Henri Braun, un avocat « toujours du côté des dominés » !

Publié le 14/02/2024
Henri Braun, un avocat « toujours du côté des dominés » !
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De la défense des sans-papiers de l’église Saint-Bernard à celle des militants contre l’islamophobie, en passant par les travailleurs migrants ou les Roms roumains… Les dossiers défendus par Henri Braun, 55 ans, varient au gré de l’évolution des cibles du racisme en France. Son seul cap : porter la voix des plus dominés. Portrait de cet avocat séquano-dionysien.

« Petit résumé de l’affaire De Cock : 1. Zaka Toto est plagié par Laurence de Cock 2. Zaka Toto est mis en examen puis jugé pour diffamation 3. Zaka Toto est traité de « Petit Chose se haussant du col » par un plumitif cuistre. Délibéré le 21 septembre ». Une fois n’est pas coutume, c’est contre une enseignante plutôt située à l’extrême gauche de l’échiquier politique qu’Henri Braun a plaidé le 9 juin dernier. L’enseignante du supérieur a porté plainte pour diffamation contre le responsable d’un média martiniquais qui l’accusait publiquement d’avoir plagié un de ses articles consacré au sucre et à la mémoire de l’esclavage. Il a depuis été relaxé. « Lorsque je choisis mes dossiers, je m’efforce de me mettre toujours du côté du plus dominé », soutient l’avocat de 55 ans, que nous rencontrons à son cabinet situé dans les rues orthogonales de la Plaine Saint-Denis (93).

Saint-Bernard

C’est non loin de là qu’il a mené ses premiers combats pour les sans-papiers. « En 1996, j’avais un peu participé à la mobilisation des sans-papiers de Saint-Bernard. J’ai prêté serment en 2001 et, quelques semaines plus tard, l’église a été de nouveau investie par des collectifs de sans-papiers qui se battaient pour leur régularisation. Avec plusieurs consœurs, j’ai assuré leur défense et je suis devenu copain avec un groupe de sans-papiers de Saint-Denis », raconte-t-il. « Je suis devenu l’avocat des résidents du foyer Bachir Souni, situé à côté de la gare de Saint-Denis. Je les ai accompagnés durant le conflit qui les opposés à Adoma (qui s’appelait encore alors la Sonacotra), entre 2003 et 2006, contre une rénovation qui faisait fi de leurs habitudes et de leur volonté. S’ils ont gagné dans un premier temps, l’État a finalement transformé les chambres en studios individuels, squeezant au passage les cuisines collectives, les salles polyvalentes et salles de prières, pour augmenter la rentabilité locative de leur résidence », expose Henri Braun. Il nourrit depuis l’idée de faire reconnaître le statut de locataire aux résidents des foyers de travailleurs migrants. « Alors que certains travailleurs y vivent depuis trente ans ou plus, ces contrats sont reconduits de manière mensuelle. Il s’agit d’un régime d’exception, avec des règlements intérieurs restrictifs, qui les empêchent d’y inviter qui ils veulent, entre autres », souligne-t-il.

À côté de ce combat de longue haleine, l’avocat défend individuellement des sans-papiers, éprouvant « une grande satisfaction », concède-t-il, à chaque fois qu’il fait tomber une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Si ces procédures donnent rarement lieu à de « grandes affaires », quelques-unes ont marqué sa mémoire. « Je défendais un jeune homme qui allait être expulsé. À l’audience, sa mère s’est levée d’un seul coup et a raconté comment, au Congo, elle s’était fait violer par les soldats, puis comment on lui avait montré la tête de son frère décapité. J’étais très ému et la greffière s’est mise à pleurer. Le jeune homme a échappé à l’expulsion… Je n’ai rien eu besoin de faire ». Autre souvenir marquant, la défense d’Ali Korera, un sans-papiers mauritanien travaillant dans le nettoyage, qui avait attaqué seul son employeur devant les prud’hommes. « Celui-ci l’avait licencié parce que Korera entendait, bien que sans-papiers, bénéficier des mêmes droits que n’importe quel autre salarié. On lui disait qu’il prenait de gros risques, qu’il pouvait être expulsé à tout moment. Ali répondait qu’il n’avait pas peur. Il a gagné en première instance, mais l’employeur a fait appel. C’est pour cela que je suis devenu son conseil… J’avais une grosse pression sur les épaules car il me fallait faire aussi bien que lui. La décision a finalement été confirmée », narre Henri Braun.

Parmi les autres personnes défendues qui l’ont marqué, l’avocat cite Hélène et Philippe Magdelonnette, qui ont manifesté tous les jours pendant six ans pour protester contre leur licenciement. Ou Maurice Rajsfus, inlassable défenseur des libertés publiques et pourfendeur des violences policières.  « Il me demandait rituellement :  « et tu seras mon avocat au cas où ? ». Même si tous les deux nous savions bien que les autorités n’oseraient pas poursuivre un rescapé de la rafle du Vel’d’Hiv, quoiqu’il puisse écrire sur la police française », sourit Henri Braun. Sans oublier Raymond Gurême, l’unique ancien résistant victime de violences policières au XXIe siècle, »qui lui a tant apporté », souffle-t-il pudiquement.

Racismes spécifiques

Si ses clients lui ont permis de faire le tour du monde par procuration, Henri Braun s’est taillé une véritable spécialité dans la défense des Roms roumains, compagnon de route de diverses associations, parmi lesquelles La Voix des Roms et Romeurope. « En 2003, j’ai assisté à l’expulsion d’un squat à Montreuil suivie de plusieurs placements en centre de rétention. La Roumanie n’avait pas encore intégré l’Union européenne. Déjà à l’époque, j’estimais, à l’opposé de ceux qui pensaient que les Roms étaient des sans-papiers comme les autres, qu’il y avait une dimension spécifique à ce racisme », rappelle-t-il. Sans pour autant hiérarchiser ces « expressions de rapports de domination », Henri Braun insiste sur la diversité des ressorts qui sous-tendent les comportements discriminatoires. « Il est courant de trouver sur internet des appels au meurtre, voire au génocide des Tsiganes. Mais je n’ai jamais vu, même parmi les zélateurs les plus acharnés de l’antitsiganisme, quiconque défendre l’idée que les gitans seraient les artisans d’une vaste conspiration au niveau mondial. L’antitsiganisme, comme la négrophobie d’ailleurs, repose en grande partie sur l’animalisation de ceux sur qui elle porte, supposés être dangereux car prétendument incapables de dominer leurs instincts. L’antisémitisme et l’islamophobie reposent plus souvent sur l’idée que leurs cibles seraient fourbes », détaille l’antiraciste. L’expert liste ensuite les préjugés liés à chaque population discriminée : « Les juifs seraient ainsi certes peu nombreux mais disséminés et très intelligents, alors que les musulmans viseraient à asseoir leur domination par leur nombre. Chaque racisme obéit à des thèmes et des tropes spécifiques. Il n’y a qu’un seul racisme dont je réfute l’existence, c’est le racisme anti-blanc. Il ne serait possible que dans un pays où les blancs ne seraient pas dominants… La Licra est malheureusement tombée dans ce piège », déplore-t-il.

Dans son viseur donc, les réglementations et pratiques spécifiques aux Roms et aux gens du voyage. Qu’il s’agisse du statut des gens du voyage, du quota qui autorisait un maximum de 3 % d’électeurs de cette catégorie dans chaque commune ou du délit de privation de soin par mendicité, créé à l’époque où Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, et ayant exclusivement servi à retirer leurs enfants à des mères roms, l’avocat tente, en posant des questions prioritaires de constitutionnalité, de faire abroger ces règles qu’il considère comme discriminatoires. « Fonder des lois sur l’appartenance de personnes à une ethnie ou même sur leur mode de vie est tout simplement antirépublicain », estime-t-il. Henri Braun ferraille également sur le terrain idéologique. De 2005 à 2009, il se réveille tous les jours avec une idée en tête : faire condamner France 5 pour un épisode de l’émission C dans l’air, intitulée : « Délinquance, la route des Roms ». « Une heure où alternaient poncifs éculés et racisme débridé de la part de deux intellectuels d’extrême droite, Xavier Raufer et Yves-Marie Laulan, ainsi que de Jean-Pierre Rosenczveig », résume-t-il. « Beaucoup d’associations de Roms et de voyageurs se sont joint à la plainte mais aucune d’elles n’avait pour objet social de lutter contre le racisme. Le parquet a heureusement repris la plainte à son compte ce qui a permis que le procès ait lieu. On a gagné en première instance puis en appel, mais la Cour de cassation n’a pas suivi. Le silence médiatique autour de cette histoire avait été total mais elle a permis une prise de conscience de l’existence et de l’intensité de l’antitsiganisme ce qui a mené notamment à la création de La Voix des Roms », se souvient-il. Rebelote avec la Une de Valeurs Actuelles, titrée : « Roms, l’overdose ». Cette fois-ci, il obtient la condamnation du titre, ce qui a eu pour effet de le priver du bénéfice des aides publiques à la presse pendant cinq ans. L’avocat antiraciste attaquera également devant la Cour de justice de la République ainsi qu’en correctionnelle Manuel Valls qui avait expliqué que les Roms avaient « vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ». « J’ai porté plainte contre quasiment tous les ministres de l’Intérieur qui se sont succédé depuis vingt ans », note malicieusement cette mouche du coche.

Activismes idéologiques

« Ça n’a rien donné – sauf dans le cas de Brice Hortefeux – mais ce n’est pas très grave. C’est une stratégie que les juristes états-uniens ont appelé « cause lawyering », qui consiste à lancer des procédures, même si elles ont très peu de chance d’aboutir, afin de mettre un sujet sur le devant de la scène, dans le but de provoquer des prises de conscience, éventuellement un changement des mentalités et au final d’avoir un effet politique », s’explique-t-il. Bien qu’Henri Braun estime le rapport de force réel comme central, l’avocat estime que, dans une société judiciarisée, le droit est un outil parmi d’autres pour faire reconnaître de nouveaux droits. « J’estime qu’à la criminalisation des mouvements sociaux doit répondre l’utilisation du droit pénal par les subalternes dans le but de faire reconnaître les responsabilités individuelles nécessairement à l’œuvre dans les processus systémiques », poursuit-il. Ayant plaidé (https://qpc360.conseil-constitutionnel.fr/videos/affaire-2018-717718-qpc) pour l’association SOS Soutien ô Sans Papiers lors de l’audience du Conseil constitutionnel, qui a conduit à la traduction dans le champ juridique du principe de fraternité, il s’interroge désormais sur les autres domaines dans lesquels il pourrait bien faire appliquer cette innovation juridique.

Issue d’une famille touchée par la Seconde Guerre mondiale, cette victoire est chère à Henri Braun. L’homme a passé les vingt premières années de sa vie à Limoges, terre de résistance et marquée à gauche, et l’idée de devenir avocat s’immisce en lui dès ses 12/13 ans. Y accoler l’épithète « engagé » est une évidence. « Mon adolescence fut marquée par les débats sur la prison et la peine de mort, au moment de l’élection de Mitterrand. À l’époque, j’admirais beaucoup Robert Badinter. Puis est venu l’engagement politique contre la loi Devaquet : j’ai commencé à fréquenter les assemblées générales, les coordinations nationales, les syndicats étudiants lorsque j’avais 18 ans ». Pourtant, il n’a jamais eu l’envie de s’encarter. « Pour reprendre une métaphore due à Pierre Bourdieu, les jeunes socialistes ressemblaient à des gamins qui jouaient aux billes sur le pont du Titanic », cingle-t-il. À Maurice Thorez, il préfère l’avocat Henry Torrès. « Pour moi, c’est le plus grand. Il défendait Sholem Schwartzbard, un réfugié juif ukrainien qui avait fui les pogroms et avait assassiné à Paris, Simon Petlioura, un leader nationaliste ukrainien qu’il considérait comme responsable des massacres. Henry Torrès avait plaidé que s’il avait tiré deux balles, c’est qu’il n’avait pas supporté de voir sa victime souffrir. Alors qu’il avait fait citer un grand nombre de témoins à l’audience, il avait finalement renoncé à les faire paraître à la barre, jurant qu’il renoncerait à la robe s’il n’obtenait pas l’acquittement de son client. Et Schwartzbard fut acquitté », raconte Henri Braun avec gourmandise. Un autre de ses inspirateurs se nomme Maxime Rodinson : auteur entre autres de « De Pythagore à Lénine : des activismes idéologiques » ; il admire à la fois son érudition et sa capacité à manier les concepts, deux qualités « rarement réunies chez les intellectuels », estime-t-il.

Un avocat contre l’islamophobie en France

Lesté de ce bagage, le rhéteur avance aussi sur des pistes plus périlleuses que celles évoquées jusqu’ici. Dès 2003 et la reprise du débat sur le voile à l’école, il se range du côté de la liberté vestimentaire, qu’il considère comme « un droit fondamental ». « Sur cette question, je me sens plus proche des jeunes d’aujourd’hui que des militants de ma génération. Il y a eu une mutation du racisme, on est passé de la période post-guerre d’Algérie au 11 septembre. Il fallait se trouver un ennemi de substitution, ce furent les musulmans », expose celui, qui dans le sillon de ces affaires, est devenu l’un des avocats du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dont la dissolution controversée n’a pas donné lieu à la mobilisation qu’il attendait.

Sans-papiers, roms, musulmans… « À chaque fois, j’ajoute une nouvelle couleur à ma palette, sans renoncer aux anciennes », tient-il à préciser. Nouvelle période, nouveau programme : Henri Braun veut désormais prendre à bras-le-corps les questions écologiques. « Il faut arriver à poser les questions des pollutions numériques, des ondes, des antennes, de l’extractivisme, sur le plan juridique. Et participer au mouvement de contestation contre la destruction de la nature ». Une autre dominée qu’il s’agit d’aider à s’émanciper.

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