun d’entre eux est un sujet du droit. Il est capital qu’ils sachent que la loi est là pour les protéger, est en mesure de sanctionner des comportements qui les atteignent ». L’avocate, qui est intervenue dans un lycée parisien, affirme : « d’année en année, grâce à la mise en place de nombreux dispositifs de sensibilisation, nous assistons à une prise de conscience sur le harcèlement scolaire à tous les niveaux de l’administration et cela ruisselle jusqu’aux élèves. Il faut continuer de libérer la parole des enfants ».

Lutter contre la loi du silence dans le royaume où elle règne

C’est parce que la Journée du droit est un outil de plus pour briser la loi du silence que l’avocate Anne-Sophie Lépinard a décidé de s’investir de nouveau dans la Journée du droit. Exerçant à Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine, elle intervient principalement devant les tribunaux judiciaires de Nanterre et de Paris et devant les cours d’appel de Versailles et de Paris en se spécialisant sur l’accès au droit pour toutes et tous. Pendant deux heures, elle a rencontré une classe de cinquième, divisée en demi-groupes pour faciliter les prises de parole. Elle répond à nos questions à la sortie de la rencontre. « Les élèves étaient très attentifs, les échanges ont été très fructueux et dynamiques », nous dit-elle. « D’habitude, on doit revenir sur une base, mais dans l’établissement des dispositifs avaient déjà été mis en place, avec des ambassadeurs, des processus avec le médiateur suite à la loi de 2022 pénalisant le harcèlement scolaire et cela s’est senti chez les élèves ». La loi du 2 mars 2022 (C. pén., art. 222-33-2-3) vise à combattre le harcèlement scolaire et prévoit la création d’un nouveau délit de harcèlement scolaire. Cette loi fait suite à la tragique affaire Marion Fraisse, collégienne de 13 ans qui s’est suicidée en 2013 après avoir fait l’objet de harcèlement de la part de ses camarades de classe. La répétition peut être le fait d’un auteur ou de plusieurs auteurs agissant de manière concertée ou non mais qui savent que leur action collective caractérise une répétition. Des peines spécifiques tenant compte du nombre d’ITT sont prévues : jusqu’à dix ans d’emprisonnement en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime, plus une amende pouvant aller jusqu’à 150 000 euros. En outre, la loi prévoit que « les établissements d’enseignement scolaire et supérieur publics et privés ainsi que le réseau des œuvres universitaires prennent les mesures appropriées visant à lutter contre le harcèlement dans le cadre scolaire et universitaire ».

Bénévole à l’association InitiaDroit depuis très longtemps, l’avocate est habituée à intervenir dans des cadres divers pour sensibiliser les citoyens à l’accès au droit. Pour les collégiens, elle a particulièrement à cœur d’agir pour prévenir. « J’ai particulièrement pris conscience de notre rôle au moment du partenariat monté entre le barreau et InitiaDroit, à l’époque j’étais membre du Conseil de l’ordre. Ces interventions sont à la périphérie de notre métier. Concernant la Journée du droit, le rôle des avocats est aussi d’aider à comprendre les limites et les conséquences de ses actions et à prévenir les phénomènes. Le fait qu’un professionnel du droit se déplace auprès d’eux et de leurs professeurs permet aux élèves de diversifier leurs apprentissages. Enfants, adultes vont tous ramener dans leur univers familial ce qu’ils auront appris et cela pourra créer le débat en famille ».

Guidée par les questions des élèves, l’avocate a insisté sur l’implication de chacun dans la chaîne du harcèlement. « Il y a eu des questions sur comment arrêter le harcèlement, sur la prévention des mécanismes mais aussi des questions spécifiques sur le cyberharcèlement. Un élève a même demandé si arrêter les réseaux sociaux était la meilleure solution pour ne pas s’exposer ni ne participer. C’est intéressant de décortiquer ensemble les mécanismes de reproductions, de réfléchir aux curseurs qui poussent au harcèlement, revenir sur les registres de discrimination. Savoir reconnaître, c’est déjà combattre le harcèlement. Il est important aussi de rappeler aux élèves que si les parents sont responsables civilement la responsabilité pénale reste. Si le législateur avance, nous devons aussi assurer une vision collégiale des choses sur le terrain et la Journée du droit permet cela ».

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