De l’ambassade des Émirats arabes unis au TJ de Versailles : portrait de Rima Laribi, interprète judiciaire qui « adore les défis »
À 40 ans, Rima Laribi exerce le métier d’interprète au tribunal judiciaire (TJ) de Versailles depuis un peu plus d’un an. Elle intervient principalement pour traduire les échanges entre les magistrats et des personnes arabophones durant des audiences. Une mission qui implique une neutralité totale vis-à-vis des parties. Une nouvelle étape dans ses 14 ans de carrière après avoir occupé un poste dans une ambassade d’un pays du Golfe.
Rima Laribi au tribunal judiciaire de Versailles
Nicolas Dendri
Des dorures chaleureuses d’une ambassade de la péninsule arabique au style classique et imposant du tribunal judiciaire de Versailles, de la traduction diplomatique à l’interprétariat judiciaire, des réunions entre délégations aux témoignages des prévenus face au juge… il n’y a qu’un choix de carrière. Il y a plus d’un an, Rima Laribi a opté pour cette orientation en quittant ses fonctions au sein de l’ambassade des Émirats arabes unis pour rejoindre le TJ de Versailles. « J’adore les défis », souligne-t-elle en souriant. À 40 ans, l’interprète judiciaire assiste des personnes étrangères arabophones durant des audiences en correctionnelle, au tribunal pour enfants ou encore face au juge des affaires familiales. Cette mission représente 80 % de son activité. La part restante correspond à de la traduction de document par écrit. Toutes ses interventions dépendent du service du greffe qui la saisit. « Le tribunal est chargé de trouver des interprètes. Les justiciables ne sont pas livrés à eux-mêmes pour trouver des traducteurs. C’est comme les avocats commis d’office. Avoir un interprète est un droit pour un prévenu qui ne parle pas le français », précise Rima Laribi. Pour une personne qui fait face à la justice, la parole est un élément déterminant pour défendre sa cause, surtout dans le cadre pénal avec un enjeu de privation de liberté. L’interprète judiciaire a donc un rôle déterminant.
Interprète judiciaire : « Je n’oriente pas le message de la personne »
Dans une audience correctionnelle, cet acteur du tribunal se trouve souvent au pied du box des accusés à proximité du prévenu qui ne parle pas le français. « Le challenge est l’humain. Vous devez coopérer avec celui qui est en face de vous et que vous ne connaissez pas. C’est une coopération dans le sens où il faut pouvoir communiquer tout en restant neutre », nuance cette femme originaire d’Algérie. « Je trouve l’équilibre en gardant en tête que je ne fais pas partie du procès ou de l’histoire. Je n’oriente pas le message de la personne », précise-t-elle. Sa déontologie repose sur la transmission du message le plus fidèlement possible, jusqu’à l’expression non verbale. « Parfois, inconsciemment, je sens que je mime un peu la façon de parler de la personne. Je considère que je reste neutre en jouant un rôle et en essayant de transmettre un message. Je montre aussi à travers l’intonation si le prévenu est ému, si la personne s’énerve… Je transmets le message mais je ne dis pas s’il est sincère ou pas », détaille l’interprète. Et quand un jour un accusé lui a demandé en arabe s’il avait bien parlé au juge, Rima Laribi n’a pas hésité : « J’ai tout simplement répondu que ce n’est pas à moi de le dire. Il m’a répondu que je pouvais lui dire en parlant en arabe car personne ne nous comprenait. »
L’humilité et le doute pour interpréter de la meilleure des manières
Si chaque interprète judiciaire a sa méthode, Rima Laribi tient aussi à une autre priorité : ne pas omettre des mots ou des expressions. « Face à une incompréhension linguistique ou culturelle, je n’hésite pas à vérifier, sous le contrôle du juge, les déclarations du prévenu. J’explique ce qui n’est pas clair au juge qui m’autorise à demander la précision requise », martèle cette professionnelle déterminée, consciente que la langue arabe est riche de nombreux dialectes. Ce souci de temporiser comme preuve d’humilité, l’ancienne traductrice diplomatique l’a acquis durant cette première année d’expérience. « J’ai appris à douter et à prendre le temps de réfléchir pour interpréter. Le doute est un très bon élément. Chaque fois que j’en ai besoin, j’explique aux juges la nécessité de vérifier les propos du prévenu et ils le comprennent très bien », explique-t-elle, soulignant l’idée de bien faire et de ne pas porter préjudice. Autre enseignement à travers cette nouvelle expérience pour la quadragénaire : « Avec les procès, les tensions qu’il peut y avoir et les différentes histoires, on est mis à l’épreuve émotionnellement. J’ai beaucoup appris à ne pas m’impliquer au niveau des émotions. » Dès ses débuts au tribunal judiciaire de Versailles, la nouvelle interprète s’est familiarisée rapidement à cet environnement grâce à deux semaines d’observation dans les services et durant plusieurs audiences. Une adaptation nécessaire dans ce milieu nouveau pour la traductrice expérimentée.
Un nouveau challenge pour 2025 ?
Rima Laribi exerce le métier d’interprète depuis 14 ans. Cette Algérienne a commencé sa carrière dans le milieu judiciaire de son pays d’origine mais dans un contexte différent par rapport à ses missions actuelles. « C’était uniquement de la traduction écrite de document du français vers l’arabe puisque l’administration algérienne reste partiellement francophone », se souvient-elle. Entre 2018 et fin 2022, la jeune femme est à Paris pour exercer au sein de l’ambassade d’un pays du Golfe. Après quatre ans, l’interprète consulaire a eu le sentiment d’arriver au bout de cette expérience. « Je suis tombé dans une routine de faire toujours la même chose. Je me lassais et je voulais apprendre de nouvelles choses », reconnaît-elle. À ce moment-là, elle a décidé de chercher une nouvelle opportunité et a postulé au tribunal judiciaire de Versailles. « Un nouveau challenge en passant d’un monde solennel et formel au monde de la justice qui a un lien avec la vie réelle. Dans un tribunal, ce sont les histoires des vraies gens », surenchérit l’experte de la traduction. Les challenges ne s’arrêtent pas à cette mission pour Rima Laribi. Elle a déjà son futur défi en tête pour 2025. « Face à la pénurie d’interprètes en langue des signes, j’aimerais apprendre cette langue. Je n’y connais rien mais je souhaite suivre une formation car il y a des besoins, sourit-elle avant de conclure, quand je cesse d’apprendre, je tombe dans une lassitude morale qui peut être mortelle. »
Référence : AJU016v7
