Avocats : « Comme la liberté, la discipline ne s’use que si l’on ne s’en sert pas »
Ces dernières semaines, de nombreux avocats actifs sur les réseaux sociaux se sont émus du comportement de certains de leurs confrères qui leur apparaissait discutable et de l’apparente absence de réaction des instances ordinales. Xavier Autain, avocat au barreau de Paris et ancien membre du Conseil de l’ordre réagit à la polémique.
L’été ne fut pas chaud partout, mais la chaleur a été intense sur les réseaux sociaux. La libre parole des avocats s’y est déchainée, s’affranchissant régulièrement des règles édictées par notre déontologie et contenue dans notre serment. Croire que notre statut d’avocat nous conférerait une totale liberté de parole est une erreur fréquente. Nombreux sont ceux (avocats ou pas) qui ont d’ailleurs réagi sur Twitter en s’inquiétant des dérapages médiatiques de ces confrères, interrogeant les Bâtonniers sur les saisines disciplinaires qui ne semblaient pas venir.
Nous, avocats, disposons en effet du privilège d’être nos propres juges (en première instance), et quasiment nos seuls procureurs (aux côtés du parquet général qui n’utilise que très très exceptionnellement son droit de saisine directe). Si la loi de 1881 offre une immunité contre les poursuites en diffamation, cette protection, qui ne concerne que les seuls propos d’audience, est sans effet sur l’ensemble des violations de nos obligations déontologiques.
Le bâtonnier n’est pas un papy-gâteau super-héros
Notre serment fait de nous des individus soumis 24 sur 24 et 7 jours sur 7 aux règles édictées par notre déontologie (Article 183 du décret de 1991 : toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse, même en se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l’avocat qui en est l’auteur aux sanctions disciplinaires). Nous le savons nous devons être irréprochables, c’est le corollaire de la place de l’avocat dans la société démocratique.
Au nom de notre indépendance, les pouvoirs publics ont depuis plus de deux siècles considéré que la profession d’avocat était à même de régler seule le sort de ceux de ses membres qui fautent. Les ordres sont les seuls habilités à juger les plaintes des justiciables, des juridictions et des autres avocats et d’y apporter des réponses justes, ni démagogiques, ni clientélistes ni corporatistes.
Mais avant de de juger il faut engager des poursuites, redoutable rôle qui appartient au bâtonnier (article 24 de la loi de 1971), n’en déplaise à ceux qui ne verraient en cette fonction que celle d’un protecteur et confident, sorte de Papy gâteau super-héros. Être chef exige aussi de savoir assumer les tâches plus complexes, moins glorieuses sans doute, mais indispensables. La discipline est comme la liberté, elle ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.
Dans la pratique, les bâtonniers sont régulièrement embarrassés du mistigri de la poursuite qui leur est pourtant attribué par la loi (article 24 de la loi de 1971) alors qu’ils ne rencontrent généralement aucune difficulté à exercer les pouvoirs pour gérer l’Ordre, mission qui relève de la compétence du Conseil de l’Ordre (article 17 de la loi de 1971).
C’est humain, poursuivre ceux qui violent les règles est une charge écrasante, qu’il faut exercer loin des acrimonies personnelles, de l’agacement et de la subjectivité. Personne n’aime les fautes de ses confrères, le manquement d’un seul est toujours un échec pour l’ensemble de la confrérie des avocats. Mais à naviguer entre bienveillance confraternelle, légitime présomption d’innocence et entre soi, les instances disciplinaires ne répondent pas toujours aux attentes.
Au printemps 2021, le ministère de la Justice a présenté un projet de loi pour « la confiance en l’institution judiciaire » qui concerne directement et profondément la discipline des avocats.
Le châtiment de la réforme imposée
On peut regretter que la réforme n’améliore pas notre procédure disciplinaire si mal fichue : fonctionnant avec des règles de procédure civile, sans certaines garanties inhérentes aux poursuites, avec une application limitée du contradictoire, et en oubliant les plaignants etc.
Les innovations sont ailleurs :
*La possibilité d’un échevinage de la formation de jugement par la présidence – et non la simple présence- d’un magistrat dans certains cas (article 22-3 du projet de loi). Mesure qui semble essentiellement symbolique, à Paris les décisions prononcées par les formations de jugement ne sont quasiment jamais aggravées, le plus souvent confirmées et régulièrement réformées à la baisse.
Par parallélisme des formes la présence d’un avocat parmi les magistrats de la Cour d’Appel aurait du sens, reste le Sénat pour l’obtenir. Examinons t les hypothèses dans lesquelles ce magistrat sera amené à siéger.
D’abord lorsque l’avocat poursuivi le demandera. Et l’on entrevoit là la volonté d’éviter un entre soi qui couperait injustement certaines têtes. Ensuite, lorsque la poursuite disciplinaire fait suite à une réclamation présentée par un tiers (qui n’est donc pas le bâtonnier ou le parquet général).`
*La saisine directe de l’instance de jugement disciplinaire.
C’est la plus grande innovation du texte porte sur la possibilité pour l’auteur d’une réclamation, concurremment au bâtonnier et au parquet général, de saisir le procureur général près la cour d’appel ou saisir directement la juridiction disciplinaire en l’absence de conciliation ou de poursuite disciplinaire. Ainsi, non seulement l’Ordre perd son monopole de fait des poursuites disciplinaires, mais dans une telle hypothèse c’est un magistrat de la Cour d’Appel qui présidera. Autrement dit plus de filtre du bâtonnier sur les poursuites disciplinaires, et un traitement sous l’œil de la magistrature dès la première instance.
La Chancellerie ne pouvait pas exprimer plus clairement sa suspicion sur les conditions dans lesquelles sont rendues les décisions disciplinaires, mais surtout la façon dont les poursuites sont initiées (ou pas) par les avocats contre les avocats.
Espérons que ceux qui ouvrent ainsi portes et fenêtres ont mesuré le flot de recours qui va venir submerger les instances disciplinaires, de la part de ceux qui n’avaient pas trouvé l’oreille attentive à leurs légitimes protestations, mais aussi de la part de tous les dingos, les chicanous et autres paranos qui hantent régulièrement nos cabinets.
Comme beaucoup de ceux qui ont siégé dans les instances disciplinaires et/ou représenté l’autorité de poursuite, on regrettera que le travail fourni par ces centaines de confrères bénévoles n’ait procuré aux pouvoirs publics que ce sentiment d’inefficacité. Ne récoltons-nous là pas ce que nous avons semé ?
C’est l’exercice des poursuites, leurs opportunités, leurs fréquences, la visibilité extérieure de la politique disciplinaire qui sont ici interrogées, mises en cause.
Et si l’on doit se réjouir de cette transparence, et de la fin prochaine des accusations d’entre soi qui pouvaient ternir l’image de notre justice disciplinaire, on regrettera les conditions dans lesquelles cela se fait.
Le mouvement ne vient pas de nous, avocats ; il nous est imposé, alors que nous aurions dû en être les initiateurs.
Référence : AJU240998