Audience solennelle au TAE de Versailles : remettre le tribunal au cœur de la prévention

Le 20 janvier dernier, le tout nouveau tribunal des activités économiques de Versailles a fait sa première rentrée dans une période rendue ardue par la fin des délais de remboursement des PGE liés à la période Covid.
Au tout début de l’avenue de Paris, à Versailles, même le plus gris des après-midi d’hiver semble briller sous les ors du flamboyant château. Comme si la banqueroute ne pouvait pas exister sous le haut patronage du Roi Soleil. Et pourtant, le tribunal des affaires économiques de la préfecture des Yvelines, ne chôme pas. Le tribunal a dû accepter cette année 1 060 affaires nouvelles (contre 731 en 2020), gérer un stock de 699 affaires (contre 476 en 2020). Les ordonnances d’injonction de payer ont elles plus que doublé en quatre ans. Les ouvertures en liquidations judiciaires ont, quant à elles, presque triplé. Dans la petite salle d’audience, décorée de tapisseries d’inspirations moyenâgeuse dévoilant d’éclatants spécimens de la faune et de la flore, le tribunal et ses greffiers reçoivent en tenue, les personnalités du tissu économique et judiciaire local. Gérard Larcher, président du Sénat, a fait le déplacement, serre les mains avec entrain sous le regard du procureur de la République, Maryvonne Caillibotte (avant son départ de la juridiction) et du président du tribunal, Bruno Duranthon, qui à la ville est ingénieur agronome à la tête d’une société qui développe et commercialise des logiciels destinés à la nutrition animale dans le secteur agricole. Un secteur que l’activité du tribunal l’a amené à retrouver cette année.
Sang neuf et grandes nouveautés
Dès le début de son discours, le président du tribunal a souhaité saluer l’arrivée de seize nouveaux collègues “aux profils variés” tout en insistant sur la parité de cette sélection. “Vous apportez avec vous une diversité de parcours professionnels qui viendra enrichir nos débats et renforcer notre capacité à répondre aux attentes des justiciables. Votre expérience constituera sans nul doute un atout majeur pour notre juridiction. Les fonctions que vous allez exercer au sein de notre tribunal sont exigeantes et nécessitent un plein engagement de votre part, en particulier l’obligation de formation et l’assiduité, telle que celle que vous avez montrée, est un impératif : un juge ignorant est un juge incompétent”, souligne le juge qui n’oublie pas de saluer les départs de Xavier Aubry et Marc Tazé-Bernard, qui auront passé de nombreuses années à exercer dans le tribunal. Le président entre dans son discours en rappelant l’augmentation intense de bien des activités en matière de contentieux et de procédures collectives. Il prend quelques minutes déjà pour montrer combien le tribunal est fort de jugements peu contestés : 96 % des jugements rendus n’offrent soit pas de contestation, soit sont confirmés en appel. Concernant l’augmentation modérée du nombre de procédures au fond, en augmentation de près de 8 % et celle subséquente du stock d’affaires à juger, le président regrette que les délais de mise en état soient encore trop élevés : “nous formons le souhait que les riches échanges que nous avons avec le Barreau à cet égard permettront de les réduire”, promet-il.
Concernant l’explosion des procédures collectives de plus de 30% entre 2023 et 2024, il considère que cela correspond à la “dégradation du tissu économique du ressort” mais tient à souligner deux choses positives malgré tout : la baisse du nombre d’emplois impactés, dans un premier temps (passant de 1 870 à 1 084) et qui laisse entendre que ce sont surtout des entreprises de petites tailles ou unipersonnelles qui sont touchées, même si au deuxième semestre des entreprises de plus grande taille ont elles aussi été touchées. Il tient également à préciser que mécaniquement le nombre de procédures a augmenté parce que les créations d’entreprises ont elles aussi augmenté : “le nombre de nouvelles entreprises créées est le plus élevé observé depuis 2020 avec 6 410 nouvelles entreprises créées cette année le solde net de création d’entreprises et de radiation reste largement positif, quoique passant d’environ 2 000 nouvelles entreprises au cours des quatre années précédentes à un peu plus de 1 500 cette année, signe du dynamisme économique persistant de notre ressort”, souligne-t-il.
Dans son discours, la procureur de la République, Maryvonne Caillibotte, tient elle aussi à évoquer les chiffres. “Sans surprise, ce sont les procédures en liquidation judiciaire qui ont considérablement augmenté en volume passant, entre 2022 et 2024 de 551 à 903 soit une augmentation de 64 % ; les procédures en redressement judiciaire représentent le deuxième volume le plus important des procédures ouvertes, passant entre 2022 et 2024 de 123 à 281, soit une progression de 128 %”, énumère-t-elle choisissant de jouer la carte de la philosophie. “Depuis la sortie du Covid, Monsieur le président, cette augmentation était annoncée et finalement repoussée. 2024 consacre, et ces chiffres de démontrent, les conséquences de la fin des PGE qui occupent déjà et occuperont beaucoup votre tribunal et ce qui n’est pas sans conséquence sur la position du parquet”. La magistrate rappelle que dans ce contexte il a été décidé de réactiver la troisième chambre de procédures collectives qui avait été mise en suspens pendant la période du Covid et post-covid compte tenu du faible nombre de défaillance d’entreprises constaté à ce moment.
Un effort sur la prévention qui reste à creuser
Une initiative salutaire qui rappelle combien la prévention est au cœur du travail du tribunal de commerce. Dans son discours, Bruno Duranthon mentionne un récent rapport de la Cour des comptes, en date du 20 septembre 2024 relatif à la détection et au traitement des difficultés des TPE et PME, qui a mis en lumière la multiplicité des acteurs intervenant dans le domaine et la relative inefficacité, selon elle, des dispositifs en place. Pour répondre à cette remarque, le président choisit de souligner que ces dispositifs, outre leur complexité d’accès, abordent les difficultés des entreprises sous l’angle restrictif des dettes fiscales et sociales, sans impliquer l’ensemble des parties prenantes telles que les clients, les fournisseurs ou encore les banques. Selon la Cour, explique-t-il, il conviendrait de s’appuyer davantage sur les tribunaux de commerce, qui apparaissent comme des acteurs naturels de la prévention. En rappelant que parmi les 14 306 entretiens de prévention recensés dans le rapport de la Cour des comptes, plus de 1 155 convocations ont été émises par son tribunal, le président assure que la prévention restera au cœur de son action avec un écueil principal : convaincre les chefs d’entreprise de franchir la porte du tribunal, une démarche qui n’est jamais naturelle lorsqu’une difficulté survient.
Le tribunal des affaires économiques
Comme l’on pouvait s’y attendre, le président prend quelques minutes pour rappeler que janvier 2025 rime avec TAE. “L’année 2024 a été marquée par une décision importante et dont nous nous réjouissons, concernant directement notre tribunal qui, par arrêté du 5 juillet 2024, a été désigné comme tribunal des activités économiques (TAE), aux côtés de onze autres juridictions, dans le cadre d’une expérimentation d’une durée de quatre années. À compter du 1er janvier 2025, notre compétence s’est étendue aux procédures collectives concernant les associations, les agriculteurs, et les professions libérales – à l’exception des professions réglementées du droit”.
La Cour est désormais également compétente pour les actions et contestations relatives aux baux commerciaux présentant un lien de connexité avec ces procédures et accueille quatre nouveaux assesseurs, exerçant la profession d’exploitant agricole. Une présence galvanisante pour le président, dont l’activité professionnelle touche au monde agricole : “leur présence parmi nous sera un atout précieux pour appréhender les problématiques spécifiques aux acteurs du monde agricole confrontés à des difficultés économiques, ils seront les bienvenus et nous sommes convaincus qu’ils contribueront à éclairer nos décisions avec justesse”.
Séparer le bon grain de l’ivraie
Le président a souhaité mentionner dans son discours la tenue du registre des bénéficiaires effectifs. Cet outil permet d’identifier les personnes physiques exerçant un contrôle sur une société, et s’avère être d’une importance capitale dans la lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent. Cela donne au tribunal un rôle de police économique. “Grâce au travail considérable réalisé par le greffe, plus de 12 000 ordonnances ayant été rendues, sur autant de requêtes du parquet, le taux de déclarations a connu une progression très significative, passant de 70 % en 2023 à 91 % aujourd’hui. Toutefois, il reste encore 6 000 entreprises qui n’ont pas été touchées”.
Le président a soulevé combien la collaboration avec les juridictions est capitale pour travailler efficacement : “c’est par une relation permanente entre notre juridiction et les services de la police aux frontières et de la cellule de la fraude documentaire de la Préfecture de police de Paris que nous avons rendu, en 2024, près de 350 ordonnances de radiations d’immatriculations frauduleuses qui avaient été réalisées au moyen soit de pièces d’identité ou de titres de séjours falsifiés, usurpés ou totalement frauduleux, soit de faux certificats de dépositaires des fonds”. Il s’est adressé au successeur de Maryvonne Caillibotte, qui devra poursuivre l’œuvre de sa prédécesseure pour “ assurer l’égalité de tous devant la loi et garantir la lutte contre les pratiques illicites et ainsi préserver l’intégrité du système économique”.
La procureur de la République a rappelé dans son discours l’engagement du parquet en la matière : “le suivi des procédures collectives crée les conditions d’un dialogue très constructif tant avec les dirigeants, qu’avec le greffe et vos présidents, permettant encore plus finement de séparer le bon grain de l’ivraie : l’identification des dirigeants fictifs, des coquilles vides, l’existence de travail dissimulé permet de faire disparaître les sociétés crapuleuses et ainsi de tarir les flux d’argent partant à l’étranger”, a-t-elle expliqué avant de rappeler le rôle du parquet en matière d’ordre public économique : “cela se traduit par 23 requêtes en sanctions commerciales (soit un peu moins qu’en 2023 [28], ce qui est logique compte tenu du décalage entre le moment du jugement et celui la procédure), qui ont donné lieu à 14 interdictions de gérer, 6 faillites personnelles et 3 sanctions patrimoniales”.
De meilleurs outils pour une meilleure communication et une responsabilité du contribuable
Une meilleure communication permet de travailler plus efficacement. Et parfois, cela peut se faire assez facilement. C’est pourquoi, la procureur de la République a tenu à préciser qu’une adresse de messagerie spécifique a été mise en place, “porte d’entrée directe auprès des magistrats du parquet sans le filtre du greffe permettant de répondre utilement aux sollicitations des mandataires et administrateurs avant l’audience y compris dans des délais très courts (jusqu’à une heure avant l’audience”.
De son côté, le président s’est ému de la situation compliquée de la mise en œuvre du Guichet unique des formalités des entreprises. “Serait-il arrivé, enfin, à un stade opérationnel ? Pour rappel, il devait l’être pleinement en juillet 2021. En février 2023, face à un blocage complet de la plateforme de l’INPI, la plateforme d’Infogreffe était remise en service, dans le cadre d’une procédure dite de continuité, avec injonction faite à l’INPI de remédier aux difficultés rencontrées avant le 30 juin 2024”. Le président tient à rappeler combien la défaillance d’un tel système a pu avoir un retentissement sur l’activité de son tribunal : “je tiens à souligner les conséquences concrètes, en ce qui concerne l’accueil au guichet du registre du commerce et des sociétés. En effet, plus aucune démarche ne pouvant être effectuée directement au guichet, l’accueil des déclarants est devenu sans objet, sauf à les recevoir pour leur confirmer que rien ne peut être fait pour eux hors le Guichet unique. Un tel accueil a été maintenu durant les premiers jours de janvier, mais, face à des manifestations d’agressivité d’usager exaspéré et à l’impossibilité de fournir une solution aux difficultés rencontrées, nous avons dû suspendre l’accueil du public pour la réalisation des formalités d’entreprise”, a-t-il précisé.
La contribution financière à une justice économique : ironique ?
La loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, qui a institué les tribunaux des activités économiques (TAE) a également instauré, à titre expérimental, une contribution pour la justice économique, versée par la partie demanderesse, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, pour chaque instance introduite devant le tribunal des activités économiques. Une initiative qui laisse le président circonspect : “Le demandeur devra s’acquitter de cette contribution, au-delà d’un certain quantum de demande – supérieure à 50 000 € -, de taille d’entreprise – plus de 250 salariés – et de résultats moyens sur les trois derniers exercices – ou de ses revenus, si le demandeur est une personne physique. À défaut la demande pourra, même d’office, être déclarée irrecevable par le juge. Nous émettons le vœu que cette contribution ne conduise pas à écarter les justiciables de nos juridictions au profit d’autres juridictions non soumises à cette obligation et que sa mise en place reste compatible avec les exigences de rapidité qui sont les nôtres concernant la mise en état des affaires contentieuses. Le temps de la justice commercial doit, c’est un impératif, être compatible avec le temps des entreprises au service desquelles elle œuvre”.
Bruno Duranthon évoque aussi une “certaine ironie à contribuer financièrement à une justice économique rendue par des juges bénévoles qui doivent supporter des frais relatifs à leur engagement”. Une situation loin d’être acceptable selon lui. La salle, qui bruisse, semble être du même avis. “Les juges de ce tribunal exercent bénévolement avec passion et compétence leurs fonctions et je salue leur implication et leur dévouement qui les poussent à sacrifier de leur temps libre ou à prendre sur leur temps professionnel pour le service du tissu économique et des entrepreneurs”, a appuyé le président avant d’inviter la salle à profiter d’un cocktail à la santé, si ce n’est du Roi Soleil, de meilleurs lendemains.
Référence : AJU017a2
