Emmanuel Macron livre sa vision d’une justice « effective »

Publié le 19/02/2018

Lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation le 15 janvier dernier, le président de la République, Emmanuel Macron, s’est dit opposé à la suppression du lien hiérarchique entre le parquet et la Chancellerie. En revanche, il a confirmé qu’il y aurait bien une réforme statutaire du parquet. Par ailleurs, il a livré quelques-unes de ses convictions sur ce que doit être une justice « effective ».

20 ans après le rapport Truche qui, à la demande de Jacques Chirac, avait étudié l’opportunité de couper le lien entre la Chancellerie et le parquet, le débat est toujours d’actualité. Et comme il y a 20 ans, il se solde par une réponse négative. Emmanuel Macron a expliqué clairement lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, le 15 janvier dernier, qu’il n’était pas favorable à la rupture du lien entre le parquet et la Chancellerie, pas plus qu’ils n’envisageait de créer un procureur de la nation. Sans doute les deux chefs de cour se doutaient-ils que le combat était perdu, car la garde des Sceaux avait déjà eu l’occasion d’évoquer son intention de maintenir ce lien, en marge de la Conférence nationale des procureurs le 15 décembre. Ils ont néanmoins entièrement axé leur discours sur ce sujet, délaissant les traditionnels bilans chiffrés d’activité et les doléances sur les moyens. Le premier président, Bertrand Louvel, a convoqué l’histoire au soutien de sa revendication d’indépendance, rappelant les heurts et malheurs de celle-ci au fil des siècles, depuis le très impartial Saint-Louis, jusqu’à la Cour de cassation tentant de s’opposer au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en passant par le lit de justice dit « de la flagellation » et les victimes de la Terreur. Il a souligné également que tous les présidents de la Ve République avaient évoqué lors des rentrées de la Cour l’importance de l’indépendance. Pour le président Bertrand Louvel, cette indépendance est une question de respectabilité internationale : « Notre ministère public est engagé et le sera de plus en plus dans des enquêtes et des actions à dimension transnationale, et sa crédibilité, en tant qu’organe dégagé des influences, doit s’imposer auprès de ses partenaires extérieurs partageant les mêmes valeurs démocratiques. Notre justice civile, quant à elle, doit se montrer attractive aux justiciables internationaux. Peut-elle l’être sans que son degré d’indépendance, non seulement réelle mais aussi apparente, la rende suffisamment concurrentielle face aux autres systèmes ? ».

Le poison du débat

Le procureur général, Jean-Claude Marin, estime, quant à lui, que l’article 5 de l’ordonnance de 1958 qui institue cette dépendance hiérarchique n’est plus défendable « il n’existe ni argument solide justifiant qu’il faille garder un lien entre l’exécutif et le ministère public, ni utilité d’un article 5 de l’ordonnance statutaire qui dispose que les magistrats du parquet sont placés sous l’autorité du garde des Sceaux ». Et d’ajouter : « Cette dernière disposition n’est plus conforme à l’état de notre institution, n’a plus aucune portée réellement opérationnelle mais, en revanche, demeure le poison du débat sur la place du ministère public ». En disant cela, il reprenait l’argumentation développée par les syndicats de magistrats qui, en fin d’année, ont saisi le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une QPC pour faire déclarer cet article contraire à la Constitution. Le Conseil ne les a pas suivis et l’a déclaré conforme (Cons. Const., 8 déc. 2017, n° 2017-680 QPC). Certes, le procureur général admet que l’article 20 de la Constitution confère au gouvernement le soin de déterminer la politique pénale de la nation, mais il estime que cela pourrait s’effectuer hors de toute dépendance hiérarchique, par exemple par la création, au sein du ministère public, « d’une autorité supérieure à l’instar de nombre de nos voisins qui ont institué des procureurs généraux d’État, qui serait à la fois le fédérateur de l’action publique sur le territoire, lequel manque cruellement aujourd’hui, et le garant de l’indépendance du parquet ». Une réforme qui est nécessaire de compléter à ses yeux par un renforcement des garanties statutaires en matière de nomination et de discipline mais aussi une autonomie budgétaire accrue de l’institution, telle que décrite dans le rapport du professeur de finances publiques Michel Bouvier, publié par la Cour de cassation en septembre 2017.

La dangereuse tentation de la pureté absolue

Hélas pour les magistrats, le président de la République ne souhaite pas instaurer un parquet général de la nation. Et il n’estime pas non plus légitime de rompre le lien hiérarchique entre le parquet et le garde des Sceaux. C’est à tort selon lui que l’on interprète les arrêts Medvedyev et Moulin comme condamnant le modèle français du parquet : « Il n’en est rien, le parquet n’est simplement pas, en raison de son rôle dans le procès, de sa fonction, et non pas d’un sujet lié à son indépendance, il n’est pas ce tiers de confiance ». Les magistrats n’avaient d’ailleurs semble-t-il aucune chance de convaincre le président car le procureur incarne à ses yeux, comme il l’a souligné non sans humour, le fameux « en même temps » qu’il a eu l’occasion de théoriser ailleurs : « Le parquet participe tout à la fois de l’activité judiciaire et de l’action publique, il est en même temps des deux (…). C’est pour cela que ce magistrat doit relever à mes yeux de l’autorité de la garde des Sceaux et donc être nommé par la garde des Sceaux ». Sans surprise, c’est bien la légitimité démocratique qui à ce stade est convoquée, par opposition à une légitimité fondée sur la fonction, pour conforter l’actuel lien entre le parquet et la Chancellerie. « Il est normal qu’un gouvernement qui porte une politique pénale puisse la défendre, l’expliquer, en répondre, qu’elle puisse être débattue et le parquet doit donc continuer à mes yeux à appartenir à une chaîne hiérarchique dont le sommet est une autorité qui porte cette responsabilité politique, l’assume, car c’est l’exécutif qui est dépositaire du mandat du peuple, a déclaré le président. Je crois à la nécessité d’une politique pénale donc définie par l’exécutif, responsable devant le Parlement et appliquée par le parquet ».

À l’inverse, aller plus loin emporterait le risque pour Emmanuel Macron de dériver vers un dangereux excès : « nous céderions à cette fascination qui a d’ailleurs plusieurs fois précéder notre histoire républicaine et habité la République, qui serait de confondre l’indépendance et une forme de pureté absolue. Qui pourrait assurer la pureté absolue de la politique pénale en autonomie complète dans une forme de lieu atopique ? Qui ne réponde à rien ni à personne mais se porte sur lui-même ? Je ne le connais pas. Dans notre démocratie à la fin, tout doit procéder quelque part d’une légitimité du peuple ». Le président de la République n’entend pas davantage réformer le Conseil supérieur de la magistrature dont l’équilibre institué en 2008 — une majorité de membres non magistrats — est jugé satisfaisant. En revanche, il estime qu’il faut revoir les nominations des magistrats du parquet pour les soumettre à l’avis conforme du CSM et aligner leur discipline sur celle des magistrats du siège (en l’état, en matière disciplinaire, le CSM rend un avis au ministre concernant les magistrats du parquet tandis que pour le siège il est en formation de jugement). Au passage, il a confirmé la suppression de la Cour de justice de la République.

Pour la publication d’opinions dissidentes

Au-delà de la question de l’indépendance qui mobilisait tous les esprits ce matin-là, le président a également livré quelques-unes de ses convictions sur la justice. Il s’est dit ainsi favorable à la publication, au moins dans les cours faîtières, d’opinions dissidentes : « La mise en relief de ce que la décision de justice peut avoir de plurivoque, de complexe, le cas échéant de contestable est à mes yeux un moyen utile de lui conférer sa part d’humanité et d’intelligibilité et de faire du juge le porteur d’une décision qui engage et qui, en effet, choisit parmi des possibles ». S’agissant du fonctionnement de l’institution, plutôt que de reprendre le mot de ses prédécesseurs – confiance – il a préféré celui d’effectivité. Cela implique notamment une carte judiciaire rénovée : « La réponse n’est ni une réponse qui serait dictée d’en haut, sans cohérence avec la réalité de nos territoires et sans prise en compte de la nécessaire proximité ni le statu quo qui, comme je viens de vous le décrire cliniquement, est absolument intenable et contribue largement à l’inefficacité collective ».

La numérisation est également une condition de l’effectivité de la justice car elle doit engendrer une révolution profonde des méthodes de travail. « Le numérique n’est pas la transposition digitale des dispositifs physiques. Il importe dans les relations entre acteurs des méthodes nouvelles, des usages nouveaux et c’est cela qu’il nous faut prendre en compte parce que, de fait, est en train d’émerger une organisation nouvelle dans le monde judiciaire, non pas une simple modernisation, mais une véritable refonte de la conception que nous nous faisons des rapports qui existent entre l’institution, ses composantes et les justiciables ».

La dématérialisation complète sera déployée en 2020, a-t-il annoncé. Il entend également poursuivre la déjudiciarisation amorcée dans la loi J21, recentrer le juge sur sa fonction et repenser les voies de recours. Sur ce dernier point, le chef de l’État considère que « la première instance ne doit pas être une répétition de l’appel et la Cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction à qui l’on se réfère utilement quand on a perdu. L’autorité de la chose jugée et la place de chaque niveau doivent ainsi être pleinement reconsidérées et cela fera partie, je crois, des réformes profondes que la garde des Sceaux doit porter dans ce contexte ».

Enfin, sur la pénitentiaire, Emmanuel Macron a confirmé la création de 15 000 places de prison pour répondre à la crise de la surpopulation carcérale et à la nécessité d’appliquer le principe de l’encellulement individuel, mais il souhaite également que la prison ne soit plus « l’alpha et l’oméga de la peine ».

L’après-midi même, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a reçu les rapports des cinq groupes de travail qu’elle avait mandatés au mois d’octobre pour lui faire des propositions concernant la procédure civile, la procédure pénale, l’effectivité des peines, la carte judiciaire et le numérique. La réforme de la justice se précise. Reste une question qui semble hélas être repassée au second rang des préoccupations, tant chez les magistrats que chez l’exécutif, celle des moyens….

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