« Je Défends…. ! »

« Je Défends….! » est un savoureux recueils de textes célèbres que Me Sofia Soula-Michal a détournés pour les faire parler de la justice. Une déclaration d’amour au métier d’avocat ponctuée d’humour, d’émotion mais aussi de colère contre l’état de l’institution judiciaire. 

Un avocat brandit un fumigène lors de la manifestation du 3 février 2020

Imaginez, juste comme ça, pour rêver que Piaf, Éluard, Hugo, Brel, Vian, Apollinaire, Dassin, Kessel, Dalida et d’autres se retrouvent un soir dans un prétoire et qu’ils décident de consacrer leur talent à la justice. C’est à cette étrange et savoureuse rencontre que nous convie Me Sofia Soula-Michal, avocate au barreau de Lyon, dans son livre sobrement intitulé « Je Défends… ! ». L’auteur s’est emparé de textes célèbres et les a transformés pour raconter le quotidien des professionnels de la justice. « Ne me coupe pas » supplie l’avocat, qui déroule ses promesses : « Je ferai un palais où le juge sera loi, où justice sera là, où elle sera reine ».L’albatros de Baudelaire est le prétexte pour peindre le portrait du vieil avocat « naufragé loin des cours, sa robe raccrochée l’empêche de plaider ». On tourne les pages et voici que Dalida chante « Laissez-moi plaider ». Une pluie de paillettes, et c’est tout le prétoire qui se met à danser.

« Quoi, baveux, parler vous accommode, Et pourquoi donc plaider comme un gastéropode ? »

Il y a beaucoup d’amour dans ces lignes pour le métier d’avocat et plus généralement la justice. « J’ai voulu restituer cette fraternité que nous avons ressentie quand on s’est retrouvés tous ensemble pour défendre nos valeurs lors de la réforme des retraites, alors que trop souvent  le quotidien nous sépare. J’ai eu envie de dire qu’on ne ressemble pas à l’image qui est donnée de nous, que beaucoup de confrères choisissent l’aide juridictionnelle alors qu’ils pourraient gagner décemment leur vie parce qu’ils placent la défense au-dessus de tout.  J’ai voulu aussi exprimer la solitude du juge face à ses dossiers, et puis rendre hommage au greffier si discret et tellement indispensable » confie l’auteur.

. Mais parfois surgit la colère. Par exemple dans ce pastiche du fameux texte du Pasteur allemand Martin Niemoller, tellement d’actualité depuis l’apparition de l’épidémie de covid :

« quand on m’a dit de plaider en dix minutes, je n’ai rien dit l’audience était chargée,

quand ils ont mis en place les procédures sans audience je n’ai rien dit c’était la crise sanitaire,

quand ils ont proposé de les remplacer par des algorithmes, je n’ai rien dit ce n’était qu’une expérimentation…. ».

Face au juge qui ne lui laisse que 5 minutes pour plaider, l’avocat de Me Soula-Michal troque sa robe contre l’épée de Cyrano car,« c’est un peu court en somme. » « Cavalier : Quoi, baveux, parler vous accommode, Et pourquoi donc plaider comme un gastéropode ?(…)  Dramatique : c’est le déluge quand il plaide ».

« Leur vie, ma bataille » sur un air de Balavoine

Au fil des pages, voici que surgit Eluard. « Sur le fracas des délais, sur le silence des audiences, sur les échos des palais, j’écris ton nom ». Comme il va bien à la justice, ce poème de liberté. Soudain, le lecteur éclate de rire et se surprend à fredonner « L’avocat pénaliste » sur l’air de la groupie du pianiste de Michel Berger,  « L’audience à mille temps » invite à valser avec Brel tandis que « Leur vie ma bataille » inspirée de Daniel Balavoine serre la gorge.

Flaubert criait ses phrases dans son « gueuloir » pour s’assurer qu’elles sonnaient juste. Me Soula-Michal a mis autant de soin à travailler l’accord des mots et des mélodies « j’ai chanté mes textes, et quand ça ne convenait pas, je reprenais » confie l’avocate. « Ce ne sont pas des pastiches, plutôt des hommages. Je n’ai retenu que des auteurs que j’aimais et qui, chacun à leur manière ont un jour répondu à des questions que je me posais ».

« Je défends… ! » c’est la bande-son des manifestations contre la réforme des retraites mais aussi  de tous les combats menés au quotidien par une profession qui jamais ne se résigne.  On y retrouve la même énergie, les mêmes colères, les mêmes espoirs et les mêmes éclats de rire. Le feu sacré, en somme.

 

Sofia Soula-Michal « Je Défends….! ». Préface de Denis Mazaud.  Editions Maïa – septembre 2021 – 107 p., 17 euros