Journée du droit dans les collèges : quelques heures avec un avocat pour mieux comprendre la société

Publié le 22/10/2024

journée du droit

Organisée par le CNB, la Journée du droit dans les collèges, qui en est à sa 7e édition, permet de faire rentrer le droit dans les collèges. Reportage au collège Stéphane Mallarmé, dans le 17e arrondissement de Paris.

Dans les couloirs du collège Mallarmé, une silhouette un peu fébrile attend la sonnerie. Me Julien Brochot, pénaliste et membre du Conseil national des barreaux (CNB), n’est plus collégien depuis longtemps, mais ce vendredi 4 octobre au matin, il intervient pour la première fois dans le cadre de la Journée du droit dans les collèges. Sa séance se passe auprès d’une classe de 4e. Une fois les élèves installés, il se présente et pose LA question introductive. « C’est quoi le droit ? ». Les réponses fusent : « C’est la justice, la police ». Il acquiesce. C’est vrai, ce n’est pas « seulement plaider et expliquer des choses aux juges ». Et depuis quand a-t-on des droits ? « Depuis la Révolution française ? », répond un élève. « Ah je voulais dire depuis quand dans votre vie » ? » Ils bottent en touche. « La naissance et même avant, puisqu’il existe un statut du fœtus. Le droit, résume l’avocat, ce sont des règles du jeu de la société, ce qui inclut l’État, le groupe, la vie quotidienne ».

Pour rentrer dans l’univers des adolescents, il évoque ensuite les youtubeurs Inoxtag, Mastu ou Léna Situations. « Dès qu’on se connecte sur leurs vidéos, il y a les conditions générales d’utilisation, les obligations comme stipuler qu’il s’agit d’une publication commerciale, l’interdiction de mettre des commentaires ou des vidéos contraires au droit (sexistes, racistes…) ». Même acheter un Iphone, c’est un contrat de vente, donc du droit ! L’avocat fait un petit détour par la fabrique de la loi. Parlement, proposition ou projet de loi, président, le vocabulaire se fait civique. Un petit schéma au tableau aide à comprendre le processus législatif. « Le président, quand il veut absolument une loi, il utilise le 49.3 ! », souligne avec pertinence un élève. Après ces quelques notions, Me Julien Brochot explique quelques autres concepts purement juridiques : juges du siège, « qui jugent », procureurs, « qui ordonnent les enquêtes ».

« Le cyberharcèlement, c’est quand on envoie des messages haineux »

Les voilà armés pour rentrer dans le vif du sujet. Le thème de cette année porte sur le harcèlement et les discriminations. Les élèves sont déjà sensibilisés. En effet, un premier élève donne une définition plutôt précise du harcèlement, en évoquant « des actes répétés sur une personne ». Julien Brochot est ravi : « Bravo, je vais vous appeler maîtres ! », s’enthousiasme-t-il. Il complète néanmoins un peu en précisant « qui peuvent avoir des conséquences. Pourquoi qui peuvent ? Alors ? Parce que même sans conséquences, le harcèlement peut être réprimé par la loi ». Un autre élève demande : « Si quelqu’un se suicide, pourra-t-il être condamné pour homicide ? ». « Non, mais la loi prévoit un délit aggravé quand il y a un suicide suite à du harcèlement ». « Et si on critique tous les jours quelqu’un sur ses baskets ? », demande un autre. L’avocat précise un cas où il y aurait harcèlement sans répétition : dans le cas d’un groupe, où chaque personne aurait commis un acte. « Ça veut dire que si on n’a rien fait, on peut être puni ? », interroge un élève. Réponse : « Dans ce cas, ce n’est pas rien, cela veut dire participer à un phénomène de meute ». Leurs phrases sur la perception du harcèlement sont intéressantes. « Parfois on se moque gentiment des personnes mais elles en souffrent », glisse un camarade.

Le déroulé se poursuit : comment avoir les preuves du harcèlement ? La preuve est recherchée par le procureur, « l’avocat de la société », qui enquête et poursuit l’auteur, le cas échéant. Julien Brochot glisse un mot sur le rôle de la police, qui peut perquisitionner, interroger les témoins, etc. « La perquiz’ ce n’est pas comme dans les films, où les policiers cassent tout, où on retourne le matelas pour chercher de la drogue », glisse cependant l’avocat, conscient de la puissance des représentations venant pour beaucoup d’outre-Atlantique.

Adresse IP, opérateurs VPN, il pose quelques questions très contemporaines sur l’arrestation du patron de Telegram. Cela pose des interrogations philosophiques responsabilité versus culpabilité ? Complicité ? « En estimant que le patron de Telegram n’est pas responsable du contenu illégal de sa plateforme (images pédopornographiques, ventes d’armes, appel au terrorisme…), les élèves ont édicté ce que sera sans doute les arguments de la défense de Pavel Dourov », analyse Me Julien Brochot après la séance.

« Combien gagne un avocat ? »

D’autres questions abondent sur la pratique de l’avocat. D’abord, à quoi ça sert : automatiquement, les élèves pensent « défendre un client », mais Me Julien Brochot détaille qu’il est possible d’avoir recours à un avocat pour du conseil, qu’il peut être une personne de confiance, puisqu’il est « soumis au secret professionnel ». « Vous n’avez pas le droit de mentir quand vous défendez un client  ? ». Non, explique-t-il, même s’il laisse entendre que certains confrères l’ont déjà fait… En revanche, il a le droit de refuser un client. « Moi tant que c’est bien payé, je prends ! », lâche un élève, faisant rire la classe. « Mais si vous défendez un coupable, vous êtes complice ? », demande un autre. « Sait-on réellement si l’accusé est coupable ?, répond alors l’avocat. Parfois quelqu’un fait des aveux parce qu’il est sous pression ». Il prend alors l’exemple du très populaire manga japonais Death Note, où le héros trouve un carnet magique qui permet d’éliminer le criminel dont il écrit le nom. Grâce à cet exemple, les élèves « prennent conscience qu’ils ne voudraient finalement pas qu’un justicier intervienne sans procès, sans débat », explique l’avocat.

Question récurrente : Est-ce que vous gagnez bien votre vie ? « Certains avocats très bien, d’autres moins. Cela dépend des clients que vous défendez, car les honoraires sont censés être proportionnels aux revenus ». Un élève a même entendu parler du pénaliste, Sanjay Mirabeau, ancien secrétaire de la Conférence du barreau de Paris et pénaliste reconnu. Me Julien Brochot parle aussi des avocats commis d’office, « indemnisés par l’État ».

Il livre enfin quelques mots sur son parcours : la fac de droit, le concours de l’école du barreau, le Capa. « Moi je détestais le droit fiscal, mais j’adorais le sang, les crimes, les enquêtes ». Ce dernier a d’ailleurs récemment beaucoup travaillé à la redéfinition pénale du viol et travaille sur des dossiers passionnants, « où rien n’est joué, où la discussion a toute sa place ».

Les questions en vrac – mais importantes – se poursuivent : quid de la possibilité de filmer dans la rue pour garder une preuve ou encore de la légitime défense, rôle de la garde à vue (pour ne pas modifier la preuve, faire pression sur la victime ou ne pas s’enfuir), enfants de moins de 7 ans envoyés en centres éducatifs fermés, qui constituent des alternatives à la prison… Les deux heures n’auront pas été suffisantes mais Me Julien Brochot sort enchanté de son « excellente première fois » grâce à des élèves motivés. Face à l’absence de l’enseignement du droit, une graine aura été plantée. « On enseigne la philo mais on pourrait aussi transmettre quelques grands concepts de droit civil ou pénal : où se place le juge dans un procès ? Comment se déroule une procédure judiciaire ou encore comment on saisit la justice… Le « réflexe » avocat n’existe pas encore contrairement au médecin que l’on appelle sans hésiter. Certains disent pourtant que les avocats sont les médecins de la société… », estime-t-il après coup.

Si la séance a été aussi constructive, c’est qu’elle avait aussi été bien préparée par Matthieu Salomon, le professeur d’histoire-géographie de la classe. « C’est la première fois que nous recevions un avocat sous cette forme mais nous avions déjà abordé la question du droit avec l’association « Jeune et engagé » qui avait organisé un procès fictif dans notre établissement ». Il aime emmener ses classes au tribunal judiciaire de Paris, proche géographiquement, pour une audience en correctionnelle. Les élèves en sont assez « impressionnés » à chaque fois : le théâtre de la justice, les policiers armés, la plongée dans les coulisses de la justice les intéresse beaucoup, même si « leur vision de la justice est très influencée par les représentations américaines de la fiction », reconnaît-il. Me Julien Brochot abonde, d’autant plus qu’il est pénaliste, et que le droit pénal fascine dès qu’un fait divers se commet. « Pour autant, la matière civile est tout aussi intéressante pour des élèves. Le droit des contrats permet par exemple de parler de téléréalité, des contrats passés entre les youtubeurs et de grosses agences, ou encore du monde du football ». Autant de sujets qui pourraient susciter l’intérêt des élèves… pour une autre intervention. Si son emploi du temps lui permet l’année prochaine, Me Julien Brochot « resigne » sans hésiter !

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