Bus de la solidarité : quand les avocats parisiens donnent des consultations juridiques gratuites et confidentielles

Publié le 14/11/2024
Bus de la solidarité : quand les avocats parisiens donnent des consultations juridiques gratuites et confidentielles
Rabi Mérizak/AdobeStock

Du 7 au 13 octobre 2024, le barreau de Paris, en partenariat avec la Ville de Paris, proposait l’opération « L’Avocat dans la Cité ». Le Bus de la solidarité, faisait partie du dispositif Paris Solidarité, ce bus a stationné du 7 au 11 octobre place de la République. Des avocats bénévoles ont donné des consultations juridiques gratuites et confidentielles aux justiciables dans le besoin. Reportage.

« Qu’est-ce que c’est exactement ? », demande un monsieur curieux devant le bus estampillé « Avocats » en 4 langues différentes et garé au beau milieu de la place de la République. Le vigile, posté devant l’engin, le renseigne. Ce Bus de la solidarité permet à des justiciables de bénéficier de consultations juridiques gratuites et confidentielles. « Ah, ça tombe bien, j’ai quelque chose à demander… » Après avoir inscrit son nom, ce justiciable attendra son tour et pénétrera dans l’un des trois boxes, exigus mais confortables, où il pourra prendre place en face d’un ou d’une avocate bénévole. Installés derrière des rideaux phoniques qui assurent un degré important de discrétion, les justiciables peuvent ainsi aborder les points de droit qui leur posent des soucis dans leur quotidien.

Lors de ces permanences longues de 3 heures, chaque consultation dure environ 20 minutes. Un rythme assez intense pour les avocats bénévoles qui reçoivent jusqu’à une vingtaine de personnes. Le reste de l’année, d’autres permanences sont ouvertes à Paris, généralistes (Porte de Choisy, Porte de Clignancourt, Porte de Clichy, Porte de Montreuil), spécialisées en droit des étrangers et droit d’asile (Porte d’Aubervilliers, Porte de la Chapelle), et d’autres consacrées aux victimes de violences conjugales.

Une démarche qui donne du sens

« Au sein du Barreau, le nombre de bénévoles pour le Bus ne tarit pas. De nombreux avocats nous rejoignent régulièrement, que ce soient des avocats qui débutent, comme des collaborateurs de cabinets, et parfois de gros cabinets », détaille Théodore Malgrain, responsable de la coordination du dispositif solidaire du Barreau, Paris Solidarité. Un profil type se détache cependant : des avocats qui viennent de s’installer, donc qui ont davantage la possibilité de gérer leur emploi du temps qu’en cabinet. Droit de la famille, droit du travail , droit du logement, droit des étrangers, un peu moins de pénal et de consommation, lors de ces consultations, les matières sont variées. « Parfois, de manière plus surprenante, nous avons des questions de propriété intellectuelle ou de droit des sociétés », explique-t-il.

Parmi les avocats bénévoles de ce mardi 11 octobre, on trouve Hana Ladhari. C’est sa première participation au Bus de la solidarité. « En revanche, ce n’est pas la première fois que je fais du pro bono ». Elle l’a déjà fait en faveur de mineurs non accompagnés (MNA), pour l’AADH (Alliance des avocats pour les droits de l’Homme), en faveur d’un condamné à mort américain ou encore en soutien à des chercheurs qui travaillent sur le réchauffement climatique. L’année dernière, quand elle avait postulé pour le Bus, il n’y avait plus de créneaux disponibles. Cette année, elle ne voulait pas manquer sa chance. « Pour moi, c’est une évidence de participer à ce genre d’initiative. Ce n’est pas un choix. On se doit de le faire. En tout cas, c’est mon cas : j’ai été boursière, et ce faisant, je rends un peu à la société ce qu’elle m’a donné ». Cette collaboratrice dans un cabinet américain fait du contentieux civil et pénal, dont beaucoup de droit des sociétés et de la conformité. Elle est « habituée à se former rapidement sur une question juridique », que ce soit le droit au logement, le droit de la consommation ou le droit des étrangers. Dans quelques instants, elle va monter dans le bus, s’installer et recevoir un premier justiciable. Une appréhension ? « Non, parce que nous ne sommes pas seuls. Si j’ai une question, des consœurs ou confrères seront autour de moi », se rassure-t-elle.

L’humanité, au cœur des missions des avocats

Alors qu’elle prend place dans le bus, elle croise Mélissa Cardoso, avocate bénévole pour le Bus depuis quelques années. Installée à son compte, elle assure régulièrement des permanences, dès que son emploi du temps le lui permet, à Porte de la Chapelle en droit des étrangers ou à Porte d’Aubervilliers. Sa motivation première ? L’envie de « donner des conseils juridiques aux personnes éloignées du droit et de la justice ». Elle rappelle ce mot essentiel contenu dans le serment des avocats qui enjoint de remplir sa mission avec « humanité ». Son action bénévole a pris racine chez Action contre la faim, la Cimade ou encore pour Amnesty International, malgré « une charge de travail importante ». Mélissa Cardoso fait majoritairement du droit des étrangers et du droit d’asile. Lors de ses permanences au cœur du Bus de la solidarité, elle prodigue ses conseils dans ces matières, dont elle est experte, mais aussi parfois en « droit de la famille, droit pénal ou du logement. En tant qu’avocat généraliste, on peut aussi orienter vers des permanences spécialisées », explique-t-elle. Parmi les demandes les plus fréquentes auxquelles elle fait face, « des demandes d’informations relatives aux OQTF (obligation de quitter le territoire français), car les personnes peuvent être dans des situations irrégulières ou souhaitent demander la nationalité française ». À l’heure où le contexte politique est chaotique, où les idées d’extrême-droite se répandent, l’angoisse pointe chez les demandeurs. « On essaie de faire preuve de la plus grande empathie possible », explique-t-elle. Mais elle se doit d’avoir, aussi, un discours de vérité. « Je suis très transparente avec eux. Celui ou celle qui est en France depuis 1 an et demi et qui veut obtenir la nationalité, je préfère lui dire que ça ne sera pas possible. Je ne fais pas miroiter une situation qui ne serait pas conforme à la réalité ». Cela peut-il créer une réaction négative ? « Les gens sont en mesure d’écouter les conseils d’un avocat, compétent et déontologique », assure-t-elle. S’ils sont en mesure d’écouter, ils attendent parfois simplement de l’écoute, à l’heure de l’individualisme érigé en règle. « Un monsieur est venu tout à l’heure, il vit à la rue et il avait une question à poser. Mais il voulait surtout discuter », illustre-t-elle.

Gabriela Greco de Marco Leite, avocate au barreau de Paris et au Brésil, collaboratrice, parle également avec enthousiasme de ces interventions. Elle a pris connaissance des activités de l’association Paris Solidarité il y a un peu plus de deux ans, et depuis « elle en est tombée amoureuse ! », plaisante-t-elle. Elle participe à des permanences mais intervient aussi dans des centres d’aide dont les résidents, même s’ils sont formidablement aidés par les travailleurs sociaux, ont parfois besoin d’aide juridique plus spécifique. Sa matinée place de la République s’est bien passée mais a été intense. « J’ai eu surtout des questions sur du droit des étrangers, ma matière préférée, et de la famille ». C’est ce qu’elle fait d’ailleurs dans son quotidien, avec du droit pénal, de la famille et un peu de droit de la consommation et du logement. Rejoindre le Barreau de la Solidarité s’inscrit dans la droite ligne de sa vocation. « J’ai toujours aimé les matières avec le plus de contact humain, c’est la raison pour laquelle je fais ce métier. Ces initiatives correspondent à mes valeurs en tant qu’avocate », explique-t-elle. Et s’il n’est pas simple de concilier ses dossiers du cabinet et le pro bono, car certaines périodes sont plus chargées, « Je ne laisse pas le bénévolat de côté. J’ai la chance d’avoir des collègues très compréhensifs, qui comprennent tout à fait quand je dois partir faire des maraudes ou des permanences ». Ajoutées à son emploi du temps déjà bien rempli, ces heures bénévoles sont une respiration : « Souvent dans mon quotidien, j’ai des clients qui peuvent payer les honoraires. Or avec le dispositif Paris Solidarité, nous rencontrons un public très précaire. On se sent d’autant plus utile ». Elle évoque avec émotion « la différence que cela fait dans la vie de ces personnes » : parfois quelques simples appels au commissariat ou tribunal permettent « de débloquer une situation ».

Quelques jours après sa première intervention, Hana Ladhari livre ses impressions : « C’était formidable », s’exclame-t-elle. Questions de droit civil classiques, droit social, moments « touchants » quand il s’agissait de droits des étrangers ou de droit de la famille, elle a pu échanger, en toute confidentialité, avec des justiciables heureux d’avoir des réponses entières ou au moins des débuts de réponses, et surtout, ravis d’avoir un moment d’écoute privilégié. « Je n’hésite pas à rediriger vers les permanences spécialisées le cas échéant ». Plus habituée à traiter avec de grands groupes ou des fonds d’investissement, elle a aimé s’ancrer dans des problématiques plus quotidiennes. « C’est génial de ressortir en sentant qu’on a été utile », conclut-elle. Dès qu’elle est sortie du Bus, elle en a d’ailleurs parlé autour d’elle, dans son cabinet, recommandant à chacun et chacune de tenter l’expérience pour la prochaine édition, qu’elle attend d’ores et déjà de pied ferme…

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