Audience solennelle d’installation du tribunal de Paris de Stéphane Noël et Jean-François Bonhert
Le 13 décembre dernier, deux installations ont été l’objet d’une audience solennelle dans l’enceinte du tribunal de grande instance de Paris, vaste cathédrale de verre où l’identité du futur tribunal judiciaire (fusion le 1er janvier du tribunal d’instance et de grande instance) reste à construire, forte de plus de 500 magistrats et 1 000 fonctionnaires. L’ambiance, particulière, due à la grève des transports, a d’ailleurs encouragé Rémy Heitz, procureur de la République, à « souligner l’extraordinaire dévouement des fonctionnaires du greffe et des magistrats », dont le taux de présence de 70 % permet de maintenir audiences et permanences.
Stéphane Noël est désormais le 35e président du TGI de Paris. Avant de revenir sur son parcours, il a été rendu hommage à son prédécesseur, Jean-Michel Hayat, lui « qui a mis toute son énergie pendant des années au service de la juridiction en conduisant notamment avec succès, et même brio, le déménagement de celle-ci », selon les mots de Rémy Heitz, procureur de la République. Le choix de Stéphane Noël « par le Conseil supérieur de la magistrature a été unanimement salué ». La richesse de son parcours, jalonné de postes stratégiques et de missions au ministère s’affiche comme le gage d’une pleine réussite pour les nouvelles fonctions qui l’attendent. Déjà « apprécié et reconnu pour sa compétence, son humanité et son pragmatisme », lorsqu’il était à la tête du TGI de Créteil, le voilà face à de nouveaux challenges. « Les défis sont immenses, la tâche exaltante. Vous verrez qu’ici, tout est particulier », s’est amusé le procureur, en jouant sur les spécificités de l’enceinte parisienne. « Ici, c’est Paris ! », souvent pour le meilleur « car ce tribunal est en avance sur bien des sujets », même si l’effort de modernisation et de réforme reste encore indispensable sur bien des aspects.
À lui de prendre la suite de l’action infatigable de Jean-Michel Hayat, qui « a su adapter ce tribunal aux grandes évolutions en cours, en créant une chambre correctionnelle économique et financière pour répondre à la nouvelle activité du parquet national financier (PNF), et en mettant en place des pôles de compétences spécialisés, comme le pôle économique et commercial, le pôle de réparation du préjudice corporel ou le pôle de l’urgence civile. Enfin « la création du parquet national antiterroriste l’a conduit à créer une chambre correctionnelle dédiée », a rappelé Claire David, vice-présidente du tribunal. Nul doute sur les « connaissances parfaite de chef de juridiction » de Stéphane Noël, compte tenu de sa réputation de travailleur infatigable et d’homme de dialogue, souligné par Claire David.
Cette dernière, à son adresse, est revenue sur les spécificités de la juridiction. « Le tribunal de Paris est une juridiction qui ne peut être comparée à aucune autre », ancrée dans le XXIe siècle, par son architecture, mais surtout en raison « des multiples contentieux spécifiques », de « sa compétence nationale reconnue dans de très nombreux domaines et même l’attribution d’une compétence universelle en matière de crimes contre l’humanité ». Sans oublier, triste actualité, la charge des « indemnisations des victimes d’actes de terrorisme, une compétence exclusive ».
À partir du 1er janvier prochain, Stéphane Noël sera le premier président du tribunal judiciaire qui va regrouper le TGI et tribunal instance de Paris. L’avenir des prochains mois sera fluctuant : « de profonds changements issus de la loi de programmation pour la justice vont modifier les procédures et par là même les méthodes de travail de chacun », a rappelé Claire David, tant sur la réforme du Code de procédure civile et la réforme du mode de saisine du tribunal, qu’au niveau pénal avec les alternatives à l’incarcération et l’aménagement des peines, en plus de la réforme de l’ordonnance de 1945 pour le tribunal pour enfants… Mais face à ces évolutions, la vice-présidente sait bien que Stéphane Noël lancera une « réflexion sur les méthodes de travail, dans le but que vous avez toujours poursuivi une justice toujours plus réactive plus moderne et au service des citoyens ».
« Nous, juges, sommes légataires de valeurs juridiques universelles »
En réponse à ces défis de taille, le discours de Stéphane Noël s’est voulu rassurant, rassembleur, favorable à la concorde. « Juger est une mission complexe, au carrefour des compétences juridiques. Cela suppose de nombreuses qualités au premier rang desquelles l’humilité, dont le droit d’exercer le monopole de la contrainte légitime à l’égard de nos concitoyens nous oblige, d’abord vis-à-vis de nous. Nous sommes les héritiers d’une vieille institution, nous sommes aussi les gardiens de valeurs qui ont fait de notre société au fil des siècles un État de droit, qui soumet l’exercice de l’action publique et individuelle à des règles juridiques dont nous sommes les dépositaires. Nous sommes aussi les légataires de valeurs juridiques à valeur universelle », a-t-il débuté. Puis, sur le ton de la confidence, il a évoqué sa vingtaine, les espoirs d’avenir radieux qui avaient suivi la Chute du mur de Berlin. Aujourd’hui, inquiet face à la montée de régimes autoritaires que voient s’ériger des démocraties presque « résignées », il s’interroge sur les évolutions de notre société. Quid des libertés publiques dans un contexte de terrorisme ? Comment s’exerceront-elles demain dans une société numérisée ? « Le juge aura-t-il toujours sa place dans l’édifice complexe de la production judiciaire ? », se demande-t-il. « Le juge judiciaire est parfois perçu comme un acteur institutionnel qui ralentit l’efficacité, de l’action publique, politique ou économique. Il est avant tout le gardien de principes et de règles, qui sont le terreau d’un humanisme universel que tant de combattants dans le monde regardent encore comme une lumière dans les ténèbres ». Convaincu que c’est à Paris à nul autre pareil que peut résonner cet engagement, il a réitéré l’importance essentielle de restaurer la confiance en nos institutions. « Avant l’émergence des réseaux sociaux et le développement des fausses nouvelles, Hannah Arendt appelait déjà notre vigilance nous mettant en garde », arguant qu’un peuple, s’il n’a plus confiance, ne peut plus se faire d’opinion, il perd alors sa compétence de juger ». Afin de retrouver cette confiance, rien ne vaut, pour le magistrat, le respect des règles déontologiques. Si certaines critiques « peuvent nous blesser », « nous devons aussi les entendre et être en mesure d’y répondre à la hauteur des attentes », a-t-il appelé. Une justice apaisée, voilà ce à quoi aspire Stéphane Noël, persuadé que les changements impliqués par la loi de modernisation de la justice permettront notamment, la révolution numérique, « que chacun appelle de ses vœux », tant les retards s’accumulent. « Aucun doute que la communauté judiciaire parisienne saura s’emparer de façon positive de la justice de demain ». Avant de conclure sur la note inspirante d’une identité judiciaire à construire, loin de l’historique île de la Cité, mais aujourd’hui forte d’un édifice-symbole de la reconnaissance de l’État, comme de responsabilités exceptionnelles, qui dépassent largement les limites de Paris. « Ce tribunal n’est pas que la maison des magistrats, mais aussi celles des avocats et de tous les auxiliaires de justice », a-t-il répété. Pour une justice pour tous, claire, efficace.
Des procureurs solidaires et misant sur le collectif
Les procureurs présents ont pu réaffirmer, quant à eux, le besoin de cohérence entre leurs parquets. Sur le plan pénal, Rémy Heitz a souligné les grandes lignes de ses missions. Tout d’abord, « répondre au mieux aux actes de délinquance dont sont victimes les Parisiennes et les Parisiens, dans un contexte de dégradation de la sécurité à Paris, que nous tentons au mieux d’endiguer, en lien avec tous les acteurs concernés ». Sur la sécurité des citoyens, l’engagement du président Stéphane Noël ne fait pas défaut (ce dernier avait mis en place au TGI de Créteil les procédures d’urgence destinées au traitement des ordonnances de protection au bénéfice des victimes de violences conjugales, initiative désignée pilote lors du récent Grenelle des violences conjugales). Le deuxième objectif du procureur est d’assumer pleinement les responsabilités que la loi a confié à la juridiction parisienne : sa compétence nationale pour traiter des affaires les plus complexes comme la cybercriminalité, la santé publique, les accidents publics ou encore la criminalité organisée de très grande complexité. « Alors que des magistrats instruisent le dossier de la catastrophe de Lubrizol, d’autres jugent le scandale du Médiator », a-t-il explicité. Mais, le défi reste d’apporter, à ces affaires, quotidiennes ou médiatiques, « le même soin », a-t-il assuré.
Au premier titre de ces affaires hors normes, les affaires de terrorisme. Jean-François Ricard, procureur national antiterroriste, a rappelé que la justice antiterroriste se trouvait aujourd’hui confrontée à de multiples défis d’une ampleur inégalée. D’abord, le volume des audiences correctionnelles liées au terrorisme, pour la seule année 2019, a permis l’examen de 75 dossiers correspondant à 107 jours d’audience. « Le rythme ne va pas faiblir », assène-t-il. Il se prépare également à la tenue d’un procès doublement hors norme, « par sa dimension et par sa nature », celui des attentats commis en janvier 2015. Il faudra alors être capable « d’accueillir dans des conditions respectables et dignes 197 parties civiles et 89 avocats ». Enfin, il s’agira d’assurer la sortie dans des conditions complexes de 145 détenus condamnés pour des infractions terroristes ». Le calendrier risque d’être très intense au moins jusqu’en 2023.
Le devoir d’efficacité impose de mettre en place une « solidarité » entre les parquets, et une « complémentarité de nos interventions », a assuré Rémy Heitz, par exemple, sur les affaires de très grande complexité, où le parquet de Paris, à la compétence nationale, peut recouper pour partie le travail engagé par le PNF (escroquerie ou fraude fiscale en bande organisée).
Afin de remplir cette mission, Rémy Heitz a également insisté sur l’importance du travail collectif. « Voici donc enfin, avec Jean-François Ricard (parquet antiterroriste), constitué notre triumvirat. Une équipe dont le seul vice originel est de ne pas convenir aux standards de la parité, mais vous en conviendrez, tout cela n’est pas de notre fait. Ensemble, nous allons (…) porter la voix du ministère public devant le tribunal judiciaire de Paris, confiants dans l’avenir, rassérénés par l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’UE qui affirme que le statut du parquet français lui confère l’indépendance nécessaire pour émettre des mandats d’arrêt européens. Une décision attendue et qui nous rassure ».
Jean-François Bohnert à l’assaut du PNF
C’est désormais Jean-François Bohnert qui exercera les fonctions de procureur de la République financier. Tout comme Jean-Michel Hayat a été salué, le travail d’Éliane Houlette, sa prédécesseure, première à exercer ces encore jeunes fonctions, a également été remercié. « Sous son impulsion, grâce à sa ténacité, son courage et sa sérénité, le PNF s’est imposé dans le paysage judiciaire français comme un acteur majeur de la lutte contre la fraude aux finances publiques et les atteintes à la probité », avant de souligner les « réussites éclatantes enregistrées par ce parquet », a souligné Rémy Heitz : la signature de très importantes conventions judiciaires publiques pour des montants dépassant, au total, le milliard d’euros. Courage, ténacité, et audace, détermination sans faille, Éliane Houlette a réussi à « faire vivre ce nouveau parquet », en apportant des réponses pénales adaptées et spécialisées, selon Claire Denis.
Jean-François Bohnert, parquetier hors pair et européen convaincu, fait preuve d’un parcours prestigieux et international, comme l’a rappelé la procureur de la République financier adjointe, Ulrika Delaunay-Weiss, dans son discours d’intronisation. De substitut à Strasbourg en 1986 au début de sa carrière, à représentant adjoint de la France à Eurojust en 2003, où il a été marqué par le dossier de la catastrophe du Prestige, en passant par la case juge d’instruction au tribunal d’armée des forces françaises, stationné à Landau puis à Baden Baden, sans oublier un passage comme magistrat de liaison en Allemagne pendant plusieurs années avant de rentrer en France pour embrasser les fonctions de procureur adjoint à Dijon, d’avocat général à Bourges, de procureur de la République à Rouen, et enfin procureur général à Reims, il devrait se réjouir d’avoir à traiter des enjeux internationaux forts. Pour mener à bien ces missions, Ulrika Delaunay-Weiss a réaffirmé la détermination des magistrats, des assistants spécialisés et des juristes de son équipe.
Concernant les enjeux, elle a souligné la question de « la numérisation de nos sociétés ». Aujourd’hui, « cet argent, peut en quelques clics, traverser sans entrave plusieurs juridictions et faire ainsi plusieurs fois le tour de la planète ». Face à la facilité technique favorisant corruption et blanchiment, « il nous reste encore à franchir les frontières au moyen d’actes papier, notamment pour les demandes d’entraide pénales internationales ou de décisions européennes d’enquête ».
Dans un contexte mondial de très forte compétition économique, « dans lequel certaines de nos entreprises trébuchent, nous nous retrouvons face à d’autres autorités parfois surpuissantes et il est essentiel que nous inventions les moyens de rendre une justice adaptée, soucieuse de notre souveraineté économique. Le but n’est pas d’aboutir à un affaiblissement économique, mais de permettre aux entreprises de se relever et d’avancer », a-t-elle précisé.
Le PNF face aux complexités internationales
En réponse aux discours précédents, Jean-François Bohnert a pris la parole comme nouveau chef de parquet, une mission qu’il aborde « avec beaucoup d’humilité », et bien conscient qu’un parquet, c’est avant tout une équipe, dont il connaît d’ores et déjà l’implication comme la qualité de l’engagement.
Humble, il n’a pas encore pu prendre la pleine mesure de ses nouvelles fonctions, mais a dévoilé les grands traits des actions à développer les prochains mois pour servir sa politique pénale, au sein de ce PNF dont il a salué l’efficacité. « En 5 ans d’exercice, le PNF aura fait obtenir des condamnations de sommes totales à hauteur de 7,7 Mds€ (amendes, confiscations et dommages et intérêt) », s’est-il félicité, tout en appelant, non sans humour, à une Nicole Belloubet présente lors de l’audience, à augmenter le budget de la justice, juste rétribution de cette performance. De nouveaux défis se profilent à l’horizon : « au plan national, faire accepter que le PNF est désormais l’une des institutions qui participe de la pérennité de la démocratie participative, et doit à ce titre être perçu comme l’un des gages d’un fonctionnement démocratique apaisé. Porter ensuite l’idée qu’au cœur de sa compétence, se trouvent la protection des institutions publiques mais aussi l’ordre public économique. Enfin, développer une politique pénale attentive aux territoires éloignés de la métropole, dont le caractère insulaire est rarement propice à un exercice serein de l’action publique dans le champ pénal ». Mais le PNF vit dans un écosystème où les relations avec l’administration fiscale, les autorités indépendantes et les enquêteurs spécialisés sont également déterminantes.
À ses yeux, il faudra anticiper une véritable crise de croissance. Aujourd’hui, avec 575 dossiers, la charge de travail des 15 magistrats actuellement en poste est de presque 40 dossiers par magistrats, contre des préconisations de l’étude d’impact de la loi justice, où l’effectif avait été fixé à 22 magistrats et le ratio à 8 dossiers par magistrat. Nous en sommes loin…
La mission de Jean-François Bohnert sera aussi de pérenniser « le PNF dans le paysage institutionnel international, afin de garantir un traitement équilibré des dossiers de corruption d’argents public, adapté aux réalités de la compétition économique internationale », ce qui signifie conforter la place du PNF dans sa collaboration avec le monde anglo-saxon et les pays émergents, sans oublier de mettre en place « l’articulation avec le parquet européen, dont l’activité démarrera en novembre 2020 ».
Mais l’ampleur des enjeux ne doit en aucun cas faire oublier « les devoirs de vigilance d’humanité consubstantiels du métier de magistrat ». En effet, « face à l’homme qui comparait, notre éthique professionnelle de magistrat du parquet doit être portée à son plus haut niveau, tant notre rôle de représentant de la société dans l’enceinte judiciaire et la force qui l’accompagne, constituent ensemble l’expression d’un pouvoir qui se doit d’être exercé dans la plus grande sérénité ».