Hauts-de-Seine (92)

La faculté de droit de Nanterre : du camp d’aviation à Simone Veil

Publié le 20/12/2022
Nanterre, RER, gare
Mouad/AdobeStock

L’université de Paris Nanterre (92) est sortie de terre au début des années 1960, au milieu d’un ancien camp d’aviation. L’objectif alors était de désengorger la Sorbonne, à Paris. L’espace est ceinturé de voies de communication, des bidonvilles et des cités se trouvent tout autour. En plus de 60 ans, les transformations ont été importantes pour la ville, comme la construction des terrasses de La Défense, de la nouvelle gare RER ou encore de récents travaux pour bâtir un « éco-campus ». Dans cet ensemble, la faculté de droit fut l’une des premières en activité au sein de la nouvelle université. Son bâtiment, dessiné par les architectes Jacques et Jean-Paul Chauliat porte depuis 2018 le nom de Simone Veil.

Au début des années 1960, l’urgence est à la construction d’une nouvelle université sur le territoire francilien. À l’époque, un tiers de la population française se concentre en région parisienne et le « baby-boom » provoque un afflux de nouveaux besoins en termes d’éducation. L’université de Paris n’arrive plus à contenir le nombre de nouveaux inscrits et est obligée de délocaliser une partie des enseignements, faute de place. Propriété du ministère des Armées, un terrain de 33 hectares à Nanterre semble convenir pour ces nouvelles constructions.

Le cabinet d’architectes Chauliat et Chauliat est choisi pour mener l’opération, à l’automne 1962. Formé à l’École des Beaux-Arts de Paris, Jacques Chauliat est diplômé d’ingénieur de l’École polytechnique. Associé à son frère Jean-Paul jusqu’en 1967, il sera également architecte en chef des Bâtiments civils et palais nationaux, chargé de mission au cabinet du Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) et agréé pour la Seine-et-Oise et la Manche, et architecte du ministère des Armées.

Le programme pédagogique est adopté le 19 février 1962. Il prévoit un complexe universitaire composé d’une faculté de lettres, un établissement scientifique, un centre juridique, des bibliothèques et une annexe de l’institut d’études politiques. Le ministre de l’Éducation nationale Christian Fouchet pose la première pierre du futur site universitaire de Nanterre-La Folie le 5 novembre 1963. Les deux frères travaillent dans des délais très serrés, puisqu’il leur reste moins d’un an pour terminer la première livraison : la faculté des Lettres. Celle-ci est mise en service en novembre 1964, grâce notamment au recours à du préfabriqué.

« L’importance des constructions obligea les architectes à organiser un concours entre différents procédés de construction, remporté par la Cimt-Quillery. Elle proposait un système de coulage du béton par banches et plateaux chauffants pour accélérer le temps de séchage, et des panneaux de mur-rideau conçus par Jean Prouvé. Ces solutions ont permis de bâtir, en huit mois seulement, 1 400 chambres répartis (sic) en quatre ensembles de bâtiments », expliquait Géraud Kerhuel de l’École nationale supérieure d’architecte de Versailles, lors d’un colloque organisé par la Sorbonne en 2014.

La faculté de droit et l’annexe de l’Institut d’études politiques furent édifiées avec les mêmes méthodes. Jacques et Jean-Paul Chauliat ont ainsi livré l’université en des délais très courts « dans lesquels la décoration se limita au seul travail plastique des pignons, et dont la réception fut très critique : les contestations étudiantes de l’année 1968 se sont fait l’écho de l’image négative du campus que les journalistes avaient comparé à Sarcelles ».

Naissance de l’UFR de droit à Nanterre

Sur le site de l’UFR de Droit de Nanterre, une page est consacrée à son histoire. Elle précise que « des enseignements juridiques ont été assurés sur le site de Nanterre à partir de 1966 ; ils étaient dispensés dans le cadre d’une annexe de la Faculté de droit de Paris ». La suite indique que « c’est à l’action et à la force de conviction de Jean-Maurice Verdier, que l’on doit l’affirmation de la faculté de droit et de sciences économiques de Nanterre par rapport à Paris Centre ». Jean-Maurice Verdier (1928-2018), était un juriste et universitaire français, spécialiste du droit du travail. Il avait été doyen de la faculté de droit et des sciences économiques en 1970, puis président de l’université de Paris Nanterre de 1976 à 1981.

Des mouvements de contestation

La faculté de droit connaît des mouvements étudiants importants lors de mai 1968. L’université est à l’épicentre de la contestation, avec notamment la création du « Mouvement du 22 Mars » par Daniel Cohn-Bendit, entre autres. Après ces épisodes, Nanterre fait face à de nombreux départs d’étudiants comme d’enseignants (une petite trentaine). La faculté fait aussi face à des menaces de fermeture alors qu’une nouvelle faculté de droit est créée à Malakoff (Paris Ve) en 1976.

Dans un article du Monde paru cette année-là, intitulé « La désectorisation de Nanterre a provoqué un imbroglio administratif », le journaliste Guy Herzlich raconte cette désectorisation : « Les enseignants du SGEN, du SNE-Sup et de la FEN ont organisé, mardi 19 octobre, une conférence de presse à laquelle participaient les unions départementales C.G.T. et C.F.D.T. des Hauts-de-Seine. Ils ont affirmé que les attaques portées contre l’université de Nanterre s’inscrivaient dans la volonté gouvernementale de punir les universités combatives et de faire un tri idéologique entre bonnes et mauvaises universités ».

Cette année-là, l’ouverture d’annexes de facultés de droit perturbent les inscriptions. Le journaliste termine son article en évoquant le fait état « d’autres conséquences curieuses ». « En raison des effectifs en droit à Paris X et Paris V, on prévoit déjà qu’un bon nombre des enseignants nommés à Paris V devront, en 1976-1977, et probablement l’année suivante, faire tout leur enseignement… à Nanterre, c’est-à-dire dans l’université qu’ils voulaient quitter ».

Sur la page consacrée à l’histoire de l’UFR, les auteurs écrivent : « Le transfert de 34 emplois de professeurs, maîtres de conférences et maîtres-assistants sur 47 et de 16 emplois d’assistants sur 64 à une université qui comptait six fois moins d’étudiants, indiqua la Haute assemblée, privait indûment Nanterre des moyens indispensables à son fonctionnement et était constitutif d’une erreur manifeste d’appréciation. L’UER de droit de Nanterre, devenue UFR après 1984 faisait ainsi la preuve des sentiments de fidélité et d’attachement qu’elle suscitait. L’action déterminée des six professeurs restants, parmi lesquels Jean-Maurice Verdier, président de l’université, Gérard Couchez, directeur de l’UER, Géraud de la Pradelle ou Maurice Robin, des maîtres-assistants et des assistants restés fidèles, aidés par des collègues d’universités voisines, dont l’intervention, parfois désintéressée, a été décisive pour faire face à l’ampleur de la tâche, a permis la reconstruction rapide et le développement ».

Annexes et extensions

Des antennes décentralisées de l’université de Nanterre sont fondées dans les années 1980. En 1984, la promulgation de la loi Savary, qui crée les « UFR » actuelles, entraîne en 1985 l’ouverture d’une antenne à Saint-Quentin-en-Yvelines, puis l’ouverture d’une autre antenne à Cergy-Pontoise en 1989 – elles deviendront toutes les deux des universités de plein exercice en 1991.

Durant la décennie suivante, les effectifs ne cessent d’augmenter et les deux nouvelles antennes de l’UFR de Droit de Nanterre ne suffisent pas à répondre à la demande. Un programme de grands travaux entrepris à la fin des années 1990, début des années 2000, permet de s’étendre au sein du bâtiment F.

Mars 2018, le bâtiment Simone Veil

L’architecture de l’UFR de Droit n’a donc pas changé depuis sa création à la fin des années 1960. Un changement majeur a tout de même lieu en mars 2018 et concerne la signalétique de toute l’université Paris Nanterre : celle-ci décide en effet de changer les noms de tous les bâtiments sur le campus. Celui de l’UFR de Droit est rebaptisé « Simone Veil », en mémoire de la magistrate et femme politique française. Ministre de la Santé, Simone Veil (1927-2017) a fait adopter la loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse en 1975. Elle est également la première présidente du Parlement européen en 1979. Le bâtiment Simone Veil de 14 813 m2 abrite aujourd’hui l’UFR DSP, la bibliothèque de l’UFR Droit et Sciences politiques et comprend quatre amphithéâtres.

Aujourd’hui, la faculté de droit et science politique accueille plus de 9 000 étudiants dont près de 600 doctorants. Elle dispose par ailleurs de l’Institut d’études judiciaires Henri Motulsky préparant aux concours et examens juridiques. Plus loin sur le campus, des travaux de rénovation énergétiques ont débuté avec une première étape au niveau du centre sportif universitaire. Pascale Philifert, vice-présidente Aménagement du Campus et Transition écologique, a la charge de mettre en œuvre une politique d’aménagement et de transition écologique sur l’ensemble des différents sites de l’université. L’objectif est « d’améliorer les conditions de travail et de vie de toute la communauté universitaire mais aussi de permettre à un éco-campus de voir le jour mieux insérer dans le territoire proche », détaille-t-elle dans une interview accordée au webzine Point Commun de l’université de Nanterre. « La construction de bâtiments neufs est aussi à l’ordre du jour (un nouvel IUT est à l’étude, un bâtiment modulaire devrait voir le jour en 2023) tout comme le réaménagement des franges de l’université dans le cadre de la ZAC Seine Arche ». Piétonnisation du campus, développement des mobilités douces, gestion écologique des espaces (favoriser la biodiversité, économiser l’eau, mieux trier les déchets) sont autant de projets à venir. « Enfin, l’entretien du patrimoine existant dans un contexte de fortes tensions sur les locaux est un enjeu majeur pour améliorer le quotidien, dit-elle. La méthode que je souhaite porter vise à impulser de nouvelles pratiques et à encourager la transversalité et la concertation avec tous les acteurs concernés ainsi que l’ouverture sur la société et le territoire ».

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