États généraux de la justice : du côté du CNB
C’est l’heure de la rentrée pour le CNB. Après sa participation aux concertations des États généraux de la justice, son président Jérôme Gavaudan a partagé son analyse des avancées et propositions dressées pour sa maison.
En juillet, le rapport Sauvé est arrivé sur le bureau du garde des Sceaux, après des mois de concertations auxquelles a participé le président du CNB, Jérôme Gavaudan, membre des 12 autres professionnels du droit et de la justice. En ce mois de septembre, Jérôme Gavaudan a tenu à partager les actualités du CNB en lien avec cet événement. « Le rapport Sauvé n’est pas un énième rapport sur les dysfonctionnements de la justice », a-t-il introduit. Même s’il « ne contient pas de nombreuses listes de propositions », il a le mérite de dresser le constat des difficultés ressenties de toute part dans le monde de la justice et rappelle les moyens nécessaires pour la rendre correctement. « Le choc des moyens », allusion à l’augmentation du budget du ministère, semble s’être produit. Un thème d’autant plus cher au CNB que le Conseil s’était, l’année dernière, attaché à faire un tour de France des injustices, ce qui lui avait permis de dresser un triple constat – défaut d’accès au droit pour des raisons géographiques, économique ou sociale –, dans son essai « Parlons d’injustices ».
La place des juges
Jérôme Gavaudan s’est montré particulièrement intéressé par l’axe de réflexion sur la réorganisation de l’institution judiciaire. Il prend en exemple le management autour des magistrats, avec l’idée de « renforcer l’équipe autour du juge ». Dans le rapport Delmas-Goyon de 2013 intitulé : « Le juge du XXIe siècle », « la grande solitude du juge » était déjà évoquée. « C’est une plus grande révolution qu’il n’y paraît », assène-t-il, car la solitude du juge est pénalisante, « pour eux-mêmes comme pour l’institution judiciaire ». La collégialité est importante alors que le juge devenu unique a été instauré « pour des questions matérielles ». À titre comparatif, il prend l’exemple des grands cabinets d’avocats qui font appel à des collaborateurs, des juristes d’entreprise, voire des stagiaires, qui décortiquent les dossiers au préalable. Pourquoi le juge ne pourrait pas en bénéficier également ? « C’est désormais acté »…
Autre nouveauté, la séparation du grade et de la fonction. « Un magistrat de cour d’appel qui revient en première instance pour former des magistrats plus jeunes ne doit pas se sentir rétrogradé hiérarchiquement », estime le président du CNB. Jérôme Gavaudan a montré « un peu plus d’inquiétudes » sur la réforme de la carte judiciaire. « Attention si on régionalise, si on concentre les moyens, il a un risque d’assécher les juridictions ». Même s’il estime qu’il n’y a actuellement pas de volonté politique d’aller dans ce sens, la profession restera attentive à ce point à l’avenir.
Avocats, magistrats : vers davantage de passerelles ?
Le rapport préconise 1 500 magistrats supplémentaires, loin du nombre de 8 000 personnels (qui regroupaient la totalité des personnels de justice nécessaires) qui avait pu être évoqué. Selon Jérôme Gavaudan, ce chiffre serait cependant suffisant pour « faire diminuer assez sensiblement les stocks ».
Le lien se fait aisément avec la question d’intégrer plus facilement les avocats dans la magistrature. Il s’agissait de l’un des combats de Christiane Féral-Schuhl, ancienne présidente du CNB, avec toutefois la réserve qu’il ne faut pas que cela fasse concurrence aux auditeurs de justice. Mais force est de constater que la profession d’avocat produit actuellement peu de magistrats. Bien sûr, il faut être « au niveau », a rappelé Jérôme Gavaudan, mais peut-être existe-t-il un moyen de fluidifier le processus de recrutement en sélectionnant de manière plus rigoureuse les candidats avec la certitude d’avoir un poste dans la magistrature à la clé, afin d’éviter les errements d’un long stage de six mois sans garantie. Selon les informations de Jérôme Gavaudan, le ministère de la Justice semble d’accord pour revoir la possibilité d’intégration.
Des sujets de fond évoqués mais loin d’être tranchés
Des sujets de fond, dont la réforme du Code de procédure pénale, le statut des magistrats, la question des juges d’instruction ou la suppression de la Cour de justice de la République, ont été évoqués.
Pourtant, malgré le caractère essentiel de ces questions, des considérations politiques – composition de la commission des lois très « éclatée » et crainte du tout sécuritaire, sujets sensibles comme les droits humains – feront-elles de ces sujets des arlésiennes qui ne verront pas le jour aussi vite que prévu ? C’est le cas de la carte de la réforme judiciaire, dont le calendrier initial, prévu à l’automne, a pris du retard, tout comme la réforme du Code de procédure pénale qui ne se profile pas avant deux ans, confie le président.
Des avancées techniques pour les avocats
Comme le résume Jérôme Gavaudan, « on avance sur des questions techniques pour les avocats, qui n’intéressent pas le grand public », mais qui comptent pour la profession d’avocat. Il s’est ainsi satisfait de certaines avancées, comme la nouvelle prérogative donnée aux bâtonniers de se rendre dans les prisons depuis l’année dernière. Ainsi que la sémantique qui change : la notion d’« alternatif » dans l’ancien règlement alternatif des différents disparaît pour devenir un règlement amiable des différends. « L’idée nouvelle est que ces modes ne soient justement plus alternatifs. Ils ne sont pas subsidiaires à la décision d’un juge mais il existera désormais un contentieux judiciaire et un mode amiable des différends », conférant un nouveau pouvoir aux avocats. « Nous pouvons désormais régler des choses entre avocats, ce n’est plus alternatif, c’est « à côté » », a analysé le président du CNB.
Des avancées, mais aussi des débats en vue. Christian Vigouroux, déontologue, membre du Conseil d’État, doit se pencher sur l’épineuse question des signes distinctifs et autres décorations dont le port a créé quelques remous, comme à Lille où une avocate musulmane s’était vue interdire de plaider pour cause de voile ou encore lors de la cérémonie du petit serment de l’école du Barreau à Paris. Cette question en entraînant de multiples autres. Quel est le sens de la robe ? Est-ce un uniforme ou autre chose ? La salle d’audience est-elle un espace public, pour le justiciable et pour l’avocat ? Comment trancher entre des élèves qui n’ont pas de problème avec le voile et sont confrontées à l’interdiction de plaider dès qu’elles sont avocates ? « Nous sommes incités par la Cour de cassation à réfléchir à ces questions », a confié Jérôme Gavaudan. « On sent que ce sujet va « monter »», le CNB ayant lui-même rendu des rapports qui n’ont pas été votés en assemblée générale. « Il s’agit d’une réflexion juridique, collective et sociologique », estime Jérôme Gavaudan. Sachant que le rôle du CNB était « à l’origine d’uniformiser les règlements intérieurs des barreaux », il est encore dans son rôle en envisageant d’apporter des réponses globales aux questions rencontrées dans les différents barreaux.
Autre point concernant en premier lieu les avocats : la demande de la revalorisation de l’unité de valeur de référence de l’aide juridictionnelle sur le taux d’inflation, passant de 40 à 42 euros. « Il n’y a pas de raison que les confrères doivent porter seuls l’inflation alors que le budget du ministère de la Justice a augmenté de 8 % », a estimé le président du CNB.
Enfin, il a souligné la défense nécessaire de la consœur Lucie Simon qui défendait l’imam Iquioussen et a été menacé de mort. C’est inacceptable « quelle que soit la cause qu’on défend », a rappelé Jérôme Gavaudan.
Le CNB prend position
Le CNB a également exprimé son souhait de ne pas aller au bout de la réforme de la police judiciaire. Il apparaît que « c’est une mauvaise idée de laisser à des administrateurs non-magistrats le devenir d’une enquête. Sur ce point, nous sommes en soutien aux magistrats, tranche Jérôme Gavaudan. L’idée n’est pas, j’en suis convaincu, d’affaiblir l’État de droit, mais c’est ce à quoi cela peut mener néanmoins », sachant que l’administration n’a pas les mêmes moyens que ceux de la police judiciaire. Jérôme Gavaudan pousse par ailleurs « à l’abrogation et la réécriture du Code de procédure pénale ».
Sur les travaux menés au sein du Groupe de travail sur la présentation des écritures, mis en place par Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, il explique : « Nous n’y sommes pas favorables, mais nous sommes pour un bon équilibre », car il entend aussi qu’il arrive que les avocats soient face à des conclusions excessivement longues, ce qui n’est pas « confraternel ». « L’intérêt est qu’on ne cherche pas à nous dompter. Si on ne veut pas nous dompter, on réagira », a-t-il rassuré.
Pour assainir la profession, il a salué de nouvelles sanctions, validées par la Chancellerie, qui empêcheront à des cabinets soumis à des faits de discriminations ou harcèlement (dans le cas d’enquêtes internes), de recruter, dans un but de dissuasion.
Dernière nouvelle : d’ici le 31 décembre, tous les avocats devront avoir migré sur e-barreau, qui est en passe d’être refondé. Cette messagerie à destination des avocats et contenant l’ensemble d’un dossier (y compris les actes de procédures qui ne disparaîtront plus au bout d’un an) permettra un usage beaucoup plus fluide de cet outil.
« Ce n’est pas le grand soir pour la profession d’avocats, mais on continue d’avancer », a résumé le président.
Référence : AJU006j2