Concours d’éloquence des jeunes avocats de Seine-Saint-Denis

Publié le 25/11/2024
Concours d’éloquence des jeunes avocats de Seine-Saint-Denis
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Le 18 octobre dernier se tenait la finale du concours d’éloquence du barreau de Bobigny. Quatre finalistes ont livré leur ultime prestation. Esprit de défi mais aussi plaisir du bon mot, rencontres humaines et barreau humain, l’événement a été reconnu unanimement comme un succès.

18 heures, le 16 octobre, à la Maison de l’avocat de Bobigny. Petit à petit, les murmures de la salle où se tient la finale de la Conférence du jeune barreau de Seine-Saint-Denis, s’estompent. Sur l’estrade ont pris place quatre jeunes avocats dionysiens qui vont prendre la parole dans quelques instants. On trouve Maimouna Haidara, secrétaire de la Conférence du jeune barreau en 2022, la bâtonnière, Stéphanie Chabauty, la bâtonnière élue, Sandrine Beressi, le président du tribunal judiciaire, Peimane Ghaleh-Marzban, Fanny Bussac, la vice-procureure de la République près le TJ de Bobigny. On sent leur attente d’entendre les plaidoiries. Les deux sujets laissés au choix laissent présager du meilleur. « Dieu est-il une femme » ? ou « Le siège du juge est-il trop confortable » ?

La première à prendre la parole est Sarah Bahari. Cheveux bouclés, voix claire, elle déclame avec aisance un texte sur l’omniprésence du jugement dans notre vie, dès notre naissance. Elle évoque avec humour cet amoureux jugé pour ne l’avoir pas invitée au restaurant un soir de Saint Valentin. « J’ai jugé cet homme sans lui expliquer ses droits », plaisante-t-elle. Elle glisse un peu d’elle-même, comme la tradition le veut, que le siège le plus confortable reste « les genoux d’une mère » – elle n’a connu que ceux de son père. Elle fait un détour par les dévoiements de la justice dans les régimes dictatoriaux comme l’Iran, avec la condamnation de l’avocate Nasrin Sotoudeh en 2023… Enfin que vaut la justice, est-ce un Saint Graal ? Quid de l’irresponsabilité pénale ? « Oui, votre siège est confortable, s’adresse-t-elle au jury, mais est-il « trop » confortable » ? Ce fauteuil, le reconnaît-elle, est constamment sous pression d’une justice rendue au nom du peuple, avec cette peur d’être jugé par lui trop « sévère » ou trop « laxiste ». « Juger, c’est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l’on comprenait, on ne pourrait pas juger », cite-t-elle enfin André Malraux.

Quelques minutes s’écoulent, avant que n’apparaisse Diaka Cissé. Elle traverse la salle, juchée sur ses hauts talons, rajoutant encore quelques centimètres à sa silhouette élancée. « Les juges font de la merde. Attention, je ne diffame pas, je constate », lâche-t-elle, avec un peu de provocation. Elle évoque « leur aisance presque indolente », « l’indépendance des magistrats » – une farce – citant Napoléon : « Je ne crains pas la justice, je la tiens ». Le juge du siège a un « pouvoir inestimable », estime-t-elle, avec droit de vie ou de mort sur les sujets. Et elle prend de l’envol quand elle utilise l’autodérision, évoque les failles de sa confiance en elle, malgré des apparences trompeuses, utilise la force du retournement de situation pour nous surprendre. Le jugement est facile et sans doute la chose la plus répandue au monde. Elle parle du « trône de nos certitudes » : « juger est facile, voire instinctif ». Et de lâcher, poignante : « Je ne défends pas le droit, je défends ma légitimité tous les jours à l’exercer », en tant que femme, avocate, noire.

Suite à elle, Théophile Baller prend la parole. Il a choisi l’autre sujet. Sur Dieu est-il une femme, il apporte une « réponse d’une clarté biblique », lâche-t-il avant de dérouler le fil de sa démonstration. Par des détours historiques – la religion a été dominée par des « hommes en soutane, en tsitsit ou en kamis » et a « diabolisé la femme à outrance ». Quelle injustice de ne faire reposer la responsabilité du péché originel que sur Ève ? Dans la Bible, l’accouchement est associé à la « récompense ». Qui d’autre qu’une femme pour poser ce mot juste sur les douleurs de l’enfantement ? Et quand Dieu a créé la vie, c’est à son image : la terre, la mer, l’atmosphère, les molécules, la chasse, cueillette, la culture… et l’éternité. Tout cela se décline au féminin. « La cour est au-dessus sur tribunal », s’amuse l’avocat, et dans le jargon, on trouve l’accusation, la poursuite, la décision, la relaxe, la déclaration de culpabilité, la « même robe » portée par tous les avocats. « On a réduit voire tu la contribution des femmes à l’histoire de l’humanité ». Théophile Baller a bien répondu à la question « sans termes masculins, à défaut de quelques alexandrins ».

Enfin, Lola Hamani s’empare du même sujet. Qui d’autre qu’une femme pour avoir créé ce monde ? Mais elle y voit « une femme en colère, à bout de nerfs, agacée par nos prières incessantes pour des choses futiles ». Une femme, mais encore plus : une mère, stratège, qui a décidé de « faire croire aux hommes qu’ils dirigent ». Réchauffement climatique, sécheresse, à l’image de ce Dieu débordé par les « réclamations incessantes de ses enfants », un Dieu féministe et humain, dans son agacement face à nos outrances. Un hommage touchant glissé aux femmes de sa famille, mère et grand-mère clôt cette prise de parole qui a arraché des rires à l’audience.

Passion Droit

Quelques minutes après, les résultats tombent : Sarah Bahari est nommée nouvelle secrétaire de la Conférence, suivie de Lola Hamani, puis Diaka Cissé et Théophile Baller ex-aecquo. Mais les quatre jeunes avocats ressortent galvanisés par l’aventure. Quelques jours après, ils nous accordent un peu de temps pour évoquer cette étape dans leur carrière.

Lola Hamani est tombée dans le droit toute petite. Elle se rappelle avoir été sensibilisée aux grands procès par sa maman, comme celui de Christian Ranucci. « J’ai même écrit à l’ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing pour savoir pourquoi il n’avait pas commué sa peine capitale en peine à perpétuité ! », s’amuse-t-elle. Elle a décidé de devenir avocate pénaliste quand elle avait 14 ans. La voici quelques années plus tard, à son compte, le rêve réalisé. Sarah Bahari, originaire d’Aubervilliers, dit aussi de ce métier qu’il est une vocation. « Je suis née avocate ! », rit-elle, se souvenant d’avoir, dès le collège, toujours défendu ses copains. Pourtant, tout n’était pas gagné d’avance : milieu modeste, aînée d’une grande fratrie, absence de réseau… Mais après avoir gagné un concours d’éloquence organisé par le cabinet Cohen Amir-Aslani, elle bénéfice d’un parrainage qui facilite son entrée dans le milieu codifié des avocats. « Au moment de trouver des stages se pose la question de la réussite », relate-t-elle. Elle ferme les yeux, en s’imaginant avocate, va regarder les audiences à Bobigny, « les étoiles dans les yeux ». Et comme elle déteste l’échec, elle n’avait pas le choix ! Pour Théophile Baller, la décision est arrivée au cours de ses études, il ambitionnait de devenir économiste. Finalement, il garde son appétence pour l’économie en devenant avocat en droit pénal, fiscal et douanier, raconte-t-il, à son compte depuis une semaine quand nous lui parlons.

Un barreau qui fait l’unanimité

Ces jeunes avocats ont fait le choix du Barreau de Seine-Saint-Denis. Diaka Cissé, forte de sa formation en droit des affaires, a travaillé comme collaboratrice au sein du barreau de Paris. En 2022, elle a l’occasion de rejoindre celui de Seine-Saint-Denis, plus « familial ». C’est « sa plus belle décision », se réjouit-elle. « À Paris c’est assez mal vu d’être en collab’ et d’avoir des dossiers propres, ici c’est valorisé ». Elle fait un peu moins de droit des affaires et plus de droit pénal et de la famille, mais sait qu’elle peut revenir à ses premières amours à tout moment. Son meilleur souvenir : « avoir eu l’opportunité de plaider aux assises ». Tellement portée par l’exercice, elle a « le souvenir d’être sortie de son propre corps ».

Pour Sarah Bahari, c’est une « façon de redonner à ce territoire qui lui a tant donné », dont la fierté collective de la réussite dans son quartier, la générosité, la détermination. Un barreau jeune, solidaire, confraternel, « tout ce que j’aime ». Après un stage final orienté dans la grande délinquance organisée, Lola Hamani a eu une fenêtre de tir pour devenir permanencière au Barreau de Seine-Saint-Denis. Elle qui ne pensait pas se mettre à son compte tout de suite saisit finalement l’opportunité, soutenue par une famille bienveillante. Finalement, entre un barreau de Paris, fort de ses 34 000 avocats, et un barreau plus familial aux 600 avocats, elle hésite assez peu. « Le barreau de Bobigny est un barreau en plein essor depuis des années, et il y a du travail en pénal. C’est le 2e TJ de France ! », rappelle-t-elle.

L’amour du défi

Le concours d’éloquence a été un « plus ». Qu’ils l’aient connu avant ou l’aient découvert au moment d’une réunion, il a été une force d’attraction. Quand Diaka Cissé postule, c’est un peu pour renouer avec la sensation grisante ressentie aux Assises. Au début, elle s’inscrit en se disant que cela n’engage à rien. Au « pire », elle participera seulement à l’atelier pour préparer le concours, donné par un comédien. Finalement, elle se laisse convaincre : après tout, pourquoi pas elle ? C’est déjà une victoire car Diaka Cissé parle sans détour de ses remises en question constante, de ses doutes. « On dirait que j’ai confiance en moi, mais ce n’est pas le cas ! ». Quand elle passe le premier tour, « ça a été magique, inespéré ! J’étais heureuse comme si j’étais en finale », plaisante-t-elle. Sans expérience, avec deux enfants en bas âge, elle a réussi à clouer le bec à sa petite voix intérieure.

Pour Sarah Bahari, le concours n’était pas celui de la Conférence de Paris et c’est tant mieux : le phénomène classique de l’autocensure n’a pas gagné, même si la Conférence de Seine-Saint-Denis est aussi exigeante. Pour Théophile Baller, le stress était à son compte, mû par « l’envie de bien faire » et de « ne pas être ridicule ». Il estime que cette participation a constitué une expérience enrichissante en termes de gestion du stress, confie-t-il, car les concours d’éloquence, ce n’est pas dans sa nature.

Diaka Cissé a déjà eu peur au cours de sa carrière, mais « je n’ai jamais été aussi stressée que lors des concours d’éloquence ». C’est aussi ce que laissent entendre Théophile Baller et Sarah Bahari, car « on est jugé sur ce que l’on est » et pas sur un dossier. Étrange, « même avec la vie d’un client entre les mains », Sarah Bahari n’a, elle, non plus jamais été aussi stressée que lors de ses prestations d’éloquence. Théophile Baller, également, même quand il a « plaidé sur des dossiers avec de réels enjeux, notamment en comparutions immédiates ».

Quand elle découvre le concours, Lola Hamani « aime l’idée d’un art oratoire où l’on dépasse le simple cadre d’une plaidoirie, mais j’y allais la peur au ventre, j’étais convaincue que je n’irais pas et que je me contenterais de l’atelier ! », partage-t-elle, tout comme Diaka Cissé. Finalement elle est happée, dès le 2e tour. « Après tout je n’avais pas grand-chose à perdre à part perdre, ce qui n’est pas grand-chose. Je ne plaidais pas pour ma vie ». Elle a plutôt été inspirée par les questions, car elle avait trop peur de faire du trop « sérieux ».

La préparation, les tests effectués auprès des proches, mais surtout, la prise de parole, l’exercice est jalonné d’obstacles. Les quatre lauréats les ont surmontés. Car des apprentissages, il y en a. Diaka Cissé a décidé de s’inspirer de son discours final pour sa prochaine plaidoirie : pourquoi ne pas utiliser davantage l’espace autour d’elle ? Théophile Baller en a tiré des enseignements sur la gestion du stress, ces mains qui parfois, trahissent en tremblant. Sarah Bahari ressent les mêmes avantages, et souligne l’importance d’avoir établi nouveau réseau, rencontré des confrères et consœurs, elle se réjouit d’avoir ressenti une telle vague de soutien et de bienveillance. À l’avenir, Lola Hamani utilisera sûrement plus l’humour dans ses plaidoiries. Sans doute le fera-t-elle à l’occasion de l’organisation d’un procès parodique d’une personnalité invitée lors de la Rentrée solennelle du barreau, où elle campera le rôle d’une procureure de la République le 14 décembre prochain, aux côtés de la première secrétaire du barreau.

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