Yvelines (78)

Audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Versailles : entre émotion et optimisme

Publié le 21/02/2023
Audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Versailles : entre émotion et optimisme
Audience solennelle du 17 janvier 2023. ©Robin MURACCIOLE

La cour d’appel de Versailles s’est prêtée au jeu de l’audience solennelle de rentrée. Une procédure réglée comme du papier à musique qui, tout en rappelant le bilan de la cour et les défis à venir, a laissé la place à l’émotion.

Ils étaient plus de 160, triés sur le volet, invités à assister à l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Versailles, ce 17 janvier dernier. Le maire de Versailles, la secrétaire générale du ministère de la Justice, les représentants des différentes juridictions administratives, l’Inspecteur général de la justice, les directeurs des différents tribunaux judiciaires, les officiers de gendarmerie et, bien sûr, le procureur général près la Cour de cassation, François Molins. Ils étaient tous là pour écouter un bilan, pour entendre des perspectives.

Une audience dédiée à la mémoire de Marie Truchet

Mais l’extraordinaire s’est invité dans la procédure bien huilée. Passés les habituels remerciements, le premier président, Jean-François Beynel, a eu un mot pour Marie Truchet, 44 ans, vice-présidente au tribunal judiciaire de Nanterre, décédée le 18 octobre dernier en pleine audience de comparution immédiate. Le procureur général s’est associé à cet hommage. Marie Truchet présidait une journée qui s’annonçait particulièrement dense, dans la salle numéro 4 du grand bâtiment noir et gris construit dans les années 1970. Neuf affaires devaient être jugées, dont un vol aggravé, un dossier de proxénétisme, une apologie du terrorisme. La présidente avait envoyé un texto à sa sœur le matin pour dire qu’elle était « sous l’eau des CI ». Sept prévenus attendaient dans les coulisses quand la juge fut foudroyée par un accident cardiovasculaire, laissant les deux assesseurs et la greffière dans une panique inédite. Elle est la première juge à mourir en pleine audience alors que, depuis de longs mois, les magistrats ne faisaient pas secret des souffrances qu’ils et elles enduraient au quotidien, à cause de la multiplication des contentieux, du manque de personnel et plus généralement du manque de moyens alloués à la justice : le premier livre blanc sur la souffrance des magistrats date de 2015. Son décès a été un traumatisme pour toute la communauté judiciaire.

Jean-François Beynel a tenu à consacrer quelques minutes à sa mémoire dans son discours : « Elle a occupé plusieurs postes dans le ressort et était appréciée de tous : très engagée dans son travail, solidaire avec ses collègues, sachant conseiller et sachant écouter les autres, elle était très investie dans la formation de nos jeunes collègues. Ce décès, pour la juridiction de Nanterre, pour celles de la cour d’appel et pour les magistrats et greffiers de France, est violent et traumatisant au plus haut point ; ce décès a été, et est toujours, l’occasion d’une vaste remise en cause, nécessaire, de nos organisations et de nos méthodes » ! Le magistrat a voulu profiter de cet hommage pour saluer l’élan de solidarité qui s’est mis en place de façon spontanée : « De nombreux collègues, à la cour et dans les tribunaux de ressort, se sont mis à la disposition du tribunal de Nanterre, je les remercie vivement et chaleureusement. Il a été démontré une très grande conscience professionnelle des magistrats et des greffiers de Nanterre qui, dans la douleur, ont tenu bon ». Signe qu’il s’agissait d’un moment suspendu, le premier président est allé jusqu’à citer l’épître de Paul aux Hébreux : « Cette espérance nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide ; elle pénètre au-delà du voile du drame ». Afin de dissiper la morosité qui gagnait son auditoire, il a insisté sur les procédures lancées pour qu’un tel drame ne se reproduise pas : « Le temps des analyses et des solutions pérennes est arrivé, nous travaillons à la fois avec le tribunal mais aussi avec l’Inspection générale de la justice qui a engagé un travail de mise à plat et avec le Conseil supérieur de la magistrature qui s’est déplacé récemment pour une mission spéciale ».

2022, cold cases, tutorat et main tendue à l’Université

Un temps a été consacré à rappeler que 2022, fut l’année de la création, le 1er mars précisément, du pôle de lutte contre les crimes sériels ou non élucidés au tribunal judiciaire de Nanterre. Créé par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, le pôle est compétent pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement de certains crimes commis ou susceptibles d’avoir été commis de manière répétée à des dates différentes par une même personne à l’encontre de différentes victimes ou parce que leur auteur n’a pas pu être identifié plus de 18 mois après les faits.

Autre action à noter pour 2022, la mise en place d’un tutorat dès septembre, pour les magistrats qui commencent leur carrière. Une procédure salvatrice, dans un contexte aussi difficile où le pessimisme peut doucher bien des enthousiasmes. Les modalités du tutorat peuvent différer mais il s’agit surtout d’une transmission de connaissance, de compétences, de bonnes pratiques des pairs pour permettre au jeune magistrat de trouver sa place dans son nouvel environnement professionnel. Les candidats au rôle de tuteurs ont reçu une formation en ligne pour accompagner au mieux celles et ceux qu’ils seraient amenés à prendre sous leurs ailes.

En octobre dernier, la Journée du droit s’est tenue sur le thème : « L’État de droit en Europe et ses évolutions », à l’occasion de l’anniversaire de la Constitution de 1958, une opération en collaboration entre la cour d’appel de Versailles, le tribunal judiciaire de Versailles, la cour administrative d’appel, le tribunal administratif de Versailles et le barreau des Yvelines. Il s’agit d’un moment d’échanges entre magistrats de l’ordre judiciaire et administratif, avocats, professeurs, étudiants et le public. Cette opération, en partenariat avec l’université de Versailles-Saint-Quentin (UVSQ) va dans la direction des chantiers 2023 de la cour d’appel, qui souhaite multiplier les partenariats avec les universités du ressort afin notamment de repérer les bons profils d’étudiants et les garder sur le territoire.

Nouvelles installations et constats répétitifs

Moment toujours solennel, l’installation de six nouveaux magistrats a été annoncée : deux présidentes de chambre, Claire Estevenet et Sophie Macé ; trois conseillers, Yves Gaudin, Valérie Tallonne et Marietta Chaumet et une juge placée, Ève-Line Bernardi. Ils viennent renforcer les effectifs de 533 magistrats (effectifs réels) épaulés de 31 magistrats à titre temporaire. À l’occasion de cette annonce, le président a souhaité saluer sa collègue Lucie Grasset, conseillère à la cour, qui prend sa retraite après huit ans à la cour. Le premier président a mis en lumière l’activité soutenue de la cour (539 jours d’audience, comparé à 428,5 en 2021) qui lui a permis de réduire les délais de traitement des affaires et ses stocks. Cette tendance, très positive, est surtout marquée en matière civile et le président a tenu à saluer les magistrats et greffiers de sa juridiction.

Le procureur général a, quant à lui, souhaité rappeler le contexte de l’année 2022 et le constat, dressé par les États généraux en avril, d’une dégradation lente des conditions de travail, due à la multiplication des affaires et une complexification des procédures. Il a rappelé que l’audiencement criminel restait une préoccupation majeure (avec le contexte particulier de l’explosion des dossiers de violences intrafamiliales) et que les jours d’audience nécessaires pour absorber le stock ne cessent d’augmenter… sans moyens supplémentaires (toutes les statistiques sont à retrouver dans la plaquette ici). « En février 2022, il nous a manqué 40 jours d’audience de cour d’assises ou de cour criminelle pour faire face au stock. Aujourd’hui, il nous en manque plus de 120 pour faire face au stock actuel de 220 dossiers à juger », a-t-il indiqué. Si le procureur a identifié les solutions, qui consistent à créer plus d’audiences (ce qui suppose assez de salles et de magistrats), il estime se trouver dans une impasse. Le procureur général a enfin rappelé son inquiétude quant à la question des stocks en cours au sein des services enquêteurs (au nombre de 300 000 dont 283 000 au sein des services de sécurité publique de la police nationale avec 31 % des dossiers âgés de plus de 2 ans). Une situation difficilement acceptable pour le magistrat.

Comme un serpent de mer qui pointe souvent sa tête dans les audiences solennelles de rentrée, la surpopulation carcérale a été évoquée par le procureur général. « Que 2020 est loin, avec la diminution inédite de la surpopulation carcérale liée au premier choc de la crise sanitaire », a regretté Marc Cimamonti qui a égrainé les taux de surpopulation des centres pénitentiaires du ressort. 164 % de taux d’occupation au centre pénitentiaire de Nanterre (avec 43 cellules triplées), 157 % à Bois-d’Arcy (avec 48 cellules triplées), 150 % à la maison d’arrêt d’Osny soit un taux d’occupation de 137 % en moyenne. Une situation inadmissible mise en relief par les statistiques du ministère de la Justice publiées en décembre dernier.

Un beau discours et une médaille pour bien commencer l’année

En conclusion de son discours, et afin de rassembler les personnes présentes sur une note positive, le premier président a cité Léon Blum : « L’œuvre juste et nécessaire s’accomplira. Si jamais les misères et les vilenies du temps présent jetaient le trouble dans nos cœurs, eh bien, projetons nos regards au-delà de notre moment circonscrit de la durée vers le passé et l’avenir ; étendons la vue au-delà de notre canton étroit de l’espace vers le tout harmonieux de l’univers. Il ne s’agit pas d’oublier la tâche immédiate et de nous en divertir par de vaines contemplations. Nous ne sommes pas des rêveurs, nous n’avons pas les moyens de rêver ; mais le moment présent passera vers un avenir heureux ». Un moment heureux qui ne s’est pas fait beaucoup attendre.

Avant de convier les invités à quitter la salle, les chefs de cour ont tenu à récompenser au pied de l’estrade l’héroïsme de Dimitri Tchouani, agent de sécurité de la cour d’appel qui, le 24 août dernier avait intercepté un détenu dans la cour d’honneur qui s’était échappé de sa cellule par le toit. Il a reçu la médaille d’honneur des services judiciaires, échelon Or. Très touché, l’homme a été applaudi par toute la salle.

Audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Versailles : entre émotion et optimisme
Remise de médaille d’honneur des services judiciaires à Dimitri Tchouani. ©Robin MURACCIOLE
Plan