Hannelore Cayre

Publié le 27/07/2018

Dans les méandres de l’ancien Palais de justice, sur l’île de la cité, on a failli la rater. Elle était à la salle des comparutions immédiates du rez-de-chaussée, on l’attendait à l’étage. Pourtant, Hannelore Cayre fait partie des gens que l’on repère. Silhouette dégingandée, visage anguleux surmonté d’un chignon d’institutrice, elle porte ce jour-là un très chic tailleur pantalon noir et blanc, une belle manchette en argent, et des ongles rouge vif. Avant la rencontre, des confrères nous avaient mis en garde : l’auteure qui égratigne avec un humour grinçant le monde de la justice ne serait pas particulièrement avenante dans la vie. Son sourire et sa poignée de main nous rassurent. L’avocate est chaleureuse, et a le charisme particulier des originaux qui ne font rien pour l’être.

Hannelore Cayre — prononcer « Hannéloré », avec un h aspiré — est avocat pénaliste, écrivain. Elle n’était partie pour être ni l’un, ni l’autre. Adolescente, elle aspire à une carrière de médecin mais doit renoncer : trop mauvaise en maths. Elle se tourne alors vers une autre carrière de notable : le droit. Elle se spécialise dans les affaires et la propriété intellectuelle, commence sa carrière comme directrice financière à France 3. À 26 ans, elle s’apprête à partir diriger la filiale de Canal + aux Etats-Unis. Un grave accident de la route, survenu au Chili, pays où elle a adopté une petite fille, en décide autrement. « J’ai passé un an et demie à l’hôpital. J’ai tout réappris, jusqu’à marcher ou faire mes lacets ».

Rétablie, elle n’envisage plus de « passer ses journées devant des contrats d’auteur et des plans de financement ». Jeune maman, elle retourne sur les bancs de l’école, ceux de l’EFB. Elle prête serment en 1997, et, attirée par le potentiel narratif des faits divers, se lance comme pénaliste. « Je ne savais pas une ligne de droit pénal. J’ai acheté un Dalloz et deux ou trois traités que j’ai pris en note sur des fiches Bristol. J’ai toujours eu un côté petit professeur », assure-t-elle.

Petit professeur, peut-être, mais qui aime jeter des pavés dans la mare. Après quelques années d’exercice, elle sort un premier roman : Commis d’office, inspiré de ses permanences et commissions d’office. L’ouvrage narre les aventures d’un anti-héros des prétoires : Christophe Leibowitz-Berthier, avocat médiocre, alcoolique, et désargenté, qui pactise avec ses clients et se retrouve derrière les barreaux. L’auteure assure que c’est un condensé de réalité, nourri des histoires de ses clients, et de celles des anonymes qu’elle a vu passer aux audiences de comparutions immédiates. « Je voulais raconter la justice de l’intérieur. Pas la justice dorée, un truc d’abattage ». Tout le monde en prend pour son grade, à commencer par les soi-disant vénérables représentants du barreau de Paris. Membres du conseil de l’ordre, secrétaires de la Conférence du stage et bâtonniers sont gentiment égratignés par sa plume corrosive. Hannelore Cayre prend un malin plaisir à révéler les petites combines et coups bas de ses confrères et à déconstruire le mythe de l’avocat défendant la veuve et l’orphelin. « Il faut voir les familles qui regardent leur enfant prêter serment », raconte-t-elle, goguenarde. « Le mythe est très loin de la réalité ! Au moins, un jeune avocat qui aura lu Commis d’office saura à quoi s’attendre. On n’est pas payé par la commission d’office mais par l’argent des trafics de drogue et des braquages », tient-elle à préciser. Vendu à 20 000 exemplaires, l’ouvrage a connu un petit succès dans le microcosme judiciaire. Elle l’a elle-même porté à l’écran en 2009.

Comme avocat, Hannelore Cayre travaille avec son mari, le pénaliste Jean-Christophe Tymoczko, défenseur des milieux dits d’ultragauche et des causes environnementales. Présent pendant l’interview, il n’a de cesse de la taquiner, de terminer ses phrases, quand ce n’est pas l’inverse. Tous deux s’accordent à la décrire comme « conjoint collaborateur », racontent qu’elle chauffe la place de son époux aux audiences pour qu’il ne perde pas son temps à attendre son tour. On l’imagine mal jouer un rôle de potiche. Elle répond que c’est très facile : au tribunal, assure-t-elle, personne ne la connaît. Le rôle qu’elle préfère dans les cours de justice est celui de spectatrice, à l’aguet des histoires interlopes, de l’absurde derrière le protocole. Son dernier roman, La Daronne, raconte l’histoire de Patience Portefeux, traductrice précaire du ministère de la Justice, qui, pour loger sa mère dans un EPHAD hors de prix, finit par vendre de la drogue avec les gamins qu’elle est chargée d’écouter. « Il y a une part de moi dans ce livre », confie l’auteure. Comme son héroïne, Hannelore Cayre a passé son enfance au bord d’une autoroute, nourrie d’une double culture, avec « une mère juive compensée par un père super catho ». Comme son héroïne, elle a grandi entre un père pied noir, à la tête d’une entreprise de transports et une mère rescapée des camps de concentration. Sur la couverture, c’est d’ailleurs elle qui prend la pose, méconnaissable en imper beige, fichu sur la tête, deux gros sacs Tati à ses pieds. Le cliché est signé par sa fille Louise Carrasco, jeune photographe qui monte dans le milieu de la mode.

Polar plus que loufoque, La Daronne est aussi un vrai roman social qui met en lumière la situation ubuesque des traducteurs judiciaires. Le ministère de la Justice n’a pas les moyens de payer les cotisations de ces travailleurs de l’ombre. « La sécurité nationale aujourd’hui est au mains de gens qui ne sont pas déclarés », résume l’auteure. En pleine promotion du livre, elle dénonçait la situation avec force sur les ondes de la radio publique. « Ces traducteurs arabes qui protègent la France, la police est aveugle sans eux. Je trouve ça inimaginable qu’on leur crache à ce point là à la gueule. Si ce livre pouvait servir à ce qu’ils aient une sécurité sociale, ce serait déjà bien ! ».

Politiquement, elle se situe à gauche tendance libertaire, plaide haut et fort pour la dépénalistation du cannabis. Cela ne l’empêche pas de se caricaturer en mère au foyer à tendance acariâtre. « Pendant des années, mon vrai métier a été de m’occuper de mes enfants », affirme celle qui cumule au bas mot quatre activités – avocate, romancière, elle est aussi journaliste à ses heures perdues, a réalisé plusieurs courts métrage en plus de l’adaptation de son film, Commis d’office, en 2009. « Mère, c’est plus compliqué que n’importe quel boulot. Il ne faut jamais céder, être tout le temps là. Je suis très exigeante. J’ai fait chier mes enfants comme une malade pendant dix-neuf ans de leur vie ». Ses deux enfants ont fait leur scolarité dans le privé, « une école pourrie pas chère mais dopée par les élèves asiatiques du quartier, de gros bosseurs », dit-elle avec cette manière bien à elle de mélanger humour, sociologie et un sens certain de la provocation.

Quand elle en a assez de chauffer la place de son mari sur les bancs des salles d’audience, Hannelore Cayre prend le large. Elle prend ses quartiers d’été sur l’île d’Ouessant, caillou de granit tout à l’Ouest de la Bretagne. Bien loin du microcosme parisien, elle passe du temps avec sa famille et ses amis pêcheurs dans une maison pour laquelle elle a eu le coup de foudre en lisant les pages immobilières de Libé. « Enfant, mes parents avaient un grand appartement sur l’île de Porquerolles. Ma mère me disait qu’elle ne voulait pas me revoir avant 19 heures. Je fichais le camp toute la journée. Je voulais que ce soit pareil pour mes enfants, donner ce que j’avais vécu : la liberté ». Là encore, elle ne fait rien comme tout le monde, s’enferme pour écrire quand les autres prennent le soleil à la plage.

La Daronne poursuit sa vie sur grand écran. Il se murmure qu’Isabelle Huppert pourrait tenir le rôle titre. Hannelore Cayre, elle, devrait continuer à arpenter les couloirs des palais de justice, les écoutilles ouvertes, prête à traquer les bonnes histoires. Elle trouve son équilibre dans cette double vie entre les prétoires et l’écriture. « Il y a une certaine joie à préserver dans l’écriture. La légèreté qui fait mon style, le côté tragi-comédie, je la perdrais si je ne faisais qu’écrire. Et de conclure : « On est meilleur quand on écrit comme un branleur, parce qu’on en a envie ».

LPA 27 Juil. 2018, n° 137v1, p.3

Référence : LPA 27 Juil. 2018, n° 137v1, p.3

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