« Je me suis fait blouser » reconnait Joseph Cohen-Sabban

Publié le 03/04/2025 à 8h39

Au 3ème jour du procès en appel dans le dossier du faux document produit aux assises en 2018, l’un des deux avocats mis en cause, Joseph Cohen-Sabban, a été entendu tout l’après-midi. S’il reconnait avoir commis des erreurs, il nie toute faute.

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : @P. Cluzeau)

« Mon cabinet c’était un empire, pas un dossier ne lui échappait, on les avait tous, tout le monde m’appréciait. Je n’ai rien fait de mal » déclare à la barre Joseph Cohen Sabban ce mercredi 2 avril . En première instance, il avait le bras en écharpe, en appel, il se déplace avec une canne. Rien ne va plus depuis ce fameux jour où il est sorti du cabinet du juge d’instruction avec une mise en examen pour complicité de tentative d’escroquerie au jugement. Alors qu’il décide d’aller boire un verre avec un ami pour lui raconter ses malheurs, il bute sur un bout de ce trottoir qu’il connait pourtant par cœur, au pied du cabinet qu’il occupe avenue Kleber depuis plusieurs décennies. Coude cassé, visage tuméfié, il s’en est fallu de peu pour qu’il se fasse écraser par un bus.

Malgré tout, il tient à répondre aux questions de la cour debout. Question de respect, lui fera dire l’un de ses avocats, Steeve Ruben, « tout tient sur le respect » souligne Joseph Cohen-Sabban. Lundi, les avocats de la défense ont soutenu que la complicité de tentative d’escroquerie contre les deux avocats, délit dont ils ont été relaxés en première instance, n’était pas dans la saisine de la cour, celle-ci ne visant que les condamnations. La cour aurait pu statuer immédiatement, elle a joint au fond. Sans surprise, le sujet a mobilisé l’essentiel des débats.

« Regardez ce que j’ai trouvé ! »

Décembre 2018 : alors que le procès aux assises de Robert Dawes pour trafic de stupéfiants est sur le point de commencer, la défense reçoit une floppée de nouveaux documents dans une dropbox, dont une ordonnance d’un juge espagnol qui ordonne la fin des écoutes de leur client. L’un des conseils, Hugues Vigier qui ne sera pas mis en cause, est surexcité, raconte Joseph Cohen-Sabban :  « regardez ce que j’ai trouvé ! ».  Ils se mettent à rédiger des conclusions, et conviennent d’en informer le président de la cour d’assises qu’ils doivent voir le lendemain dans le cadre du traditionnel rendez-vous avant le procès. Lors de cet entretien, ils affirment avoir indiqué qu’il fallait vérifier les nouvelles pièces qu’ils ont décidé de produire. Non parce qu’ils doutent de leur authenticité, mais parce qu’ils viennent de les recevoir et qu’elles arrivent de l’étranger. S’ils avaient voulu faire un « coup », ils les auraient remises à l’audience, comme la loi les y autorise. Le jour de l’ouverture du procès, ils déposent des conclusions et remettent les pièces. La procureure vérifie, le magistrat espagnol coopère, et le faux est découvert : il a consisté à inverser le dispositif de l’ordonnance. En somme, il ne s’est rien passé d’autre que ce que la défense avait prévu : les pièces étaient nouvelles, il fallait les vérifier, on l’a fait, cela a permis de les écarter.

Sauf que la justice s’est mise en tête que les avocats pouvaient être à l’origine du faux, ou au moins savoir qu’ils produisaient un document falsifié. Une instruction plus tard, menée par trois magistrats, il est apparu que les avocats n’avaient pas fait les faux et que rien ne démontrait qu’ils savaient que c’étaient des faux. Qu’à cela ne tienne, ils sont renvoyés quand même : ils auraient dû être plus prudents.

Un dossier qui exprime le malaise entre avocats et magistrats

C’était aussi la position du parquet en première instance dont la violence du réquisitoire restera dans les annales. Accusation balayée par le jugement : il n’a pas été démontré que les avocats avaient produit le document en connaissance de cause, ils n’ont donc commis aucune faute. Seulement voilà,  le parquet ayant fait appel, le sujet se réinvite dans le prétoire, comme une névralgie qui ne cesse que pour reprendre de plus belle. Que Joseph Cohen-Sabban soit victime d’une vengeance comme il l’a suggéré à l’audience ou pas, une chose est sûre : ce dossier cristallise le malaise qui envenime chaque jour un peu plus les relations entre avocats et magistrats. Les deux professions se parlent de moins en moins, se comprennent donc de plus en plus mal et se soupçonnent parfois des pires choses.

« Elles arrivent d’où, ces pièces, selon vous ? interroge la présidente.

— D’Espagne, ça tombait sous le sens ! » répond Joseph Cohen-Sabban. Plus précisément d’un avocat espagnol, ce qui forcément rassure l’équipe de défense française. Joseph Cohen-Sabban les fait traduire en urgence, tout semble parfaitement officiel, et puis il y a cette phrase magique au bas de l’ordonnance « je n’autorise pas la prolongation ».  L’avocat rappelle qu’à ce moment-là de la procédure, toutes les nullités ont été purgées. Le document n’est donc pas la pièce miracle, mais quand même, il va dans le sens de la défense. Ce d’autant plus, confie-t-il que le client a réussi à les convaincre que toute cette affaire n’était qu’une manipulation des espagnols.

« Depuis le début, Robert Dawes n’a de cesse, en Espagne comme en France, d’obtenir l’annulation de cette sonorisation, insiste la présidente. Lorsque, très peu de jours avant l’audience, arrivent des pièces dont celle-là, n’est-ce pas de nature à alerter ?

— Aujourd’hui, je répondrais oui, mais quand je vois arriver ce document, ni Xavier (NDLR : Nogueras), ni Hugues (NDLR : Vigier), ni Laura (NDLR : Rousseau) ni moi ne nous posons de question.

« Si j’imagine une fraction de seconde que ce sont des faux, je me barre »

Qui décidait dans la relation avocat-client ? interroge à son tour l’avocat général, Christophe Auger, semblant suggérer que l’équipe de défense ait pu céder à la pression. «  Si j’imagine une fraction de seconde que ce sont des faux, je me barre, je les lui fous à travers la figure et je quitte l’audience, mais je ne savais pas », répond Joseph Cohen-Sabban. L’avocat général rappelle qu’il a été relaxé, ainsi que Xavier Nogueras parce qu’on ne rapportait pas la preuve qu’ils savaient que c’était un faux. Mais on peut selon lui voir autrement les choses : lorsqu’il explique à l’audience que les pièces viennent d’un avocat espagnol qui s’est donné beaucoup de mal pour les obtenir, n’authentifie-t-il pas le document en authentifiant sa provenance ?  Non, répond JCS. « Je dis alors ce que je pense : j’ai reçu des pièces authentiques d’un vrai avocat, les détails du parcours ce n’est pas mon problème, j’ai la conviction que ce sont des pièces réelles ». Par la suite, on lui dira qu’il aurait du savoir pour le renvoyer en correctionnelle.  Il se lance alors dans le récit de son accident, des souffrances physiques qui ne lui laissent aucun répis et termine en larmes  « je me suis fait blouser, c’est audible ? ». Puis se reprend et tonne « j’ai plaidé plus de 1000 affaires aux assises, est-ce que vous croyez que je prends les gens pour des ânes ? C’est évident que ça va être vérifié ! Quand on dit que ça doit être vérifié, on sait que ça va l’être ».

« Il est certain que les vérifications ont été demandées »

« Ce que vous dites, c’est que ce n’est pas à l’avocat d’authentifier les pièces, et je ne le dis pas », poursuit l’avocat général, semblant donc à ce moment précis abandonner cette position soutenue par le parquet en première instance, mais il pointe le fait que les conclusions demandaient plusieurs choses dont la remise en liberté du client, mais pas la vérification. « Il est certain que les vérifications ont été demandées » assène Joseph Cohen-Sabban.

Quand vient le temps des questions de la défense, ses avocats, Christian Saint-Palais et Steeve Ruben, mais aussi Jean-Yves Le borgne pour Xavier Nogueras l’amènent avec habileté à dire qu’il ne pouvait pas faire différemment. Était-il possible de renoncer à produire une pièce favorable à la défense sous prétexte de ne pas prendre de risque ? Non. À supposer, qu’il ait un doute, pouvait-il déclarer publiquement à l’audience qu’il se méfiait de son client ? Pas davantage. Était-il envisageable qu’il produise un faux en espérant que personne ne vérifierait ? Absurde. Vu les enjeux, la vérification s’imposait et si par impossible la manœuvre avait marché en première instance, elle n’aurait pas survécu à l’appel.

Il est 17 h 30, la présidente renonce à entendre Xavier Nogueras à cette heure. Il sera auditionné jeudi à 9 heures. « Jo », comme l’appellent ses confrères et ses amis, quitte la barre et se dirige vers la sortie. Il est entouré de jeunes avocats inquiets pour lui. Steeve Ruben s’assure qu’il n’a pas oublié sa canne. Non, il l’a dans la main, tout va bien. Le pénaliste aguerri, qui vient de passer plusieurs heures dans le rôle particulièrement difficile pour un avocat de prévenu, rassure ses confrères : il a le cuir dur. Et il quitte la salle, entouré d’une poignée de jeunes confrères attentionnés qui le traitent comme un père.

 

Plan