Journée du droit : 2023, l’année de la lutte contre le harcèlement

Publié le 22/11/2023
Journée du droit : 2023, l’année de la lutte contre le harcèlement
Kudryavtsev/AdobeStock

Cette année, la Journée du droit, organisée le 4 octobre, avait pour thème « harcèlement et discrimination ». Un thème on ne peut plus bienvenu dans une actualité chargée qui offre aux établissements un outil de sensibilisation supplémentaire. Retour sur l’opération menée à la cité scolaire Claude-Monet, dans le XIIIe arrondissement de Paris.

Pour la sixième fois, le Conseil national des barreaux (CNB) et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse se sont mis en cheville pour organiser la Journée du droit et mobiliser les avocats dans les établissements scolaires de tout le territoire pour sensibiliser les élèves des classes de 5e et de 4e sur le harcèlement et la discrimination. Ce thème est on ne peut plus important et l’actualité a récemment montré que les violences scolaires ont des conséquences dramatiques : Nicolas (15 ans), Lucas (13 ans), Marie (15 ans), Thibault (10 ans), Lindsay (13 ans) ont mis fin à leurs jours ces dernières semaines suite à des brimades et violences reçues dans le cadre scolaire. Selon un récent sondage Ifop, un élève sur dix serait victime de harcèlement majoritairement au collège (54 %), puis à l’école primaire (23 %) ou au lycée (13 %). Et s’il se produit dans l’établissement dans 92 % des cas, il se prolonge lors des activités extrascolaires (26 %), les transports (18 %) et sur les réseaux sociaux (18 %). D’où l’urgence pour tous les acteurs de l’éducation de multiplier les outils pour mettre un stop à ces situations. La Journée du droit, en est un : pendant deux heures, les avocats, accompagnés par un enseignant, ont échangé avec les élèves pour définir la discrimination, le harcèlement et les différents types de harcèlement scolaire. Ensuite, la discussion a porté sur leurs conséquences et les moyens visant à les combattre. Enfin, un cas pratique, du choix de l’avocat, a permis aux élèves de mieux appréhender les notions. Pour l’occasion le CNB met à disposition du public des outils soigneusement conçus, comme une liste de documents pédagogiques rassemblés par le Défenseur des droits qui peuvent être repris par les parents, ou des liens vers le site Educadroit qui lui aussi propose des approches pédagogiques sur les notions de droit pour les enfants âgés de 6 ans et plus.

« J’ai axé une partie de mon intervention sur la notion de témoin complice »

Ce n’était pas la première fois que Guillaume Delarue participait à l’opération du CNB. Titulaire d’un Master II de droit public des affaires, il est également diplômé de l’Institut de droit public des affaires (IDPA), rattaché à l’École de formation du barreau de Paris. Il intervient principalement en droit public et a développé sa compétence en droit de la fonction publique et en droit public des affaires. Mais, si ce n’est pas sa spécialité, cela ne l’a pas empêché de prendre très à cœur le sujet du harcèlement et des discriminations. « J’ai répondu présent car j’aime beaucoup l’idée de transmission, dans les deux sens. Je trouve qu’il est toujours intéressant de s’adresser à un public qui n’a pas forcément l’habitude d’entendre parler du droit. Je trouve ça utile de l’aborder à travers des sujets qui les concernent directement. À chaque fois, j’ai trouvé les échanges intéressants. L’année dernière, j’étais intervenu dans un établissement scolaire quartier Saint-Germain. Le thème était les libertés fondamentales et nous avions eu une discussion passionnante sur la notion du contradictoire, le droit qu’a tout le monde de défendre ses opinions. Les personnes sont toujours intéressées d’en savoir plus sur le fonctionnement de la justice, et de constater comment elle se répercute au collège, dans la rue, dans le cercle familial ou la vie quotidienne », nous explique l’avocat.

L’avocat a pris plaisir à se mettre au même niveau que les enfants de troisième qui lui faisaient face : « Il est toujours intéressant de les voir prendre conscience des enjeux de pouvoir, qu’ils sont confrontés à la justice tous les jours de leur vie, et pas qu’au conseil de discipline ou quand ils sont convoqués chez le proviseur. Ils n’ont pas non plus conscience qu’ils ont des droits, dans l’enceinte de l’établissement. Sur le harcèlement scolaire, cette année, j’avais insisté sur la notion de témoin complice. Je l’avais intégré dans ma trame d’intervention pour leur faire prendre conscience que “laisser faire” participe au harcèlement, mais la question est arrivée d’elle-même : “Si je vois et que je pars, puis-je être poursuivi ?”, cela a été l’objet d’une conversation intéressante. » Le publiciste est d’autant plus intéressé de travailler sur le harcèlement scolaire avec les premiers intéressés qu’il s’est retrouvé à plusieurs reprises à défendre dans les rectorats des fonctionnaires et des enseignants sur des dossiers épineux. « Le fameux courrier qui a circulé venant du rectorat de Versailles (après le suicide de Nicolas à Poissy, NDLR), on le trouve un peu partout en réalité. Il était un peu intimidant pour moi de donner des conseils aux enfants sur qui aller voir, qui vous écoutera, qui fera cesser les violences, quand je sais que l’administration protégera les enfants mais se protégera aussi. Nous avons besoin de droit et de justice partout, mais parfois il est compliqué de mettre tout cela en œuvre et c’est ce qu’illustre la multiplication de drames. »

L’avocat a donc remonté ses manches pour montrer aux enfants (et indirectement aux parents) et au professeur présent, que les solutions existent pourtant : « Tout le monde est démuni par rapport au harcèlement, la charge de la preuve est toujours compliquée pour les enfants, il y a une volonté de ne pas trancher dans ce qui peut être considéré comme des conflits mineurs pour certains proviseurs. Dans le cadre de cette journée, nous avons insisté sur le fait que des enseignants sont plus humains, plus à l’écoute, qu’à une certaine époque. Qu’il existe des organisations syndicales qui peuvent prendre le relais si ces derniers sont démunis. On rappelle aussi le rôle de l’avocat, à qui on peut demander une consultation d’une heure sans forcément aller plus loin, qui peut être une oreille attentive quand, dans l’immédiat, les parents ne savent pas comment réagir. » Il faut croire que l’opération de sensibilisation s’est aussi doublée d’une opération séduction : Guillaume Delarue s’est vu proposer à la fin de son intervention plusieurs demandes de stages de troisième : « Ils ont toujours une image très humaniste de l’avocat qui assiste et soutient, cela est très touchant. »

« Sur le harcèlement, les enfants doivent entendre une autre voix que la nôtre »

Marianne Cosse est principale adjointe de la cité scolaire Claude-Monet. Quand elle a vu le sujet qui avait été choisi pour la Journée du droit, elle a décidé d’inscrire toutes ses classes de la cinquième à la troisième. Soit douze interventions et un peu plus de 330 élèves concernés. « Il fallait mettre le paquet », avait-elle jugé. À l’issue de la demi-journée, l’encadrante a une nouvelle fois été très satisfaite : « Les avocats savent toujours se faire entendre, ils savent gérer la nature humaine. Pour certaines classes, assez remuantes, nous avions des craintes que deux heures leur soient trop longues, mais cela s’est très bien passé. »

Dans l’établissement scolaire, plusieurs enseignants sont en liens avec l’association InitiaDROIT. Reconnue d’utilité publique, l’association née au barreau de Paris est composée d’un millier d’avocats bénévoles sur tout le territoire, dont la mission est de sensibiliser les collégiens et lycéens au droit, participant ainsi à une prévention sociale. « Nous sommes habitués, donc, à avoir des interventions extérieures dans le cadre du droit. Mais cette année, je trouvais capital que sur le sujet du harcèlement et des discriminations les enfants entendent une autre voix que la nôtre. Que l’on soit enseignant ou encadrant, ils nous entendent beaucoup et grâce au point de vue extérieur ils peuvent percevoir l’écho de la société, une autre voix mais les mêmes principes édictés sur ce qu’ils vivent au quotidien. Et puis cela leur permet de découvrir un métier, une profession, pour se confronter à des cas pratiques, à la vraie vie surtout », soutient la proviseure adjointe.

La Journée du droit vient s’inscrire pour l’établissement scolaire dans un début d’année axé sur la question du harcèlement. « Nous installons beaucoup de choses, nous allons former certains professeurs à la méthode dite de la préoccupation partagée ». La méthode de la préoccupation partagée a été créée dans les années 1970, en Suède, par le psychologue suédois, Anatol Pikas. Elle consiste à réveiller le sentiment d’empathie chez les élèves agresseurs grâce à plusieurs séances de parole, à la façon de la justice restaurative. « Nous allons aussi créer des groupes plus réduits de formation pour former des élèves ambassadeurs sur le thème du harcèlement et on envisage d’avoir un groupe de profs formés sur le travail de l’empathie. Nous avons aussi réuni les parents des nouveaux élèves de sixième dans le cadre de réunions pédagogiques où nous avons abordé très clairement ces questions, en indiquant que les enfants pourraient vivre des situations de mal-être, être victimes ou auteurs de violences. »

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