Économie, social, discriminations : à Paris, un barreau engagé sur tous les fronts
Élu en juin 2023 pour la mandature 2024-2025, le nouveau binôme que forment Pierre Hoffman et Vanessa Bousardo, respectivement bâtonnier et vice-bâtonnière de l’ordre des avocats de Paris, a récemment exposé ses priorités. Développement économique, opportunités liées aux Jeux olympiques, IA ou lutte contre les discriminations… Tour d’horizons des sujets qui feront l’actualité pour les 34 000 avocats parisiens cette année.
Vanessa Bousardo l’a clairement énoncé : elle entend veiller « au développement économique de tous les cabinets », indépendamment de leur taille, de leur structure, qu’il s’agisse de grands cabinets d’affaires, de petits cabinets ou de structures individuelles. Dans ce but, elle aimerait institutionnaliser des rencontres économiques, envisage des événements entre cabinets, PME, TPE et directions juridiques, afin « de créer des synergies » et faire en sorte que les avocats puissent rencontrer des chefs d’entreprise qui ont besoin d’être accompagnés juridiquement. Car a-t-elle rappelé, « le droit est partout ». Pierre Hoffman a évoqué un partenariat avec la CCI – même si l’on en attend toujours les contours précis. L’idée est de faciliter des opportunités économiques. Il compte y inviter des avocats aux spécialités diverses, de la propriété intellectuelle au droit social ou encore fiscal, qui répondront aux besoins du tissu économique parisien. Lui qui voit son barreau comme un « facilitateur », afin de créer du lien entre professionnels, a aussi évoqué des prises de contact avec l’Association française des juristes d’entreprise, pour des rencontres avec des directions juridiques.
Le serpent de mer de l’avocat en entreprise
Pas de langue de bois : c’était le maître-mot du bâtonnier et de la vice-bâtonnière. « En ce qui nous concerne, porter le sujet de l’avocat en entreprise n’est pas un tabou, nous y sommes même plutôt favorables », a acté Vanessa Bousardo. Pas d’opposition farouche, mais pas non plus un enthousiasme au point de créer une nouvelle profession réglementée. Elle a ainsi évoqué « une vigilance », mais en rien une « opposition de principe ». Pragmatique, Pierre Hoffman a constaté que « l’on ne rentrait plus dans la profession d’avocat comme on rentrait dans les ordres » : dans ce contexte, envisager des passerelles, afin de préserver ces « forces vives » venues de l’avocature ne lui semble pas incohérent.
Bien sûr, « dès lors que le legal privilege, c’est-à-dire, garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise (proposition de loi qui va être présentée au Sénat en février à la suite de la censure du Conseil constitutionnel cet hiver) est acté, cela renforce un positionnement. Pour autant, cela n’exclut pas forcément l’avocat », cherche à rassurer Vanessa Bousardo. Le conseil de l’ordre du barreau de Paris a confirmé le 30 janvier dernier son accord sur le principe de la confidentialité des avis et consultations des juristes d’entreprise. Le Conseil national des barreaux (CNB) a voté, quant à lui, début février contre la reconnaissance du legal privilege couvrant les avis, les consultations et les correspondances émises (v. not. « Nous ne devons pas perdre de vue notre objectif qui est de défendre la profession d’avocat », interview de Julie Couturier, présidente du CNB, in GPL 6 févr. 2024, n° GPL459c6).
Un barreau engagé
La mandature a commencé par un temps fort, celui d’une conférence au thème audacieux : « Comment être un avocat de la paix ? », avec des invités engagés dans un dialogue interreligieux et juridique. Pour Vanessa Bousardo, cela est conforme à la « tradition du barreau de Paris » dont l’un des rôles est de veiller à l’État de droit, la liberté de conscience ou d’expression, « ce que l’on porte comme grands principes, en tant qu’avocats ».
Pierre Hoffman était enchanté : après des années d’éloignement physique, « la fraternité du barreau est en train de renaître. Après cette conférence, les gens ne voulaient plus se quitter », a-t-il confié. Une façon aussi de montrer un barreau prêt à affronter les sujets tels qu’ils sont, « même les plus clivants ».
Concerné par la politique française comme étrangère, le barreau de Paris envisage d’organiser un grand événement autour des élections européennes, enjeu démocratique essentiel de l’année 2024. D’autres questions, plus « logistiques » se jouent également à Bruxelles, comme celle de l’uniformisation du taux de TVA entre structures. Le barreau souhaiterait supprimer enfin l’inégalité persistante entre les particuliers et les entreprises en ce qui concerne la TVA sur les honoraires d’avocat. « 20 % supplémentaires, ce n’est pas rien pour les justiciables », a lancé Vanessa Bousardo. À ses yeux, une question financière, mais au-delà, un conditionnement « à l’accès au juge », et donc à la justice qu’il faut rendre véritablement égalitaire. Si la directive européenne existe, la France doit encore la transposer. Pour y parvenir, le bâtonnier a évoqué les discussions nécessaires avec Bercy, les parlementaires et la Chancellerie afin de convaincre de la nécessité de réduire la TVA pour les particuliers.
Les Jeux olympiques : des opportunités à ne pas rater
Pour Pierre Hoffman, les Jeux olympiques ne doivent pas se réduire au droit du sport, de l’arbitrage ou au pénal. « On va avoir besoin d’avocats en droit social, fiscal, des sociétés… ». Pour lui, c’est une occasion unique de « ‟vendre” la marque Paris à l’international, et pas seulement auprès des athlètes ». Car la hausse de l’activité juridictionnelle envisagée – 11 millions de touristes en plus de mai à septembre en Île-de-France – va nécessiter plus d’avocats (permanences d’avocats, comparutions immédiates, etc.). « Ce rayonnement de Paris est une occasion historique » à saisir, en faisant « valoir nos différentes disciplines, nos compétences, nos techniques », a renchéri Vanessa Bousardo. Peut-être en instaurant un numéro vert pour faciliter cet accès, a-t-elle suggéré. En tout état de cause, les JO apparaissent aussi comme « une opportunité pour moderniser l’accès au droit ». Sur le volet pénal, « nous sommes attendus », a reconnu Pierre Hoffman, avec un modèle d’organisation judiciaire « calqué » sur les enseignements des émeutes urbaines de juin/juillet 2023.
Apport d’affaires et ouverture de capitaux ?
Deux questions, deux réponses. Sur l’apport d’affaires entre pairs, c’est un grand oui qui a été formulé. En revanche, sur l’ouverture des capitaux, la prudence est de mise, le sujet posant de multiples questions déontologiques. Pierre Hoffman s’est interrogé sur le profil de ceux qui souhaiteraient prendre des parts. Que faire si un trafiquant de stupéfiants prend 50 % de parts et devient associé majoritaire d’un cabinet pénaliste ? Un tel conflit d’intérêts peut entraver le processus judiciaire. Il a donc souligné « des différences de taille entre ce qui relève du conseil et du contentieux, de l’avocat individuel ou structuré en cabinet, du sleeping partner et du lien de dépendance. (…) Cela mérite un débat pendant notre mandat ».
Réduire le frein de la parentalité
S’inspirant de barreaux comme ceux de Bordeaux, Nantes ou Marseille, Vanessa Bousardo a évoqué le projet de deux microcrèches en gestation à Paris. Un geste ambitieux et « très difficile du point de vue réglementaire », mais la détermination s’est fait sentir. Ces places représenteront un soulagement pour les 800 naissances par an que compte la profession à Paris. Les deux lieux restent à déterminer. « C’est fondamental, c’est une vraie problématique professionnelle », a-t-elle acté, les crèches privées ou publiques n’étant pas suffisamment accessibles, au risque pour des professions libérales d’avoir un contrat précaire. « C’est une façon de se battre concrètement pour l’égalité, quand on vous annonce 2 ou 3 semaines avant la fin de votre congé parental que le contrat de crèche est fini… », c’est toute une reprise de carrière professionnelle qui est fragilisée.
Toujours sur la parentalité, Vanessa Bousardo a également pour ambition de créer un Zen parentalité, sur le modèle de Zen Prud’hommes, Zen JAF, etc. En effet, « pendant les congés parentaux, les audiences continuent. Parfois les avocats doivent plaider en congés, alors qu’ils ne sont pas supposés facturer. L’idée est de créer des avocats missionnés pour remplacer les avocats en congés, qui peuvent assumer le renvoi d’un confrère ou d’une consœur, à titre gratuit ». Le dispositif pourrait se mettre en place également pour les congés maladies.
Focus sur la santé des avocats
La santé, d’ailleurs, est un sujet trop rarement évoqué chez les avocats. Mais la mort en pleine plaidoirie d’un avocat marseillais, le 8 janvier dernier, a très certainement choqué nombre d’entre elles et eux. Cela a conforté Pierre Hoffman dans son projet d’une journée de la santé, annuelle. Les avocats peuvent être soumis à des charges de travail importantes, une fatigue généralisée, beaucoup de stress et d’anxiété avec des dossiers prenants, entraînant un impact sur la santé physique comme mentale. Premiers gestes de secours, prise de tension, Pierre Hoffman imagine un dispositif en accord avec la confidentialité des données de santé. Même si la trame de l’événement n’est pas encore clairement dessinée, le binôme affiche l’envie de prendre ce sujet à bras-le-corps. Si le rendez-vous fonctionne, il sera pérennisé.
L’inévitable réflexion autour de l’intelligence artificielle
Sujet inévitable, l’intelligence artificielle (IA) bouleverse les pratiques professionnelles des avocats. Révolution copernicienne ? Pour Vanessa Bousardo, cela implique au moins « une adaptation. Mais l’avocat va rester indispensable ». Il va pourtant falloir valoriser la plus-value du professionnel : ses connaissances, sa stratégie, son conseil, la validation qu’il peut faire d’un travail effectué par l’IA, enfin sa responsabilité d’avocat. Sans doute faudra-t-il préciser à l’avenir dans les conventions signées que l’IA a été utilisée, « mais que l’avocat engage sa responsabilité, sa déontologie, ses compétences ».
Pierre Hoffman estime également que le « modèle économique se reconfigure ». Il a souligné l’existence d’enjeux de facturation : certaines diligences, réalisées par les jeunes avocats, ne sont en effet plus facturables car l’IA est capable de faire de même. Les clients n’acceptent plus de payer ces prestations. Toutes les réponses ne sont pas encore apportées, mais le quotidien est déjà impacté. Quant à lancer des poursuites contre l’application I.Avocat, le barreau a simplement mentionné ne pas vouloir attirer davantage la lumière sur le phénomène, sachant que cette application ne « sera pas la dernière ».
Sur ce sujet aussi, « tous les cabinets n’ont pas les mêmes moyens » pour intégrer de l’IA à leurs pratiques quotidiennes. C’est un vrai sujet d’égalité et nous sommes à un tournant que l’ensemble de la profession doit prendre. On veut éviter la rupture entre les cabinets », a avancé Vanessa Bousardo. Une chose est sûre : l’arrivée de l’IA, la déjudiciarisation de certains contentieux… imposent de trouver de nouveaux débouchés et ressources. Enfin, la question de l’hébergement des données, si possible en Europe pour s’en assurer une protection plus importante, se pose également.
Renforcer la lutte contre le harcèlement
Anciennement à la tête de la commission Harcèlement et discrimination (Comhadis), l’actuelle vice-bâtonnière fait des discriminations un sujet important. Une nouveauté émerge : le recours désormais à un prestataire pour recueillir les signalements. Bien qu’il existe une phase confidentielle puis une phase contradictoire, le dispositif freinait encore des avocats concernés pour la saisir. Afin d’éviter un mouvement « balance ton cab », Vanessa Bousardo a estimé plus efficace de confier à un tiers de confiance la réception d’un signalement en anonymisant les plaintes et ainsi faciliter la libération de la parole. « Cela laisse une trace et permet d’identifier des situations éventuellement récurrentes dans un cabinet » et éventuellement de « lancer une enquête déontologique ».
Référence : AJU012n3