Audience de rentrée du tribunal de commerce de Créteil : une année 2019 aux indicateurs économiques positifs
C’est sur des chiffres encourageants, qui confirment l’amélioration de la santé économique du département, que l’année judiciaire 2020 du tribunal de commerce de Créteil a débuté. L’audience de rentrée a été l’occasion de formuler deux vœux : encourager encore davantage la prévention et lancer une réflexion sur l’opportunité de revoir la compétence de la juridiction, forte de ses 15 000 décisions annuelles rendues.
Donnant le point de vue du ministère public, la procureure adjointe, Amélie Cladière, a commencé son allocution par des propos rassurants concernant la santé économique du Val-de-Marne. « Malgré le cumul de deux années où les événements sociaux et politiques ont entravé, parfois sévèrement, les échanges économiques en Ile-de-France, le nombre de procédures collectives a baissé de 10 % entre 2018 et 2019, ce qui nous ramène au chiffre de 2017, qui s’inscrivait lui-même dans une baisse régulière des ouvertures de procédures collectives depuis plusieurs années. De cet indicateur, on peut en tirer que la conjecture se maintient comme favorable », a-t-elle analysé. Sur cette question, le président du tribunal François Bursaux, a confirmé sa déclaration. « Les injonctions de payer sont en forte baisse », signe d’une « meilleure santé économique ». Il a noté un « meilleur paiement des factures, conséquence du très fort alourdissement des pénalités et frais de retard voulu par le législateur. En matière de traitement des difficultés des entreprises, le nombre d’ouverture des procédures » en baisse traduit « une meilleure santé économique du département ».
Le vœu de renforcer la prévention
Malgré ces indicateurs encourageants, un consensus autour de la nécessité de développer et faire connaître davantage les outils aidant à la prévention, a émergé des préoccupations, tant du côté de la procureure, que du côté de la présidence. « Si le nombre de mandats ad hoc et conciliations a aussi baissé, dans les mêmes proportions [que les ouvertures de procédures collectives], cela ne traduit aucun fléchissement des outils de prévention, même si on aimerait plutôt les voir croître. Au niveau national, ces procédures connaissent un grand succès, et le taux de réussite sur les dix dernières années sur tout le territoire atteint les 75 % », a encore précisé la procureure.
Pour le président, « ces outils (…) sont mal connus voire craints alors qu’ils sont efficaces. De même, la prévention par désignation d’un mandataire ad hoc ou par ouverture d’une conciliation reste trop confidentielle alors qu’il s’agit d’outils puissants et surtout efficaces pour faire face aux difficultés lorsque ces procédures sont mises en place assez tôt ». Un paradoxe, alors que la France « est d’ailleurs plutôt en avance au regard des préconisations de la récente directive européenne ».
Ainsi, avec l’appui d’un vice-président honoraire du tribunal, a-t-il pour but pour cette nouvelle année judiciaire « d’affiner les critères de convocation en entretien de prévention de façon à mieux les cibler, avec l’intention d’accroître la mise en place de mesures de prévention ». François Bursaux a réaffirmé sa totale mise à disposition de tous les chefs d’entreprise, notamment les petites qui en sont moins familières, qui voudront bénéficier d’une de ces procédures pour les mettre en place. Car au niveau des résultats, « l’année 2019 a permis de significatifs sauvetages d’entreprises dont on ne dira pas le nom car il s’agit de procédures confidentielles ». Des signaux positifs sont apparus en 2019, avec, par exemple, « les convocations de dirigeants d’entreprises donnant des signaux de faiblesse » en augmentation. « Espérons que l’information donnée à cette occasion permettra de progresser vers des dispositifs de prévention », a-t-il conclu sur ce point.
Enfin concernant les modes alternatifs de règlement des différends, le président a annoncé pour 2020 la nomination d’un « juge délégué à cette mission », et conformément au décret réformant la procédure civile, a insisté sur sa bonne volonté à « assurer qu’une conciliation a bien été tentée avant toute procédure contentieuse (…). Nous espérons ainsi que les conciliations se généraliseront car nous savons qu’elles sont efficaces (20 à 30 % de résultat) ».
Par ailleurs, François Bursaux a déclaré que plutôt que de limiter aux seules injonctions de payer, il pense « que tous les petits litiges peuvent se résoudre par la conciliation, que lorsque des cautions sont poursuivies, des arrangements peuvent être trouvés en matière de délais de paiement en lieu et place d’un brutal titre exécutoire ». Sans compter qu’il « apparaît que les litiges entre associés ont infiniment plus de chance de se résoudre sous l’égide d’un bon conciliateur que par la voie judiciaire ».
La question des compétences du tribunal de commerce de Créteil
Amélie Cladière a ébauché deux réflexions principales qui se sont dégagées de l’année 2019. La première concernait les inquiétudes suscitées par l’exercice illégal de la profession d’expert-comptable. « C’est à l’occasion d’un redressement fiscal, d’une assignation voire de poursuites pénales, que l’on mesure la capacité de nuire de ces officines qui prétendent tenir la comptabilité », a-t-elle taclé. À ses yeux, « qu’il s’agisse, pour un chef d’entreprise de bonne foi, de faire des économies en ayant recours à un service discount, ou d’un chef d’entreprise indélicat qui trouve dans ce « comptable » un auxiliaire commode de ces turpitudes, c’est un phénomène non négligeable contre lequel il faut agir avec énergie ». Elle a communiqué des chiffres préoccupants, montrant que sur les 6 500 experts-comptables inscrits à l’Ordre des experts-comptables d’Ile-de-France, environ 500 entités exerceraient illégalement dans le département. Certes, « l’infraction n’est pas facile à caractériser », sans compter que les services d’enquête ne sont bien souvent pas spécialisés. Ainsi, « le parquet pénal de Créteil a ouvert huit enquêtes pénales en 2019 et a rédigé des fiches techniques à destination des enquêteurs. Afin d’intensifier ce travail, nous communiquerons aux magistrats du tribunal de commerce, ainsi qu’aux administrateurs judiciaires, en 2020 une grille de lecture des situations pouvant alerter sur l’exercice illégal de la profession et une lettre type de signalement », a-t-elle précisé, afin de renforcer l’action du parquet sur ce terrain.
Sa seconde réflexion prenait plutôt la forme d’une série d’interrogations « sur l’opportunité de revoir la compétence de ce tribunal de commerce ». Elle a rappelé que les trois tribunaux de commerce de Nanterre, de Bobigny et de Créteil ont naturellement pris leur place dans le paysage économique et judiciaire dès leur création, alors dimensionnés pour l’activité de ces trois départements. Mais aujourd’hui, « il ressort des indicateurs d’activités, que le tribunal de Créteil se place parmi les dix plus grands tribunaux de France ». Or la spécialisation des tribunaux de commerce (selon la loi du 6 août 2015) a été instituée en France pour 18 tribunaux de commerce, ce qui leur confère une compétence pour les procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation pour entreprises avec plus de 250 salariés et un chiffre d’affaires supérieur à 20 millions, ou supérieur à 40 millions d’euros. « Les compétences sont là, les besoins sont là, le dimensionnement est là. Parmi les 10 premiers tribunaux de France, quelques unités dont surtout Créteil, ne dispose pas de cette compétence » a-t-elle regretté, alors que 11 tribunaux ont une activité inférieure à Créteil et bénéficient de cette compétence. C’est pour soulever cette incohérence que la procureure a formulé ses vœux pour que cette question soit posée, mettant en avant les effets contre-productifs de cette situation. « En cas de déclenchement d’alerte, toute la phase préventive (mandat ad hoc, conciliation) relative à la prévention de la difficulté se déclenche à Créteil. Mais si par malheur, vous passez en procédure collective, alors en 24 heures parfois, vous changez de juridiction », faisant perdre fluidité et efficacité au dispositif. « Le parquet, les juges, le greffe, seront de nouveaux interlocuteurs pour les dirigeants et les organes de la prévention, et n’auront pas l’historique du dossier. Et de même si, par bonheur, c’est un projet de cession qui a été activement préparé en amont de l’ouverture d’une procédure collective, le dossier ne sera ouvert à Bobigny que pour valider une cession résultant de l’appel d’offres préparé à Créteil », a-t-elle complété.
Le président l’a chaleureusement remerciée pour ses propos, évoquant le sentiment d’amertume des juges, très engagés dans leur mission. « Ils regrettent seulement que leur implication, les résultats qu’ils ont obtenus, la publication de certains de leurs jugements n’aient pas permis à Créteil de figurer parmi les tribunaux dits spécialisés, traitant des difficultés des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros ». Il a formulé le souhait que « son message [soit] entendu par la Chancellerie », appuyant le souhait d’Amélie Cladière d’un « retour de la pleine compétence au tribunal de commerce de Créteil pour les sociétés commerciales de son ressort ».
Les conséquences de la réforme de la judicature
L’un des points les plus marquants de l’année, comme l’a souligné François Bursaux, « a été la réplique, deux ans plus tard, de l’onde de choc créé par l’interdiction de poursuivre une judicature au-delà de l’âge de 75 ans et par le déficit de compétence qui en a été la conséquence ». En conséquences de quoi : des chambres trop lourdes, des présidents de délibérés trop peu nombreux et un pourcentage trop élevé de juges récents dans les Chambres. En 2019, compte tenu des départs pour convenance personnelle, de non-renouvellements de mandat, le tribunal a été conduit à faire appel à candidature pour huit postes, atteignant un taux de renouvellement de plus de 15 % « alors qu’un rythme de croisière devrait le situer entre 5 et 10 % », a-t-il précisé.
Mais le tribunal n’a pas vécu que des changements. Certains « axes de progrès et les principaux chantiers pour 2020 se placent dans la continuité de ceux de 2019 », au premier titre desquels la poursuite de la dématérialisation des procédures et l’accès aux bases des données. « La Chancellerie, la Conférence générale des tribunaux et le Conseil national des greffes collaborent à l’évolution vers le tribunal numérique. Ce tribunal numérique existe déjà au niveau de l’enregistrement des assignations. Nous travaillons au sein de la commission spécialisée de la conférence générale pour poursuivre vers la dématérialisation des procédures », a indiqué François Bursaux.
Mais les questions essentielles de recrutement, de formation des juges nouveaux et anciens et du suivi permanent de l’évolution du droit commercial, constituent une autre priorité : le président a ainsi souligné l’importance de la formation, chapeautée par l’ancienne présidente du tribunal Françoise Gambier, notamment mise à disposition des six nouveaux juges : désignation d’un tuteur pour chaque nouveau juge, mise en place d’un nouvel outil « styles du tribunal » qui formalise, homogénéise et synthétise les dispositifs de nos principaux types de jugement, sans oublier des formations à l’utilisation des grandes bases de données juridiques ont été organisées pour les nouveaux juges comme pour les juges anciens de façon à faciliter l’accès et l’usage de ces outils qui connaissent un développement exponentiel.