Audience solennelle de rentrée du TJ de Créteil : « Malgré les apparences, le rôle du juge reste essentiel »

Le 20 janvier dernier, le tribunal judiciaire de Créteil organisait son audience solennelle de rentrée. Un moment important pour dresser le bilan de l’année écoulée, mais aussi envisager les grandes « tendances » de 2025, entre manque de moyens, innovations juridiques et juridictionnelles. La présidente, Catherine Mathieu, arrivée en 2024 s’adonnait à l’exercice aux côtés du procureur de la République, Stéphane Hardouin.
« L’activité d’un tribunal est toujours le reflet des évolutions économiques et sociales d’un ressort », a déclaré la présidente, Catherine Mathieu en guise d’introduction. Malheureusement, tous les signaux étaient au rouge en ce qui concerne l’activité 2024. Au civil, la forte augmentation des saisines « n’est malheureusement pas une bonne nouvelle, parce qu’elle traduit judiciairement une crise économique qui s’installe », a-t-elle précisé, ciblant « nos concitoyens les plus précarisés (difficultés à rembourser des crédits, à régler son loyer, à faire face aux charges sociales…) ». Le contentieux du pôle social a donc augmenté de 20 %, celui des six tribunaux de proximité du Val-de-Marne de 10 à 30 %, celui du juge de l’exécution de + 11 % et celui de la troisième chambre civile du tribunal qui traite des baux commerciaux et professionnels, de 30 %. Cette hausse de l’activité, sans les postes de magistrats pourtant prévus par la loi de programmation budgétaire, a rendu l’activité très tendue. Dans ces conditions, la présidente a particulièrement remercié les seize juges des contentieux de la protection, juges de la proximité dans les tribunaux de proximité du ressort. « Six tribunaux de proximité, c’est pour le ressort une richesse qui incarne la proximité de la justice avec ceux qui en ont besoin », a-t-elle asséné. Avant de nuancer en expliquant que c’était « aussi un facteur de dispersion des moyens, qui se traduit régulièrement par des différences de délai de traitement des affaires entre tribunaux de proximité ». À cette problématique, elle répond par une mutualisation des moyens, « en la création d’audiences dans les tribunaux où les délais de traitement sont les plus longs ». L’activité du service correctionnel de la juridiction a également augmenté au cours de l’année 2024, notamment en lien avec les Jeux olympiques cet été.
Gagner encore en efficacité
Dans ce contexte, elle a souligné un questionnement sur le jugement en matière civile. « La volonté légitime d’améliorer les délais et de faire baisser les stocks d’affaires pourrait conduire à deux écueils : la tentation de la déjudiciarisation et une mauvaise compréhension du règlement amiable des différends ». Or la présidente met en garde : malgré les apparences, le rôle du juge reste essentiel car « l’office du juge ne réside pas seulement dans la solution qu’il donne au litige mais dans la garantie qu’il représente dans l’équilibre des forces en présence ». Si sa juridiction se sent pleinement investie dans les modes de règlement amiable des différends, il ne faut pas attendre d’eux « qu’ils fassent échapper au juge de nombreuses affaires et qu’il résolve ainsi nos problèmes de délais et de stocks ». Pour garder du temps, elle préconise le développement de l’équipe autour du magistrat mais aussi le recours raisonné à l’IA, « notamment s’appuyer sur des modèles de décision, si possible validés par les plus hautes autorités judiciaires, que le juge pourrait adapter à la situation et partager avec son greffe sans nouvelle manipulation ».
Lutte contre les violences intrafamiliales et la prostitution des mineurs
Catherine Mathieu a rappelé que le pôle correctionnel a incarné la priorité du ministère dans la lutte contre les violences intrafamiliales, entraînant, depuis sept ans, des transformations de fond dans l’organisation et le fonctionnement du service correctionnel. Les chiffres sont éloquents : entre 2017 et 2023, le jugement de ces infractions a augmenté de 140 %, les condamnations à des peines de prison ferme de 115 %, le quantum des peines prononcées en moyenne de 9,3 mois à 11, 7 mois. Début 2024, le pôle des violences intrafamiliales a été inauguré, preuve de la volonté du siège et du parquet de s’engager dans un traitement et un suivi personnalisés des affaires (ordonnances provisoires de protection immédiate, ordonnances de protection, saisine du juge des enfants pour la protection de l’enfance…) Sur la prostitution des mineurs, la présidente a trouvé une juridiction mobilisée, mais entend poursuivre les efforts en proposant une « une formation commune à tous les acteurs intéressés, les forces de l’ordre, les personnels éducatifs et sociaux, les personnels de l’éducation nationale en particulier infirmières et assistantes sociales scolaires et tous les partenaires associatifs ». Elle a affiché l’objectif d’un projet de « service dédié de prise en charge et d’accompagnement de ces jeunes victimes » dans le cadre de la protection de l’enfance.
Problème de stock
L’activité globalement en hausse a pour conséquence un flux des affaires encore trop tendu. « La création d’une audience mensuelle a permis de limiter le nombre des audiences tardives de comparution immédiate », a précisé la présidente qui reconnaît que les audiences dédiées aux violences intrafamiliales se terminent malgré tout trop souvent après 22 h 00 (trop chargées, renvois trop fréquents…). Les chiffres ne mentent pas : « Ce sous-dimensionnement structurel se traduit également par le maintien d’un stock de plus de 300 affaires en attente de jugement, que nous ne parvenons pas suffisamment à entamer. Parmi elle, il y a 183 affaires graves qui ont été instruites par des juges d’instruction, qui représentent à elles seules 444 heures d’audience, c’est-à-dire 74 audiences collégiales », qui sont impossibles à organiser en l’état actuel des moyens. À ses yeux, le problème est structurel dans le sens où « les grosses juridictions sont confrontées à des enjeux de justice considérables et qu’elles concentrent les effets des évolutions structurelles du traitement de la délinquance », dont l’évolution de la procédure pénale, et ses « procédures rapides ou alternatives ». Résultat : « les affaires que l’on juge aujourd’hui dans nos audiences sont donc complexes et graves, et prennent donc davantage de temps d’audience. L’augmentation de la part des violences conjugales, y contribue également car les faits sont contestés et que la place de la victime y est légitimement préservée », a-t-elle analysé. Et cette gestion du flux a un impact sur « notre capacité à lutter contre la criminalité organisée », qui ne peut uniquement « relever seulement de juridictions spécialisées telles que les juridictions pénales spécialisées ou la juridiction anticriminalité (JUNALCO) », a précisé la présidente.
Du côté parquet, on sent la même aspiration à de nouvelles formes de travail. Le procureur de la République, Stéphane Hardouin a ainsi glissé avoir « cette conviction que si des moyens nouveaux sont nécessaires, ils seraient bien inefficaces si nous ne changions pas profondément notre manière de faire ». Il entend aussi lutter contre le fléau du stock, dû à « une charge immense, parfois exponentielle, sous l’effet conjugué de la complexification du droit et de la judiciarisation de la société ». Il a bien rappelé « qu’un stock est fait de la vie des gens. Derrière des chiffres, il y a beaucoup de souffrance et de détresse, même si la gravité est très variable. Mais la justice pénale ne peut pas être la seule réponse sociale aux dysfonctionnements et pathologies d’une société ». Pour lui, « nous sommes aux limites de notre capacité de jugement. Et l’optimisation ne peut pas tout ». Des moyens supplémentaires sont donc nécessaires. Il a rappelé qu’« il y a un an, sous l’impulsion et avec le soutien du parquet général, nous nous sommes mis en ordre de bataille pour réduire le stock de règlements de dossiers d’information en attente de plus de 6 mois. Leur nombre était de 82 en novembre 2023. Il est de moins de 5 aujourd’hui », effort qui « aura pour conséquence mécanique d’augmenter la charge des audiences en 2025 ». La chaîne correctionnelle souffre également du nombre important d’audiences exceptionnelles en raison de la gravité des affaires et du nombre de prévenus, en lien avec un territoire jeune, très habité mais sous-doté en magistrats (nettement inférieur à la Seine-Saint-Denis). Il appelle donc à un « redimensionnement structurel ».
Les priorités du parquet
Les quatre priorités du parquet sont celles fixées au niveau national : lutte contre le séparatisme et la radicalisation violente ; lutte contre les violences intrafamiliales ; répression des violences aux dépositaires de l’autorité publique et lutte contre la criminalité organisée – dont Stéphane Hardouin a dit qu’elle « n’est pas seulement le crime en haut de l’échelle mais un poison mortel qui pourrit jusqu’aux esprits ». C’est pourquoi, il compte continuer à « proposer des choix d’application dans le cadre des priorités nationales fixées par le garde des Sceaux », avec les quatre leviers dont il dispose : d’abord, le périmètre de la réponse pénale, qui doit être adapté à l’activité. Le nombre de procès-verbaux transmis au parquet en 2024 avoisinant les 127 000 vs 85 000 en 2023, il faut donc garder en tête la nécessité de préserver une gradation des réponses en cohérence avec l’échelle de gravité. Si la réponse pénale a diminué de 5 %, c’est « loin d’être une baisse de fermeté », mais plutôt une évolution qui témoigne « au contraire de notre capacité à faire des choix ». Le 2e levier est l’organisation de la réponse pénale (renforcement de la capacité de procédures simplifiées ; triplement des délégués membre du procureur…) Résultat : ce « changement de pied » a eu pour conséquence de réduire la saisine du tribunal correctionnel, de maîtriser les délais d’audiencement tout en redonnant du temps pour le jugement des affaires les plus complexes, en particulier dans le domaine familial. Autre satisfaction : « le développement de la procédure de CRPC sur déferrement a permis de réserver la voie de la comparution immédiate aux affaires délictuelles les plus graves », a précisé Stéphane Hardouin. Son 3e levier, c’est la transformation numérique. Le procureur a d’ailleurs rappelé que le tribunal judiciaire de Créteil a été le premier de l’agglomération parisienne à utiliser la procédure pénale numérique (PPN) pour toutes les audiences de comparution immédiate. Pour le procureur, la PPN est « le socle d’un potentiel numérique qui permettra le développement de l’intelligence artificielle ». Face aux inquiétudes légitimes que la dématérialisation occasionne, il met en garde contre le risque de « sortir de l’Histoire » : « Ce serait une défaite pour la justice qui deviendrait un espace hors du temps, en proie à un inéluctable clivage générationnel ». Enfin, dernier levier, le dialogue avec le territoire – ce que ne renierait pas la présidente, qui cherche encore à renforcer les contacts et actions, notamment à destination des élèves, des jeunes. Stéphane Hardouin a lui rappelé que « le dialogue avec les élus, et même avec les habitants, nous a permis de nous faire une idée plus précise des préoccupations des Val-de-marnais ». C’est ainsi que le parquet a « affermi la répression envers les auteurs de cambriolages dans les domiciles qui traumatisent tant » et « lancé un groupe local de traitement de la délinquance en appui au Grand Paris pour protéger, autant que possible, les stations des nouvelles lignes de métro ».
Référence : AJU016x7
