La Cour de cassation se réforme en douceur

Publié le 09/08/2017

À l’occasion de la présentation de son rapport annuel d’activité le 7 juillet dernier, le président Bertrand Louvel a fait le point sur l’état d’avancement de la réforme de la Cour. Ce qui ne nécessitait pas de réforme des textes entre en application, en revanche les réflexions se poursuivent sur le filtrage des pourvois.

Les années se suivent et se ressemblent. Ainsi la légère baisse des affaires nouvelles constatée depuis quelques années à la Cour de cassation se confirme en 2016 avec une diminution de 0,6 % par rapport à 2015 (28 047 affaires en 2016 contre 28 232 l’année précédente). Mais la Cour de cassation juge ce nombre encore trop élevé. « Les délais se sont accrus à 15 mois pour obtenir une décision en matière civile et 7 mois au pénal en raison des dossiers de l’année précédente », a expliqué le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, lors de la présentation du rapport annuel d’activité à la presse le 7 juillet dernier. Ce n’est pas faute d’efforts. Le nombre de dossiers jugés a augmenté de 14,6 % et le stock général d’affaires en cours a diminué par rapport à 2015 de 5,6 % ; il reste toutefois supérieur à celui de 2014. En clair, la Cour de cassation peine à absorber l’important flux d’affaires nouvelles. « Une cour suprême qui rend 28 000 décisions par an est-elle encore une cour suprême ? », s’interrogeait le procureur général Jean-Claude Marin l’an dernier. À l’évidence, cette question demeure d’actualité. Tout comme celle de la représentation obligatoire par un avocat en matière pénale. « Nous étions à portée de main de cette réforme dans le projet J21 mais, adoptée par le Sénat, elle a été rejetée par l’Assemblée nationale », regrette-t-il. Et de préciser « ce n’est pas du snobisme. Les avocats donnent plus de chances aux justiciables d’être entendus par la Cour ». Cette demande de réforme, renouvelée chaque année depuis 2000 s’appuie sur les statistiques : le taux de cassation est de 30 % au civil contre seulement 10 % en matière pénale, ce qui démontre selon la Cour de cassation la nécessité pour les plaideurs d’être assistés d’un avocat pour augmenter leurs chances de succès.

Révolution dans la motivation des arrêts

La présentation du rapport annuel d’activité a été l’occasion de faire le point sur la réforme de la Cour. On trouvera sur le site le rapport intégral rédigé par Jean-Paul Jean, ainsi qu’une synthèse des 70 propositions de réforme. Dans les grandes lignes, les aspects de la réforme ne nécessitant pas de modification législative sont en cours de mise en œuvre, a confirmé Bertrand Louvel lors de la présentation du rapport. Il s’agit notamment de la motivation enrichie des arrêts, de l’extension du contrôle de proportionnalité inspiré de la CEDH ou encore du traitement différencié des affaires en fonction de leur complexité. S’agissant par exemple de la motivation enrichie des arrêts, la Cour cite à titre d’illustration sa décision n° 283 du 24 février 2017, prononcée par la chambre mixte. Cet arrêt commence par rappeler sa jurisprudence et cite les décisions concernées dans les termes suivants: « que la Cour de cassation jugeait jusqu’à présent que ces dispositions, qui sont d’ordre public, sont prescrites à peine de nullité absolue, pouvant être invoquée par toute partie qui y a intérêt (Cass. 1re civ., 25 févr. 2003, n° 01-00461 ; Cass. 3e civ., 8 avr. 2009, n° 07-21610, Bull. civ. III, n° 80) ; ». Puis la Cour énonce un certain nombre d’éléments et conclut : « Que l’existence de dispositions protectrices du locataire, qui assurent un juste équilibre entre les intérêts de ce dernier et ceux du bailleur, et la finalité de protection du seul propriétaire des règles fixées par les articles 7, alinéa 1er, de la loi du 2 janvier 1970 et 72, alinéa 5, du décret du 20 juillet 1972 conduisent à modifier la jurisprudence et à décider que la méconnaissance des règles précitées doit être sanctionnée par une nullité relative ». La nouveauté réside dans le fait que la Cour énonce désormais clairement qu’elle opère un revirement de jurisprudence et cite les décisions auxquelles elle se réfère. En revanche, les travaux se poursuivent concernant la procédure de filtrage. Celles-ci sont désormais pilotées par le successeur de Jean-Paul Jean à la tête du service documentation études et rapport, Bruno Pireyre, qui a pris ses fonctions le 20 janvier dernier.

L’arrêt Morice en vedette

Parmi les décisions prononcées en 2016 que la Cour met en avant à l’occasion de la présentation de son rapport à la presse, trois concernent les professions du droit. Il y a d’abord le fameux arrêt Morice rendu en assemblée plénière le 16 décembre 2016. Dans cette affaire, l’avocat Olivier Morice avait été condamné pour complicité de diffamation pour avoir critiqué le travail des magistrats instructeurs dans l’affaire de l’assassinat du juge Bernard Borrel en 1995 à Djibouti. La Cour de cassation en 2009 avait rejeté son pourvoi, mais l’avocat a finalement eu gain de cause devant la CEDH le 23 avril 2015. Dans son arrêt du 16 décembre, prononcé dans le cadre de la procédure rare du réexamen, la Cour de cassation est donc revenue sur sa première analyse et a consacré le droit pour les avocats de critiquer les magistrats. Au passage, elle a réaffirmé une jurisprudence bien établie selon laquelle l’immunité des débats judiciaires prévue par l’article 41, alinéa 3, devenu alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881 ne protège pas les écrits faisant l’objet, en dehors des juridictions, d’une publicité étrangère aux débats. La deuxième décision notable rendue en 2016 concernant un professionnel du droit est un arrêt de la première chambre civile du 6 juillet 2016 (n°15-17346) dans lequel la Cour de cassation a jugé qu’une cour d’appel justifiait sa décision lorsque, appliquant le contrôle de proportionnalité, elle recherche si la suppression du monopole de représentation des avoués devant les cours d’appel a ménagé un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu, en ne faisant pas peser sur les personnes intéressées de charge disproportionnée. Dans cette affaire, la cour d’appel avait refusé d’indemniser des préjudices de carrière, économiques et accessoires qui ne répondaient pas à l’exigence de caractère direct, matériel et certain posée par le Code de l’expropriation d’utilité publique.

Enfin, dans un avis du 29 février 2016, la Cour a décidé que le majeur qui comparaît devant le tribunal pour enfants pour une infraction commise alors qu’il était mineur doit être assisté d’un avocat qui sera rémunéré dans les conditions prévues pour les mineurs, que ce soit sous forme d’honoraires ou par l’aide juridictionnelle. C’est le prolongement logique du fait que la compétence de la juridiction spécialisée s’apprécie au moment des faits.

Au-delà du sort de la Cour de cassation, c’est celui des moyens de l’institution judiciaire qui préoccupe le premier président et le procureur général. Ils ont eu l’occasion d’exprimer ces inquiétudes à l’occasion de la présentation du rapport du CSM quelques jours plutôt, évoquant « une forte lassitude et un très grand découragement » au sein de la justice. L’annonce le 11 juillet d’un rabotage budgétaire général se traduisant pour la justice par une réduction de 160 millions a déjà douché les espérances formées à l’égard du gouvernement.

Reste la promesse d’une réforme constitutionnelle pour accorder au parquet l’indépendance qu’il réclame depuis si longtemps…

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