Corinne Herrmann, pour l’amour des scellés

Publié le 15/12/2022
Scellés, meurtre
Miljan Živković/AdobeStock

Connue, avec l’avocat Didier Seban, pour avoir lancé la cellule des cold cases, Corinne Herrmann nous explique combien la conservation des scellés reste le « parent pauvre » de la justice en France.

Corinne Herrmann a beau passer des semaines chargées, pleines de rendez-vous manqués, de bouchons, de taxis, elle ne perd aucune occasion de parler de l’un de ses sujets fétiches, les scellés. L’avocate parisienne, qui s’est forgée une réputation comme spécialiste des cold cases en France avec son ancien associé, Didier Seban, qui a pour mission de défendre ceux qui ne comptent plus, a toujours une sonnette d’alarme à tirer. Celle de la gestion catastrophique des scellés dans les tribunaux de France et de Navarre en est une. « Ça et la prescription, c’est le b.a-ba de la police scientifique, c’est curieux que la première ne soit pas au cœur de nos préoccupations » ! On commence à comprendre que ces scellés sont importants grâce aux affaires non résolues, autrement nommées cold cases. Dans ces affaires, on peut en analyser trente ans après et trouver des ADN, les comparer à la base de données la plus récente, permettant l’identification de suspects. L’avocate aime distribuer des phrases chocs qui permettent de saisir rapidement les enjeux : « Il faut cesser le massacre des scellés : on a une conservation des scellés du Moyen-Âge avec des techniques d’analyse du XXIe siècle : il faut que cette aberration change. Parfois, on retrouve presque par hasard des scellés dans les laboratoires, qui ont été conservés dans des cartons pendant 30 ans : nous sommes à l’aube de réussir à résoudre un dossier grâce à ça. Mais pour un miracle, combien de bévues : pour l’histoire de Michel Fourniret, on a essayé de protéger les dizaines de traces découvertes dans son véhicule, on les a rapprochés d’un certain nombre de dossiers… mais comment a-t-il pu être mis à la fourrière, alors qu’il en restait peut-être d’autres à analyser ? ».

Plus de 500 000 pièces à conviction s’entassent chaque année dans les sous-sols des tribunaux français. La justice manque de moyens pour les trier et les conserver. Quand une enquête est terminée, les scellés criminels peuvent être détruits dans un délai de six mois avec l’accord du procureur. Dans un flux continu, les nouveaux dossiers remplacent les plus anciens sur les bureaux des juges qui peuvent être tentés de clore les enquêtes anciennes, quand il n’y a plus de pistes, pas d’ADN. L’avocate se souvient de l’une des premières fois où la gestion des scellés a failli lui coûter une affaire. Il avait fallu annoncer à une mère que les vêtements de sa fille de 16 ans, ceux contenant peut-être l’ADN de son tueur, avaient été détruits par le procureur du tribunal de Chalon-sur-Saône. « Quand on reprend des dossiers criminels, qui n’ont pas été résolus ou qui ont fait l’objet d’un non-lieu, on se rend compte que la raison vient souvent de scellés détruits ou égarés. Pour l’affaire Christelle Maillery, je pensais vraiment que je ne parviendrais pas à résoudre l’affaire. Quand j’avais saisi le parquet concerné pour savoir de combien de scellés je disposais, on m’avait indiqué qu’ils avaient été détruits deux semaines plus tôt. Nous avions beaucoup d’espoir de retrouver à l’époque, en 2002, de l’ADN pour ce meurtre de 1986. Tout s’était effondré ! »

Les salles des scellés : un univers où règne le chaos

Comme nous l’a confirmé Me Corinne Herrmann en préliminaire de notre entretien, la question des scellés est le « parent pauvre » de la justice : non seulement personne ne s’y intéresse vraiment, mais les règles qui entourent leur conservation sont soit floues, soit peu respectées. Mauvais emballage, étiquetage défaillant, salles de scellés ressemblant à des capharnaüms, les tribunaux de France ne se donneraient pas la peine pour l’immense majorité de prendre soin des scellés, considère Me Corinne Herrmann. « La règle, ce serait de préserver, numéroter chaque objet. Mais chaque tribunal fait un peu les choses de son côté. À Charleville-Mézières, pour l’affaire Fourniret, on passait à l’arrière pour échapper à la presse, nous traversions une pièce constellée d’objets non emballés… on aurait pu y laisser un élément ».

L’avocate regrette également qu’il ne soit pas fait véritablement de distinguo entre les scellés liés aux crimes de sang de ceux de petits délits. « Tout se mélange, on a de la drogue, la tondeuse volée et les affaires criminelles. On mélange des scellés et les traces d’auteurs de crimes se retrouvent partout, des cartons se retrouvent vides aussi. On avait eu ça pendant l’affaire Émile Louis », se souvient Corinne Herrmann. Elle n’oublie d’ailleurs pas de mentionner qu’au-dessus de toutes les lois concernant le respect alloué aux restes humains, des ossements ont pu se perdre dans les salles des scellés. En 1986, les restes d’un enfant inconnu auraient été  « négligemment » placés sous scellés à l’ancien palais de justice de Grenoble, au lieu d’être légalement inhumés sous X. Ils se sont perdus, une épreuve pour les quelques familles d’enfants disparus à l’époque qui auraient pu compter sur l’ADN pour obtenir des réponses tant attendues.

L’avocate a longtemps cherché à comprendre la raison d’une telle situation, qui existe depuis tant d’années, sans trouver de réponse satisfaisante. « Je pense qu’il s’agit de mépris dans l’archivage des dossiers, on perd aussi des dossiers papier. C’est une question de moyens, oui, mais aussi d’envie : on ne conserve pas les traces, ce qui dénote à mon sens de l’attention que l’on porte au crime. On détruit tous les jours des scellés avec des traces criminelles, de l’ADN des tâches de sang qui racontent une scène de crime… Le procureur qui signe les actes de destruction n’a pas toujours conscience de ce qu’il fait ». Selon l’avocate, « le scellé, c’est de l’or en barre », elle regrette qu’il ne soit pas mis sous clés comme dans certains pays du monde : « Chez nous, on balance les objets à peine emballés et numérotés dans une salle. Au Canada, si on a une scène de crime dans une voiture, on va emballer le tout et l’envoyer tel quel dans un institut spécialisé… Si aujourd’hui nos flics travaillent en combinaisons, il y a peu ils portaient des chasubles qu’ils mettaient sur un porte-manteau en rentrant au commissariat, quitte à risquer de polluer les scènes de crime. Heureusement que tout change progressivement », se félicite l’avocate qui a enseigné douze ans en gendarmerie sur le traitement de scène de crime.

Nombre de magistrats traitent la question des scellés avec légèreté ou méfiance. L’avocate a passé parfois jusqu’à vingt ans pour convaincre un juge de retrouver les scellés pour les faire analyser, comme ce fut le cas dans l’affaire Christelle Blétry ; elle s’est aussi plusieurs fois retrouvée à gérer directement les terribles conséquences de cette négligence généralisée. Ainsi, en 2012, les scellés d’une affaire qui auraient permis de retrouver le complice d’un tueur en série (Yvan Keller) avaient tout bonnement été perdus par le tribunal de Mulhouse. « Un désastre judiciaire de plus dans ce dossier », s’était indignée à l’époque Me Corinne Herrmann. En 2013, l’association Christelle dirigée par Marie-Rose Blétry, une mère de victime, avait saisi le Sénat avec l’avocate : « Il n’en est rien ressorti alors que tous les groupes étaient d’accord pour dire que ça ne coûtait pas grand-chose de faire des dossiers par la cour d’appel ; la garde des Sceaux d’alors, Christiane Taubira, n’avait pas ou peu donné suite ».

Pôle des cold cases : le premier pas vers une prise de conscience ?

Désormais, l’avocate s’est donnée la mission de commencer par les scellés, chaque fois qu’elle ouvre l’un des nombreux dossiers non résolus qui lui tombent sous la main. « La responsabilité de l’avocat est d’alerter sur la nécessité de protéger les scellés. Ça fait vingt ans que je le dis et que je ne me fais pas entendre. Depuis quelques années a été créé un entrepôt à la gendarmerie de Pontoise pour le service de saisine scellés. On y conserve de façon optimale les scellés sur lesquels on a trouvé de l’ADN dans les affaires criminelles en France, ce qui constitue une évolution qu’il faut saluer… Mais le sort des scellés où l’on n’a pas cherché d’ADN, lui, reste à la merci de chaque tribunal et procureur. Tous les jours on continue de détruire des éléments d’enquête qui pourraient être cruciaux, tous les jours des erreurs d’étiquetage se produisent ! »

Depuis janvier 2022, le pôle judiciaire national des cold cases s’est créé à Nanterre, sous la houlette de Corinne Herrmann et Didier Seban. Une nouvelle attendue de longue date par les familles de victimes comme par leurs avocats. Si Corinne Herrmann y voit sans conteste une avancée, elle reste prudente : « Ce qui est rigolo, c’est que la circulaire d’application concernant le pôle des cold cases mentionnait que, dans un premier temps, tous les dossiers seraient concentrés sur le pôle… mais que les tribunaux allaient garder les scellés. Quand j’ai vu ça, je suis tombée de ma chaise et la juge aussi : ils avaient pensé à aménager une salle à Nanterre, mais ils ne semblaient pas voir le problème à déconnecter des dossiers des scellés. Je pense que ce qu’on demande depuis 10, 15, 20 ans, on va enfin l’obtenir, mais que pour résoudre des dossiers, on va continuer de tomber sur des scellés mal classés ! »

En attendant, l’avocate continue de se reposer sur les belles histoires qui ont jalonné sa carrière, comme celle de Christelle Blétry, une lycéenne de 20 ans, tuée de 123 coups de couteau en Saône-et-Loire en 1996. Avec Didier Seban, elle avait demandé à sept reprises un nouvel examen de ces pièces oubliées. « Ce qui nous a sauvés, c’est d’obtenir les scellés qui ont prouvé qu’il y avait eu viol, nous avions trouvé des traces ADN en parfait état. Intégrées au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), ces empreintes avaient fini par correspondre au profil d’un homme de 56 ans, condamné en 2004 pour une affaire d’agression sexuelle ». L’affaire se trouvait résolue en 2014 (l’homme a été condamné en 2018 à la perpétuité), près de 22 ans après les faits…

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