Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, défend l’unité des avocats

Publié le 25/10/2018

Première femme à présider le CNB, Christiane Féral-Schuhl, élue en janvier dernier à la tête de ce conseil représentatif, a livré son discours de rentrée à la bibliothèque du barreau du Val-de-Marne, au sein du TGI de Créteil. L’avocate, spécialiste des nouvelles technologies et de l’informatique, est revenue sur les enjeux de son mandat, ses objectifs, persuadée que le CNB doit permettre de réduire la distance avec l’ensemble des avocats et mieux communiquer sur ses actions pour être plus proche des besoins et des attentes de la profession. « Faire et faire-savoir », tel est son credo. Plus que jamais a-t-elle souligné, dans un contexte de projet de programmation de loi justice, contesté par la profession, les avocats ont besoin de se fédérer pour défendre leur exercice et leurs prérogatives.

Le 25 septembre dernier, le barreau du Val-de-Marne organisait une rencontre avec Christiane Féral-Schuhl, carré impeccable et tout sourire, première femme à présider le Conseil national du barreau (CNB). Devant une assemblée parsemée mais attentive, armée de toute sa détermination, la présidente a pu aborder les différents points de son programme lors d’une réunion animée par le bâtonnier du barreau du Val-de-Marne (94), Pascale Taelman. Cette dernière préside un barreau de 600 avocats, composé à 64 % de femmes, confirmant la féminisation amorcée de la profession. « C’est l’un des barreaux les plus féminisés de France ! », a ainsi souligné Christiane Féral-Schuhl. 60 % exercent de façon individuelle, « ce qui pose la question de l’accompagnement proposé par le CNB », a-t-elle ensuite glissé. Une petite phrase qui a permis de faire le lien avec ses trois objectifs affichés. Le premier, auquel sans nul doute la présidente du CNB est particulièrement attachée en tant que femme, est « l’égalité des chances pour tous les avocats, quelle que soit la situation d’exercice, le secteur, l’implantation géographique, que ce soit pour la formation initiale que continue ». Christiane Féral-Schuhl est bien déterminée à lutter contre « toute forme de discrimination ».

La transition numérique, oui, mais pas à n’importe quel prix

Son deuxième objectif est d’accompagner la transition numérique. Particulièrement bien placée sur cette problématique, en tant qu’avocate spécialisée des nouvelles technologies et informatique, elle a plaisanté sur le changement de regard de ses interlocuteurs sur son cœur de métier. « Cela fait trente ans que je m’intéresse à ces problématiques. Au début, on me regardait d’un œil bizarre, mais maintenant tout le monde baigne dedans », a-t-elle constaté. À ses yeux, le RPVA, criticable par ailleurs, a le bon côté de permettre une même connexion à la juridiction à l’ensemble des avocats, en exercice individuel ou en cabinet, dans la capitale ou en province. Pourtant, Christiane Féral-Schuhl a dévoilé ses craintes quant à une nouvelle « fracture numérique » propre à la profession, au-delà de la « situation générale en France où 30 % des citoyens n’ont pas encore accès à internet ». Elle craint en effet le creusement des écarts d’accès aux nouvelles technologies, entre les gros cabinets qui investissent de plus en plus dans l’intelligence artificielle (logiciels, applications, algorithmes…) et les avocats exerçant seuls qui n’ont pas du tout les mêmes moyens financiers. « Nous sommes 68 000, pourquoi ne serait-il pas possible de négocier des tarifs pour y avoir également accès et ainsi créer une force solidaire ? », a-t-elle suggéré. Dans une formule lapidaire, elle a bien précisé qu’elle ne souhaitait pas l’avènement d’un « avocat augmenté artificiellement ».

Elle a également souligné ses inquiétudes face à une profession qui n’a pas pris la mesure des dangers liés à la cybersécurité. À titre d’exemple, elle a cité les notaires, pour qui 400 personnes travaillent sur les questions de sécurité informatique, tandis que les avocats sont seulement 13 pour 68 000 personnes ! Son message : « on ne pourra pas colmater les brèches ad vitam aeternam et il est urgent de s’activer ».

Dans la foulée, Christiane Féral-schuhl a mis en garde contre trois dangers de l’open data, c’est-à-dire la collecte de l’ensemble des décisions judiciaires, « un terrain sur lequel les principaux éditeurs sont étrangers », a-t-elle précisé. Conséquences : une « perte d’influence de notre droit car beaucoup de droits étrangers nourrissent ces bases de données », la non-maîtrise des avocats, pourtant corédacteurs avec les juges, de l’utilisation de cette matière ; enfin, un manque de contrôle général et la différence de traitement avec les magistrats due à l’anonymisation des données.

Concernant l’implication du CNB sur cette question, sa présidente a annoncé un plan massif d’investissement numérique (à hauteur de 2,1 millions d’euros), afin d’assurer et d’accompagner la transition numérique.

Dernier axe de son mandat : écrire l’avenir de la profession en comprenant mieux ses attentes et les enjeux. D’où l’idée d’une campagne de consultation nationale, qui sera lancée ce mois-ci, lors de laquelle tous les avocats seront consultés et pourront faire des propositions de réforme. Le CNB votera ensuite en connaissance de cause, en ayant une meilleure connaissance des réalités des avocats. Ceci afin de répondre aux critiques fréquentes consistant à dire que « le CNB est déconnecté des réalités ». « Nous allons demander à la profession de hiérarchiser des thématiques par ordre d’importance », expliquait encore Christiane Féral-Schuhl. Le calendrier s’étirera ensuite de novembre-décembre 2018 jusque mars-avril 2019, période pendant laquelle des groupes de travail seront constitués et se rendront partout en France, « dans une approche de débat et de dialogue ». Juin 2019 marquera le rendu des propositions des groupes de travail lors d’une réunion à la Mutualité.

Un mandat sous le signe de l’unité, de l’engagement et de l’influence

Mais si Christiane Féral-Schuhl s’est fixé trois objectifs pour son mandat qui court jusqu’en 2020, elle s’est également choisi trois valeurs fortes : unité, engagement et influence.

En termes de stratégie, elle a estimé que l’unité de la profession était essentielle. « Il faut qu’on arrête de se dénigrer », que ce soit entre avocats ou entre autres professions réglementées du droit. Cette unité, à ses yeux, a déjà permis de gagner certains combats, notamment face au projet de loi de programmation de la justice. « Où en serions-nous si nous n’avions pas fait front uni ? », s’est-elle interrogée.

En effet, même si cette loi n’est pas la loi attendue par la profession, a-t-elle reconnu, des résultats ont été obtenus. « Nos 153 propositions ont fait l’objet d’un vote », s’est-elle réjouie, tout en soulignant que les avocats ont été la seule profession à être consultée. La présidente du CNB en veut pour preuve des avancées significatives au civil. « Nous partions d’un texte qui nous excluait de la phase précontentieuse préalable obligatoire, où seuls les conciliateurs de justice étaient habilités à intervenir avant la saisine de la juridiction. Nous avons réintroduit les avocats ». Autre victoire : l’interdiction de recourir uniquement aux algorithmes pour rendre une décision de justice ou encore la lutte contre la remise en cause du droit de la famille (question de la cause dans la procédure de divorce)…

Elle a aussi reconnu un échec, celui du pouvoir référé au directeur de la CAF concernant la revalorisation des pensions alimentaires, et pour l’instant, sur la force exécutoire qui existe pourtant ailleurs en Europe, l’a-t-elle précisé.

Au pénal, « nous n’avons pas beaucoup progressé, mais il existe quand même quelques résultats », notamment sur la visioconférence, « qui met la victime à distance, et abaisse les droits de la défense », et qui disparaît pour l’interrogatoire de première comparution. Par ailleurs, l’avocat demeure obligatoire pour les procédures de CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), le recours hiérarchique devant le procureur général en matière de plainte avec constitution de partie civile est supprimé et l’allongement du délai de présentation de 20 h à 24 h de la personne déférée à l’issue d’une garde à vue est supprimé. Autant de petites victoires soulignées par Christiane Féral-Schuhl, qui a également précisé des prises de position du CNB, qui s’est prononcé notamment contre le tribunal criminel en estimant qu’il induirait une régression du droit des victimes (notamment sur le viol) et a estimé que l’organisation territoriale des juridictions constituait en fait une réforme de la carte judiciaire qui ne disait pas son nom. « Nous en avons stoppé net le processus », s’est félicitée Christiane Feral-Schuhl. « Cette réforme sur la spécialisation, nous ne la soutenons pas, mais nous avons obtenu que la spécialisation devant le TGI ne concerne que des contentieux à faible volumétrie et à haute technicité », a-t-elle spécifié.

Sur la question de l’engagement qui lui est chère, la présidente a insisté sur l’importance d’entretenir et d’enrichir les réseaux à l’étranger, véritable soft power. Face à un droit anglo-saxon de plus en plus présent dans toutes les ères géographiques mondiales et qui détricote notre droit « il est fondamental que notre droit soit présent ailleurs ». Elle cite pour exemple le Japon, dont beaucoup d’entreprises cherchent à investir en France. Idéal pour mettre en route des partenariats et que des avocats s’emparent de ces opportunités. Le 4 octobre, par ailleurs, a eu lieu la première Journée du droit dans les collèges, une initiative lancée par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Franc succès : 1 900 collèges s’étaient inscrits ! Une demande existe donc de démocratiser leurs missions, de mieux les faire connaître du grand public.

Plus prosaïquement, le CNB, par la voix de sa présidente, a annoncé vouloir plus de transparence dans la publication des comptes et d’assiduité dans le règlement des cotisations, le nerf de la guerre… Le message transmis par Christiane Féral-Schuhl a clairement été celui de resituer l’avocat au cœur de la cité, acteur démocratique dans une justice en pleine transformation.

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