Cour de cassation : un nouveau procureur général très populaire
La cérémonie d’installation du nouveau procureur général de la Cour de cassation, François Molins, s’est déroulée le 16 novembre dernier, en présence de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. À cette occasion, François Molins a rappelé la nécessité d’une réforme du statut du parquet.
La Cour de cassation peut s’enorgueillir d’avoir eu de grands procureurs généraux. À commencer par Jean-Claude Marin, dont les hauts magistrats ont salué, lors de l’installation de son successeur, les qualités d’éminent juriste et d’humaniste. Mais des procureurs généraux populaires, c’est plus inhabituel ! Or c’est le cas de François Molins. Non sans humour, le doyen des avocats généraux à la Cour de cassation, Philippe Ingall-Montagnier a fait observer en effet « la plus belle évaluation, le plus beau compliment que l’on vous ait fait ne se trouve pas, à mon avis, dans votre dossier. Il vient d’une dame que nous avons croisée à la gare de Strasbourg il y a un peu plus d’un mois alors que nous rentrions d’une visite à la Cour européenne des droits de l’Homme : cette personne, jeune et tirant sa valise s’est arrêtée à votre hauteur pour demander si vous étiez M. Molins, ce que vous avez confirmé, d’un air modeste. Elle vous a alors dit, presque jeté : « Je vous aime ! » et puis elle a disparu dans la foule…
Cette renommée, l’intéressé la doit aux conférences de presse précises et sobres qu’il a tenues régulièrement à l’occasion des attaques terroristes. Avant de devenir le très connu procureur de Paris, François Molins a mené une longue carrière exclusivement au parquet. En 1979, il est nommé à son premier poste : substitut à Carcassonne. Il sera ensuite procureur de la République à Montbrison et à Villefranche-sur-Saône. Puis au cours de la décennie suivante, il occupera le poste de substitut général à Bastia, ensuite à Lyon, avant de retrouver les tribunaux, notamment comme procureur de la République à Angers. En 2004 enfin, il est nommé procureur à Bobigny et en 2011 à Paris. Il a failli, au départ, renoncer au parquet, c’est Pierre Truche a-t-il confié, qui l’a convaincu que sa place était là. Ce parcours a été seulement entrecoupé de deux expériences en administration centrale. D’abord, en tant qu’adjoint au directeur des affaires criminelles et des grâces, aux côtés de Jean-Claude Marin en 2001, ensuite en qualité de directeur de cabinet du garde des Sceaux en 2009.
Gare aux effets systémiques du filtrage des pourvois
Dans son discours d’accueil, le premier président, Bertrand Louvel, a souligné que François Molins intégrait une Cour de cassation moderne. Et pour cause. Cela fait trois ans que sous l’impulsion du premier président, la Cour mène une vaste réflexion sur sa motivation, la mise en œuvre d’un contrôle de proportionnalité et la création d’une procédure de filtrage des pourvois. Ces travaux, a précisé Philippe Ingall-Montagier, « devraient déboucher incessamment sur des conclusions stabilisées » puis sur « une période d’expérimentation et d’évaluation permettant d’affiner de façon pragmatique les dispositifs envisagés, ainsi que leur pleine appropriation par l’ensemble des juridictions et des intervenants au processus juridictionnel ». Mais d’autres défis attendent la Cour au même titre que les autres juridictions, l’open data, l’intelligence artificielle, etc. Concernant la très controversée question du filtrage des pourvois, François Molins a salué l’intérêt du projet mais mis en garde sur ses « effets systémiques » : « si le rôle de la Cour de cassation est recentré sur la fonction normative, son contrôle notamment disciplinaire sur les arrêts des cours d’appel se réduirait de façon drastique. Une telle réforme impose donc aussi de penser par ricochet et d’en tirer les conséquences en terme d’architecture des voies de recours et de nécessité d’amélioration de la qualité des décisions de justice, notamment en appel. Le justiciable est en effet en droit d’attendre une décision irréprochable et il a droit à une justice de qualité ».
Il est temps de renforcer l’indépendance statutaire du parquet
Le nouveau procureur général n’a pas manqué d’aborder également la question du statut du parquet pour souligner la nécessité de mener la réforme constitutionnelle à son terme. « Après le premier pas constitué par la loi du 25 juillet 2013 qui a supprimé la possibilité pour le ministre de la Justice de donner des instructions individuelles, il est temps de rompre avec 20 ans d’hésitation et de renforcer l’indépendance statutaire du ministère public, estime François Molins. Cette réforme est nécessaire pour créer les moyens de la confiance des citoyens dans l’institution. Les décisions de justice, pour être reconnues, ont besoin de transparence ; elles ont besoin que ne soient suspectés ni le magistrat lui-même, ni le pouvoir politique. La démocratie est à ce prix ». En l’état, le projet de réforme ne va pas jusqu’à l’alignement complet de la nomination du parquet sur le siège puisqu’il se limite à un avis conforme du CSM au lieu d’un pouvoir de proposition. Or, à ce sujet, Jean-Claude Marin avait observé, lors de la dernière rentrée solennelle en présence du président de la République « Sans mésestimer le caractère non négligeable qu’aurait une réforme instituant l’exigence d’un avis conforme au lieu d’un avis simple pour la nomination des magistrats du parquet, soit en réalité la constitutionnalisation de la pratique observée par nos cinq derniers gardes des Sceaux, ce nouvel encadrement de l’action des magistrats du parquet, qui traitent, ne l’oublions pas, environ 97 % des affaires pénales, me parait exiger davantage d’ambition ». François Molins, quant à lui, n’a pas livré d’appréciation sur le projet de réforme.
Concluant enfin son propos sur le projet de loi de programmation de la justice, il a émis le vœu « que les réformes en cours, dont notre institution a besoin, assurent à nos concitoyens une justice répondant à leur exigence de qualité, de rapidité et d’humanité. Comme l’énonçait si bien Pierre Drai, « dans un monde bouleversé, déchiré, confronté à toutes les violences physiques et morales, et souvent impitoyable, le juge doit inspirer confiance et être pour chacun de nos concitoyens, un recours et une source d’espérance ».