2e Congrès des commissaires de justice : « Nous sommes les juristes du dernier kilomètre » !
Le 14 et 15 décembre derniers se tenait le 2e Congrès des commissaires de justice. L’occasion pour le président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), Benoît Santoire et son équipe de présenter les priorités de la profession pour 2024. Le maître-mot ? La proximité sous toutes ses formes, avec les justiciables mais aussi les juges ou d’autres partenaires professionnels. Les commissaires de justice veulent s’affirmer comme des acteurs de la justice de proximité.
« Notre second congrès a été l’occasion d’aborder le commissaire de justice dans son rôle social et territorial ». Quelques jours après ce temps fort de la profession, ces mots de Georges Golliot, membre de la Chambre nationale, résument bien les enjeux de cette deuxième édition, qui a souhaité insister sur la dimension de proximité. Proximité, d’abord, d’un point de vue géographique, à travers « notre maillage territorial », a-t-il souligné. Proximité relationnelle, aussi à travers deux axes : la protection des plus vulnérables, et, dans le sillon du magistrat, pour faciliter le recouvrement auprès des entreprises (60 milliards de créances restent impayées chaque année). Enfin, « par la proximité numérique, avec des enjeux de dématérialisation », a-t-il ajouté. Georges Golliot aime à rappeler que les commissaires de justice sont « des passeurs de politiques publiques ». À ses yeux, « la notion de rapprochement avec les justiciables fait partie de notre cœur de métier. Nous sommes les juristes du dernier kilomètre : nous rencontrons les justiciables, nous procédons aux procédures de recouvrement, nous apportons des éléments pour faciliter une resolvabilisation des débiteurs grâce aux échéanciers, avec une approche budgétaire de leurs ressources ». Médiation, protection, information juridique, recouvrement, « nos missions sont multiples. Cette diversité permet de mieux faire connaître notre profession ».
De nouvelles missions pour les commissaires de justice
Ce congrès a également été l’occasion de faire le point sur les nouvelles missions des commissaires de justice. Concernant la protection des personnes sous tutelles, le contrôle des comptes fera désormais expressément partie de leurs prérogatives en tant que personne qualifiée, dès que le décret d’application sera paru. Le contexte est celui d’une « augmentation constante des mesures de protection, qui sont actuellement de 600 000 à 700 000 personnes concernées actuellement en France », précise Nicolas Moretton. « Quand nous intervenons, nous arrivons dans une situation dégradée, la personne protégée rencontrant souvent des problèmes mentaux accompagnés parfois de problèmes physiques. Le législateur a prévu la réalisation d’un inventaire, une façon de s’assurer « que la personne puisse être pleinement protégée, quelle que soit la valeur financière de ses biens ». Parfois les biens ont tout autant une valeur sentimentale que financière. Peu importe pour les personnes concernées, que ces biens aient une grande valeur matérielle, la valeur affective que les objets recèlent est souvent tout aussi importante « comme une petite dame qui a une petite bague de fiançailles dont la valeur financière reste faible mais qui pour elle est le rappel de toute une vie commune », éclaire-t-il. Mais dans d’autres cas, a contrario, la valeur des biens ne fait aucun doute. « Mon associé est ainsi tombé sur une coupe estimée à 58 000 euros ! », a-t-il partagé lors du congrès. Le lien social fort sur lequel se fonde la profession prend alors tout son sens car il faut discuter, rassurer les personnes vulnérables et leur expliquer que réaliser un inventaire signifie « protéger » et c’est bien à cette seule fin que nous intervenons ». Dans le cas d’une mise sous tutelle, le gérant ou l’association tutélaire a trois mois pour faire réaliser l’inventaire. Le cas échéant, si ce délai n’est pas respecté, un officier public ou ministériel doit s’en charger. « Amortisseur social », c’est ainsi que Nicolas Moretton aime à décrire la fonction de commissaire de justice.
La nouveauté pour la profession, déjà en lien avec les personnes vulnérables sous tutelle, sera donc de permettre le contrôle des comptes. « La plateforme CJ Tutelle a d’ailleurs été pensée pour faciliter le travail entre le gérant, le magistrat et le contrôleur de comptes, car on peut y déposer des factures, les contrôler etc. Cela fluidifie la supervision ».
Autre nouveauté, inscrite dans le projet de loi « Justice 2023-2027 » : le transfert, sous le contrôle du juge de l’exécution de la procédure de saisie des rémunérations aux commissaires de justice avec la création d’un commissaire de justice répartiteur et la mise en place d’un registre numérique de ces saisies. La loi prévoit ainsi de nouvelles conditions de la phase de conciliation de la procédure de saisie des rémunérations, détaillées lors du Congrès par la professeure de droit privé, Natalie Fricero. La commissaire de justice, Béatrice Duquerroy résume : « la profession ne comprenait pas pourquoi la saisie des rémunérations faisait l’objet d’un traitement particulier par rapport à d’autres mesures de droit commun des voies d’exécution ». Les commissaires de justice appelaient donc de ses vœux de ne plus repasser devant le juge alors qu’ils avaient déjà un jugement, d’autant plus dans un contexte de très longs délais d’audiencement. Comme l’a souligné le premier vice-président adjoint du tribunal judiciaire de Paris, Cyril Roth, lors du Congrès, l’outil était totalement inefficace. La conciliation, avant exécution des titres exécutoires, sera désormais confiée au commissaire de justice au lieu d’être confiée au juge. « Les gens ne se rendent pas au tribunal alors qu’ils se rendent dans nos études, sans date, sans rendez-vous. La conciliation, pour nous, c’est tous les jours », estime Béatrice Duquerroy.
Enfin, le législateur a confié aux commissaires de la répartition, ce que la profession sait déjà faire. Comme pour le contrôle des comptes de tutelles, elle attend un décret d’application et le transfert des dossiers des tribunaux vers les offices des commissaires de justice.
Focus sur les nouvelles technologies
Le métier est encore jeune : la fusion entre commissaires-priseurs et huissiers de justice n’est entrée en vigueur qu’en juillet 2022 seulement. « Les notions numériques sont de plus en plus prégnantes, elles nous permettent d’être encore plus proches des justiciables », éclaire Nicolas Moretton, comme l’illustre la genèse de la plateforme CJ Tutelle. Et la fracture numérique concerne encore 20 % de la population française, précise Georges Golliot, donc il faut à la fois la réduire et la juguler.
Sandra Etheve, rapporteure générale de la Biennale, est particulièrement sensible aux questions numériques. À ses yeux, « le besoin d’adaptation de nos pratiques professionnelles aux nouvelles technologies n’a jamais été aussi important. Ce congrès faisait la part belle à l’innovation ». Et la tâche est importante. « Le parallèle avec les notaires est éloquent : leurs pratiques quotidiennes sont numériquement plus avancées, l’acte électronique consacré depuis plus de 15 ans, leur permettant d’être en adéquation avec les attentes des justiciables et d’optimiser leur activité ».
Prendre le chemin de la dématérialisation a des avantages multiples. « Il paraît essentiel de rendre un service plus efficient, en exploitant les possibilités offertes par les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle. Le temps numériquement gagné confère une disponibilité pour nos missions de terrain, au plus près des justiciables », éclaire encore Sandra Etheve. Les idées reçues ont la dent dure. « On pourrait de prime abord penser que la dématérialisation met de la distance, mais je n’en suis pas convaincue. En automatisant certains traitements, certaines tâches, nous pouvons nous concentrer sur le dialogue, la médiation, le conseil et donner au contact humain la place première qui doit lui revenir, dans l’exercice quotidien de nos missions. Cela participe aussi à donner une autre image du commissaire de justice, loin des stéréotypes historiquement véhiculés au sujet de notre profession. Aujourd’hui tout le monde est extrêmement connecté, y compris, nous ». Un vent de modernité souffle au cœur de la profession. Pour Georges Golliot, « il faut intégrer les dispositifs digitaux à l’approche globale de signification de nos actes mais également maintenir une remise des documents en présentiel, dans une forme de subsidiarité des méthodes ».
« Pousser à l’innovation cela participe à mieux faire connaître nos différentes missions », estime la rapporteure. Et l’innovation doit être encouragée. « Les grands groupes privés possèdent des laboratoires d’innovation avec des services dédiés qui réfléchissent continuellement à demain. Certes, nous sommes des officiers publics et ministériels et les logiques sont différentes, mais la biennale que nous organisons tous les deux ans, joue le rôle de catalyseur à l’innovation. Peut-être pourrions-nous aller plus loin en rendant notre effort de prospective permanent. Comment les commissaires de Justice vont-ils se projeter, comment utiliser ces nouvelles technologies ? La biennale est l’expression de ces questionnements ».
Le thème de la prochaine biennale – qui aura lieu en juin – pose la question : « Quel modèle économique pour notre profession, dans un monde en pleine digitalisation ? » Le projet a été élaboré par la Chambre nationale des commissaires de justice, avec, l’espoir que les travaux présentés puissent contribuer à l’action générale menée par la profession. Sept équipes de travail sont d’ores et déjà constituées, composées de commissaires de justice, titulaires d’office ou salariés, qui se concentrent sur des sous-thématiques. « La majorité des participants a moins de 40 ans : ils sont installés depuis peu et ont une vision propre des enjeux de l’innovation technologique dans l’exercice de leurs missions », explique-t-elle. Une réunion mensuelle pousse à réfléchir de manière continue, et sur les sujets plus pointus. Des experts, des spécialistes peuvent être consultés, de façon interprofessionnelle, car si « nous sommes des spécialistes du droit, nous ne sommes pas tous des professionnels du numérique », reconnaît-elle. À ce jour, il n’existe « aucun engagement formel de la Chambre nationale sur le devenir de ces travaux, mais nous espérons qu’ils seront utiles à la profession », souligne encore Sandra Etheve.
Le numérique suscite interrogations, mais aussi de nombreux espoirs. « Je pense que nous avons besoin de ses atouts, car ces dernières années ont été difficiles. Avec la crise sanitaire, beaucoup de jeunes consœurs et confrères ont peiné à vivre de leur activité et à rembourser leurs emprunts. Ils ont eu d’énormes craintes pour l’avenir. Pour les jeunes, ce projet Biennale est une marque de confiance mais aussi le témoin de leur envie d’aller de l’avant. Notre profession est riche d’activités, humaine, passionnante, elle mérite de se développer et d’être à la page numériquement, en fournissant un service moderne qui réponde aux habitudes de consommation des justiciables ».
Sur la scène du Congrès, plusieurs idées – dont les résultats seront dévoilés dans quelques mois – ont été mises en avant : Aymercic Boyer souhaite personnaliser le recouvrement, Benoît Amblard se penche sur l’amélioration de la gestion du harcèlement scolaire, tandis que Charlène Reverdieu a dessiné les contours du Commissaires de justice version 2060. Autant de pistes innovantes, témoins d’une profession en mutation.
Référence : AJU012b9