« Je poursuis l’idée de rendre les droits existants effectifs au niveau individuel »

Publié le 16/06/2021

En ouvrant son cabinet en janvier 2020, deux mois avant le premier confinement, Grâce Favrel n’avait pas anticipé la crise actuelle. Cela n’a pas freiné son installation à Paris dans ce qu’elle nomme un « cabinet de niche », tant en raison de ses domaines de spécialités centrés autour des droits humains et du droit international que de son approche de la relation client. Pourtant, l’avocate a débuté sa carrière dans un autre secteur : celui des organisations non gouvernementales. Son parcours est entièrement dédié à la défense des plus vulnérables.

À 37 ans, Grâce Favrel a opéré un nouveau tournant dans sa vie professionnelle. Elle qui ne souhaitait pas être avocate à la fin de ses études en droit international des droits de l’Homme, choisit de s’orienter vers les organisations non gouvernementales (ONG). « Les questions liées au conflit, à la démocratisation des pays en développement m’intéressaient », dit-elle. Au lycée, déjà, elle s’engage dans des associations, ce qui l’incite à s’orienter vers la voie de l’humanitaire. Les études de droit apparaissent comme « une évidence ». Elle commence sur le campus de Nancy, puis s’installe à Aix-en-Provence, offrant « une très bonne filière en droit international », où elle obtient son diplôme de master 2 en 2006.

Une expertise internationale

Le milieu des ONG est « assez fermé » et il est difficile d’avoir des contacts. Les stages non rémunérés sont monnaie courante. Grâce Favrel part quelque temps en Allemagne, puis s’installe à Londres pour perfectionner son anglais. « J’ai mis quelques mois avant de trouver un emploi. Les places sont chères ». Dans l’ONG où elle est embauchée, l’Electoral Reform International Services (ERIS) qui a fermé depuis, elle est en charge de projets de promotion des droits civils et politiques.

En parallèle, elle réalise de l’observation pour l’Union européenne comme assistante électorale. « Ce sont des missions très intéressantes pour connaître un pays parce qu’on est obligé de s’intéresser au contexte politique, juridique et électoral. On a aussi un rapport à la diplomatie parce qu’on est en contact avec des ambassadeurs et le personnel des ambassades. J’étais par exemple chargée de coordonner la visite d’une parlementaire européenne ».

Les missions à l’étranger s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Grâce Favrel y passe quelques jours ou plusieurs mois selon le contexte. Elle se rend en Tanzanie, au Kenya, au Rwanda ou encore au Burkina Faso. Elle passe du temps au Soudan, à l’époque où il n’était pas encore divisé en deux. « C’est un pays qui m’a marquée parce qu’on y voit les limites de l’aide internationale et de l’assistance qu’on peut procurer. En 2010, l’élection était déterminante et les deux pays se sont enfoncés dans davantage de violence et d’autoritarisme ».

Favrel Grâce

2015, changement de trajectoire

L’année 2015 sera un tournant pour Grâce Favrel : elle réalise sa dernière mission et décide de reprendre ses études. Elle choisit de se recentrer sur la France et sur le droit avec pour ambition d’avoir « un impact concret dans la vie des gens » : « J’ai voulu retourner vers du droit moins mou, moins souple. J’avais envie de devenir avocate et de me spécialiser. Une professeure à l’université disait que le XXe siècle était celui des signatures de conventions, le XXIe siècle, celui où il faut s’assurer que ce sont des droits effectifs. C’est cette idée que je poursuis : rendre les droits existants effectifs au niveau individuel ».

En 2019, Grâce Favrel participe au concours de plaidoiries des élèves avocats 2019 du Mémorial de Caen. Elle y défend les « enfants d’exception », ces jeunes migrants que la France abandonne et ne protège pas malgré ses engagements. « C’était un dossier dont on avait parlé à la Ligue des droits de l’Homme et je l’ai trouvé particulièrement choquant. C’est un sujet important et récurrent ».

En 2020, elle crée son cabinet seule, à Paris, pour sa position stratégique. Rattrapée par la crise sanitaire, sa première année sera difficile « comme pour tout le monde », mais également « bénéfique en termes de réseau ».

Au niveau du droit, la situation lui a paradoxalement donné certains arguments à faire valoir devant la Cour européenne des droits de l’Homme. « Pour un dossier lié à un migrant qui devait être expulsé avec toute sa famille d’un centre d’accueil alors qu’on était en pleine pandémie, j’ai utilisé l’argument du Covid-19 : si ces personnes se retrouvaient à la rue, elles seraient gravement exposées au virus, y compris les enfants, dont certains étaient atteints de maladies graves ».

Une approche plurielle et humaine

Outre le droit pénal, Grâce Favrel est engagée dans le droit de l’environnement. Des thématiques qui recoupent les droits humains. Elle pratique aussi le droit international, notamment à travers l’aide juridique qu’elle offre aux entreprises et micro-entreprises qui font du commerce international, ce qui « change des situations de précarité extrême de certains clients » qui peuvent être dures émotionnellement.

Dans l’exercice de son métier, la question du secret professionnel lui est apparue cruciale : « Les clients doivent pouvoir nous parler sans craindre que ce ne soit répété. L’autre question importante est celle de notre relation aux magistrats et la place de l’avocat au tribunal. On est tous et toutes là pour servir la justice mais, ces derniers temps, il y a eu des affaires où des avocats ont été malmenés par des magistrats. C’est inacceptable ! Notre métier est de présenter les arguments du client, mais ces événements nous donnent l’impression de ne plus avoir notre place au palais », insiste-t-elle.

Parmi les affaires qui l’ont marquée, Grâce Favrel repense à celle d’une femme qu’elle a accompagnée, victime de violence de la part de son époux. « Elle était victime principalement de violences psychologiques et économiques. On avait demandé une ordonnance de protection et la juge aux affaires familiales n’a pas considéré ces violences. C’est quelque chose d’assez frustrant. Cette femme était dans une telle situation d’emprise qu’elle ne pouvait rien faire et surtout pas partir. Elle avait à peine accès à son compte en banque. Pour ces femmes, l’idée de partir est quelque chose à anticiper plusieurs mois à l’avance. Si la première tentative ne fonctionne pas, les représailles peuvent être terribles. Notre système ne prend pas suffisamment en compte les violences psychologiques et économiques et c’est parfois assez énervant ». Selon elle, les enquêtes sont souvent très longues et plongent femmes et enfants dans une « vulnérabilité extrême ». « C’est particulièrement difficile de devoir attendre quand on est victime pour obtenir un minimum de protection. Mais nous sommes obligés de suivre la procédure ».

Elle explique avoir ouvert un cabinet « de niche », qu’elle qualifie ainsi en raison de sa manière de gérer les relations avec ses clients. « Ce n’est pas uniquement pour mes domaines de spécialité. J’ai un accompagnement très personnalisé. Je les connais tous et toutes individuellement. Je gère tout de A à Z et je prends le temps d’écouter, parce qu’en discutant on trouve des arguments qui peuvent être avancés en procédure. Dans certains dossiers, ce sont des éléments factuels qui vont faire gagner l’affaire. On peut s’apercevoir de certaines choses, on peut rebondir. Parfois des schémas de comportement sont plus facilement démontrables. Le droit c’est de la technique mais c’est aussi beaucoup de faits. Quand on connaît les faits, on a plus de chances de gagner un dossier ».

Avec des victoires significatives à son actif devant la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour nationale du droit d’asile, le tribunal administratif ou encore devant les Prud’hommes, l’avocate, correspondante du cabinet META (situé à Tahiti), est de plus en plus sollicitée. « Les victoires sont essentielles pour élargir sa clientèle. Dans le métier on se rend vite compte que la seule stratégie marketing qui fonctionne, c’est le bouche-à-oreille. C’est pourquoi mon réseau s’est consolidé ».

Sans vouloir s’étendre sur sa vie privée, c’est sur son site que l’on peut en apprendre un peu plus sur sa personnalité : « Au-delà du droit, j’aime la littérature anglophone, le jazz et les balades en forêt ».

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