Barreau de Paris : une rentrée solennelle sous le signe de l’inquiétude

Publié le 10/01/2019

Lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris, qui s’est déroulée le 30 novembre dernier à la Conciergerie, la réforme de la Justice était au cœur des préoccupations. Face à la ministre de la justice, les avocats ont de nouveau exprimé leurs craintes et leurs critiques. Nicole Belloubet leur a répété qu’elles étaient infondées.

Fini le Théâtre du Châtelet, oublié le studio 104 de la Maison de la Radio, retour aux sources. Après des années loin du palais de justice, la rentrée du barreau de Paris a retrouvé ses quartiers sur l’Ile de la Cité. À la Conciergerie, plus précisément. Avec ses voutes gothiques savamment éclairées, elle a offert un décor somptueux à la traditionnelle cérémonie. Sans doute aussi a-t-elle apaisé l’espace de quelques heures la nostalgie du palais de justice qu’éprouvent bon nombres d’avocats parisiens depuis que le TGI de Paris a pris, au printemps dernier, ses quartiers aux Batignolles. Mais c’est un autre changement de décor qui a occupé l’essentiel des discours tant du bâtonnier Me Marie-Aimée Peyron, que du vice-bâtonnier Me Basile Ader et de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet : la réforme de la justice en cours de discussion au Parlement.

« Une justice sans avocats, sans citoyens et sans juges ! »

Tandis que les responsables du barreau de Paris listaient leurs critiques et leurs inquiétudes à l’égard du texte, la ministre s’est employée à y répondre point par point. Les échanges ont été directs, polis mais fermes et ont donné au final le sentiment d’un dialogue de sourds. Et pour cause, quand les avocats dénoncent, en s’appuyant sur leur expérience, les travers d’une disposition ou les risques de dérives d’une autre, la ministre répond en réaffirmant ses objectifs. Ne parlant pas de la même chose, il n’est pas étonnant qu’ils ne parviennent pas à se comprendre. Surtout que la méthode a d’entrée de jeu crispé les esprits. Me Basile Ader a rappelé que le barreau de Paris s’était fortement mobilisé lors des chantiers de la justice : « Nous sommes allés porter la bonne parole, celle de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Nous sommes allés dire la désespérance des prisons, la brutalité des comparutions immédiates, l’archaïsme des gardes à vues. Nous sommes allés expliquer que le parquet, depuis plusieurs années, fait le choix d’éluder le juge d’instruction, dès lors qu’il n’est pas contraint par les textes de le saisir. Nous sommes allés rappeler les principes cardinaux du procès équitable qui impose « l’égalité des armes » entre l’accusation et la défense. Mais, au final, nous avons découvert un projet de loi qui les a toutes écartées. N’y figure aucune de nos propositions ».

Au-delà de la méthode qui a déplu, le fond de la réforme suscite de très nombreuses critiques et inquiétudes. « Ce projet de loi laisse craindre une justice sans avocats, sans citoyens et sans juges ! », a résumé Me Marie-Aimée Peyron. Et de rappeler ce qui inquiète les avocats : la révision des pensions alimentaires par la CAF, la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance au risque d’entraîner la disparition des premiers, le tribunal criminel départemental, la révision de la justice pour mineure par ordonnance. Me Basile Ader a développé pour sa part les craintes relatives au déplacement du centre de gravité de la procédure pénale vers le parquet : « faire du procureur de la République le seul dépositaire de la phase préalable du procès pénal, dans plus de 96 % des affaires, c’est interdire l’accès aux dossiers à l’avocat, lui interdire d’organiser la défense, c’est affaiblir la justice. C’est même, souvent, fragiliser les procédures, car c’est risquer de mettre les juridictions de jugement devant l’alternative suivante : soit la relaxe, soit le supplément d’information, faute d’avoir pu nourrir le dossier, autant qu’il aurait pu l’être, s’il avait été confié à un juge d’instruction ». Et le vice-bâtonnier de conclure sur ce point : « Si, parce que c’est le sens de l’histoire, il est désormais l’heure d’abandonner la procédure inquisitoire au profit de celle accusatoire, il ne faut pas, alors, rester au milieu du gué. Il faut passer complètement sur l’autre rive ».

Peurs irraisonnées

Décidée visiblement à calmer le jeu autant qu’à faire de la pédagogie, la ministre a commencé par reconnaître que les critiques n’étaient pas le seul fait du corporatisme ou d’une incompréhension des mesures proposées : « La profession d’avocats défend des points de vue relatifs à ses intérêts mais qui les dépassent aussi. Je ne méconnais pas la dimension en quelque sorte « citoyenne » de vos prises de position ». Mais elle leur a aussi rétorqué qu’elle devait procéder à des arbitrages entre des positions divergentes, au nom de l’intérêt général. Surtout, elle demeure visiblement convaincue que la révolte contre la réforme est dictée par des peurs irraisonnées : « Je vois passer sur les réseaux sociaux, car j’y suis attentive, beaucoup de commentaires ou d’allégations éloignés de la réalité des choses, du texte, des engagements que j’ai pris. Je ne m’en offusque pas : cela exprime des peurs, des malaises et des convictions profondes. Mais j’en suis parfois étonnée ». Elle a ensuite réaffirmé plusieurs idées force. D’abord, la réforme n’a pas vocation à gérer l’absence de moyens, au contraire, la justice est une priorité, ce dont témoigne l’augmentation de 1,6 milliard du budget sur 5 ans prévu dans la réforme : « Il n’est pas question de gérer un syndic de faillite mais au contraire de redonner de la force à une justice trop délaissée des décennies durant. Il faut renoncer aux renoncements ! ». Elle a également démenti toute volonté de priver les justiciables d’accès au juge. La dématérialisation ou encore les transferts de compétences à la CAF ne concernent que des contentieux très limités et « ne conduisent jamais à écarter, in fine, l’intervention du juge ». De même, la plainte en ligne n’interdira nullement de se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie, et ne se substitue pas à l’accueil physique, elle s’y ajoute, a-t-elle encore affirmé. Enfin, Nicole Belloubet a répété une fois de plus qu’il n’y aurait pas de fermeture de lieux de justice. Le sens de la réforme consiste à renforcer la proximité entre la justice et les justiciables en le simplifiant et en ouvrant une voie d’accès supplémentaire via le numérique.

Concernant la réforme de la justice des mineurs, qui ne figurait pas dans le projet de réforme mais a été introduite par un amendement prévoyant le recours à une ordonnance, ce qui a achevé de mettre le feu dans les relations entre les professionnels de la justice et leur ministre, cette dernière a expliqué : « La méthode peut surprendre car elle est novatrice. Je l’assume car je suis convaincue qu’elle nous permettra d’aboutir là où tout le monde a échoué jusqu’alors. La décision de procéder ainsi résulte des nombreuses demandes formulées par les parlementaires de tous bords et par des professionnels se heurtant à un texte devenu incohérent tant il a été retouché à de nombreuses reprises et semble, pour partie, inadapté aux exigences actuelles. J’ai proposé un calendrier de réforme qui nous contraint. Par la voie de l’ordonnance, nous allons rédiger un Code de la justice pénale des mineurs, dans les six mois. J’ai pris l’engagement de préparer ce texte avec les parlementaires et les professionnels. Je prends ici l’engagement de travailler également avec vous. Le CNB sera associé en tant que tel à ce travail ». Concernant la ratification de l’ordonnance, elle a assurée qu’elle ne serait pas « sèche » mais débattue par les assemblées.

Les avocats ont-ils été convaincus ? Toujours est-il que la ministre a été applaudie. Elle est partie hélas au moment où le premier secrétaire de la Conférence, Joris Monin de Flaugergues entamait son discours en hommage à Valentin Ribet, jeune avocat parisien de 26 ans, décédé le 13 novembre 2015 lors de l’attentat au Bataclan. Elle a manqué également le sulfureux discours de Safya Akorri, deuxième secrétaire, consacré au procès du Carlton. Les avocats décidément ces derniers temps ne sont pas écoutés autant qu’ils le mériteraient.

X