La numérisation des archives de la cour d’assises de Seine-et-Oise
Depuis octobre 2023, les archives des Yvelines ont lancé une vaste opération de numérisation des dossiers de procédures de la cour d’assises de Seine-et-Oise, sur la période 1811-1940. Un système de numérisation à la demande, ouvert à toutes et tous, a également été mis en place.
En présence de documents en très mauvais état, certains encrassés et parfois écrasés pour entrer dans des boîtes, les archivistes faisaient face à une problématique de conservation. Il fallait donc trouver une solution. C’est ainsi qu’est né le projet de numérisation des dossiers de procédures des assises de Seine-et-Oise. « L’opération de restauration des pièces n’avait pas été priorisée jusqu’à présent, nous indique Wilfrid Eon, chef du service traitements des archives et de la diffusion numérique. Comme on est face à un papier qui peut être par moments acide, qui se désagrège avec le temps, il est nécessaire de pouvoir réaliser ce travail sur les prochaines décennies. » Pour mener à bien ce projet, une évaluation de temps et d’argent a été menée. Face à l’ampleur de la tâche – environ 6 300 dossiers – une étude de faisabilité a conclu à la mise en place d’une numérisation à la demande, en plus d’une numérisation systématique et chronologique.
La numérisation à la demande
Il a été rendu possible le fait de demander la numérisation de n’importe quel dossier de procédure des assises de Seine-et-Oise pour la période 1811-1940. Un délai de six semaines est indiqué avant de recevoir les documents scannés. Mais tout ne peut pas être communiqué, encore moins diffusé. C’est à Vanessa De Meerler, responsable des recherches à distance au sein des archives des Yvelines, qu’incombe cette mission. Elle épluche alors chaque pièce pour établir la communicabilité d’un dossier. Son analyse détermine par exemple si le document contient des données sur des mineurs ou s’il contient des données médicales. Les articles L. 213-1 et L. 213-2 du Code du patrimoine et les articles L311-1 à R311-8-2 du Code des relations entre le public et l’administration précisent ces délais spécifiques. « Les dossiers qui vont dater du début du XIXe siècle sont entièrement communicables, dit-elle. Dans ce cas, je dois contrôler et vérifier que toutes les pièces du dossier sont bien à l’intérieur. En revanche, quand vous arrivez sur des dates du XXe siècle, il faut que je m’assure que le dossier est communicable mais aussi diffusable. On ne diffuse pas des documents qui ont moins de cent ans. S’il y a des données médicales, il faut que je m’assure que la personne concernée est décédée depuis plus de vingt-cinq ans, pour être sûr que le dossier soit communicable dans sa globalité. Dans le cas contraire, j’émets des réserves. On peut retirer des documents ou alors le dossier n’est communicable que sur dérogation. En l’occurrence, ce n’est pas encore arrivé. » Les archives des Yvelines ont ainsi décidé de ne pas diffuser les dossiers au-delà de 1910.
Une numérisation pour tous et toutes
Les profils des personnes qui effectuent des requêtes de numérisation sont très variés mais ne font apparaître, pour le moment, aucun avocat ou magistrat. Les demandes sont notamment faites par des personnes qui établissent leur arbre généalogique. « Une personne va tomber sur un de ses ancêtres qui s’est retrouvé devant la cour d’assises, donc il ou elle fait une demande de numérisation. Nous en avons régulièrement », précise Vanessa De Meerler. D’autres rédigent des thèses et ont besoin d’avoir accès à ces sources, comme cette doctorante travaillant sur les empoisonnements à l’arsenic ou une autre ayant fait uniquement des demandes pour des condamnations pour vol avec violence. « Nous avons également eu une demande d’une association d’histoire locale. Nous avons une personne qui nous fait des demandes régulières sur les grossesses et les abandons d’enfants. Puis sa recherche s’est élargie aux dossiers de procédures de l’attentat à la pudeur et les infanticides. Nous avons aussi des professionnels de l’identité judiciaire. A priori, les dossiers d’assises de la Seine sont perdus donc ceux de la Seine-et-Oise représentent une belle richesse à ce niveau-là. Ces professionnels s’intéressent aux prémices de l’identité judiciaire », ajoute-t-elle.
Le contenu des dossiers
Chaque boîte conservée aux archives peut contenir un à dix dossiers de procédure. Pour identifier le dossier, le site internet propose un onglet dédié aux « affaires criminelles et policières de Seine-et-Oise ». Chaque dossier contient des pièces de formes de base, des interrogatoires, des témoignages et, plus rarement, des plaidoiries. Vanessa De Meerler doit avoir un œil bien aiguisé pour déchiffrer certaines écritures manuscrites particulièrement complexes. Parfois, des dossiers manquent, comme celui du procès de Zola à Versailles. La période 1908-1914 est aussi particulièrement lacunaire. Y a-t-il eu destruction ou égarement ? Nul ne le sait. Pour les grandes affaires, le contenu de l’affaire Landru est accessible, mais pas l’affaire Weidmann qui n’est pas encore communicable. Ces archives portant sur des affaires criminelles, certaines pièces comme des photographies ou des témoignages détaillés peuvent heurter. Le service des archives a donc pris la décision d’informer et de prévenir dans ces cas-là. « Mon métier est de tout éplucher, dit Vanessa de Meerler. C’est particulièrement difficile quand je dois affronter les crimes sur des enfants. Quand on tombe sur des clichés violents, on se dit que le lecteur ou la lectrice derrière son écran sera aussi choqué que nous. » Ces documents sensibles font alors l’objet d’une demande spécifique supplémentaire.
Avec 80 demandes faites pour l’année 2024 (comparé aux 50 faites en salle de lecture avant la numérisation à la demande), l’opération est un succès. Au total, ce sont 541 dossiers qui ont été numérisés entre octobre 2023 et octobre 2024, soit 8 % du total, représentant quelque 92 000 pages. Avec une demande des usagers qui augmente de mois en mois, Wilfrid Eon se félicite de cette décision qui rencontre son public : « C’est très valorisant. Le seul problème aujourd’hui, c’est le fait que nos budgets ont fondu. Les contrariétés budgétaires sont un énorme frein. »
Référence : AJU016p5