Forum des huissiers de justice : prospective et stratégie de développement

Publié le 11/02/2019

Les 34es Journées de Paris du forum des huissiers de justice ont eu lieu les 13 et 14 décembre 2018, à Paris. Organisé par la Chambre nationale des huissiers de justice, cet événement rassemble la profession et permet d’échanger sur son évolution. Différents intervenants ont ainsi exposé leurs études prospectives et les stratégies possibles de développement des études.

« Prospective et stratégie de développement » était le thème de ces 34es journées de Paris, mises en place par la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ). Portant sur la réflexion des conjonctures économiques et les mutations du métier, le forum a réuni 600 professionnels les 13 et 14 décembre derniers, à Paris. Les évolutions du marché du droit, la digitalisation et la mise en place progressive de la nouvelle profession de commissaire de justice, qui réunira les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, sont au cœur de plusieurs transitions majeures pour les études. Selon Patrick Sannino, président de la CNHJ, « Il s’agit d’une occasion rare qui donnera un nouveau souffle à notre identité. Cela nous permettra d’élargir notre périmètre et de mieux structurer notre développement économique ».

Au programme de la première journée, différents intervenants dans les domaines juridiques et économiques sont venus présenter les travaux consacrés à la nouvelle profession de commissaire de justice et aux leviers de croissance des études. Il a également été question de la blockchain et des cryptomonnaies, des innovations propices à leur croissance. La CNHJ a présenté les conclusions de ses groupes de travail sur les stratégies de développement. Le 14 décembre, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a évoqué les avancés de la réforme, ainsi que les nouvelles missions de la profession. De son côté, Patrick Sannino, président de la Chambre s’est adressé officiellement à la ministre de la Justice, en tant que porte-parole de la profession. Il est revenu sur les demandes de la profession et sur les réflexions de la future Chambre nationale des commissaires de justice.

État des lieux de leurs activités

Quel sera le marché des commissaires de justice de demain ? Avant de répondre à cette question, il était essentiel d’établir un diagnostic pertinent des activités des huissiers de justice. Les résultats d’un sondage mené auprès des études en France ont été exposés par Bruno Deffains, directeur du Centre de recherches en économie et droit (CRED) et ceux d’une étude prospective ont été présentés par Frédéric Theulé, président du cabinet Colbor. Ils ont observé que les activités des huissiers de justice sont en pleine transition. Les activités monopolistiques (exécutions forcées, significations…) sont en baisse tandis que les autres sont en hausse (médiations, conseil, consultations juridiques, administration d’immeubles). Les plus gros clients des études sont les particuliers et PME, viennent ensuite les institutions. 52 % des études ont un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 euros annuels, ce dernier varie généralement en fonction de l’implantation géographique, de la concurrence et de l’organisation interne.

Patrick Sannino, ouvrant le Forum des huissiers de justice

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La stratégie de développement est l’un des points faibles de la profession, 76 % des répondants n’en ont pas mis en place. De plus, pour 58 % des sondés, les outils numériques ne participent pas au développement de leur activité. « Les interrogations sont nombreuses et le besoin d’avoir un guide général, comme la CNHJ, se fait ressentir », analyse Bruno Deffains. La profession reste forte grâce à sa proximité avec les clients, sa légitimité et son expertise, mais elle s’affaiblit autour de son statut rigide, son insuffisante digitalisation, la tarification horaire et sa faible prise en compte des attentes des utilisateurs. De plus, elle voit apparaître de nouvelles structures compétitives, telles que les legaltechs (300 en 2018) qui facilitent les démarches et même les sociétés d’édition qui détiennent les données. Les enjeux sont multiples : maintenir les intérêts de la profession, assurer un espace au niveau européen, préserver le statut, modifier la formation, recadrer la déontologie, utiliser les nouveaux outils technologiques, ou encore capter une nouvelle clientèle.

Conjonctures économiques et prospectives

D’après Joël de Rosnay, président de Biotics International, « Nous sommes dans un écosystème numérique, les interfaces hommes/machines progressent. Nous suivons une courbe exponentielle avec l’information qui crée l’information ». Les besoins et attentes des consommateurs de droit ne sont pas encore bien définis, mais le marché du droit évolue et de nouveaux usages apparaissent. Les modèles de service à venir se tournent vers le « maintenant, partout et sur différents contenus » et vers une forme de guichet unique avec un espace non physique (cyber) et physique (relations humaines). « Notre profession doit s’approprier ce changement de paradigme et s’imposer comme une réponse juridique et économique du futur », insiste Patrick Sannino.

Lors de son intervention, Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a expliqué les effets de la digitalisation sur l’économie générale et donne une vision plus globale de cette évolution. « La digitalisation n’entraîne pas forcément une évolution de la croissance, mais elle transforme les métiers », précise-t-il. Ainsi, les tâches routinières disparaissent et les tâches manuelles et abstraites augmentent. Les rôles vont être partagés entre les acteurs qui existent depuis longtemps et les nouveaux entrants, comme les plates-formes. Au cœur de cette transformation se trouvent deux technologies, celle de l’intelligence artificielle et celle de la blockchain. Les machines font gagner du temps avec le traitement de données ou en devenant des assistants personnels proactifs (outils comme Alexa ou Siri). « Les atouts du management en 2030 seront d’accompagner, former à la gestion du temps et de l’information, importer la culture numérique tout en gardant des valeurs d’écoute et de confiance », prévoit Joël de Rosnay.

Grâce aux ordinateurs et aux réseaux, les professionnels peuvent travailler partout, ils sont de plus en plus indépendants. Quant aux entreprises, elles s’ubérisent en perdant leur structure physique. Concernant le commissaire de justice, il gardera son statut d’officier public ministériel et deviendra une figure protectrice comme tiers de confiance dans une société en transition. Il sera un intermédiaire digital en prenant le virage numérique comme cela a été fait en développant Credicys et Medicys, par exemple. Les études connaîtront une concurrence plus forte et devront se concentrer et mêler leurs activités cœur de métier et concurrentielles.

Les défis de la CNHJ

Pour la CNHJ, les transitions de la profession sont au cœur de leurs travaux et les avancées de la réforme au cœur de leurs réflexions. Leur objectif est que les demandes des huissiers de justice soient entendues, comme la généralisation de la signification par voie électronique, la revalorisation du tarif pénal ou encore l’ouverture au fichier FICOBA pour toutes les créances. Patrick Sannino a annoncé le nouveau règlement déontologique national et le développement de nouvelles activités, telles que la médiation et le contrôle des comptes de tutelle. Il y a, bien sûr, des inquiétudes, notamment sur l’image de la profession et celle de fragiliser le maillage territorial.

À partir de 2019, les représentants des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires seront réunis pendant 3 ans et demi au sein de la nouvelle Chambre nationale des commissaires de justice. Un des grands dossiers sera celui de la formation. Il faudra repenser la formation des stagiaires, aider les jeunes professionnels dans leur installation et encourager les acteurs du débat professionnel. « La jeunesse, d’abord. Cela pourrait être ma devise pour le mandat qui s’ouvre », affirme le président de la CNHJ. « Nous avons bénéficié de conditions d’exercice qui n’existent plus aujourd’hui et qui ne reviendront probablement plus. Nous en avons conscience. Nous devons accompagner, encourager et entendre nos confrères et consœurs les plus jeunes », ajoute-t-il. Le principal enjeu pour les deux professions sera donc de parvenir à travailler ensemble et maintenir le dialogue indispensable à la construction de cette nouvelle profession de commissaire de justice.

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