« La présence de l’avocat dès le dépôt de plainte est une avancée pour les victimes »

Publié le 03/03/2023
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Le 24 janvier, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) est entrée en vigueur. Son article 13 introduit un nouveau droit effectif : celui d’être assisté(e) d’un avocat dès le dépôt de plainte. L’aboutissement d’un combat porté pendant plus d’un an par Rachel-Flore Pardo et Karen Noblinski, avocates pénalistes au barreau de Paris et engagées auprès des femmes victimes de violences.

Actu-Juridique : Quelle est l’origine de cet amendement ?

Rachel-Flore Pardo : En fin d’année 2021, le mouvement « double peine » a dénoncé les conditions d’accueil et de prise de plainte dans certains commissariats. Dans ce cadre, Karen Noblinski et moi-même, toutes deux avocates pénalistes accompagnant régulièrement des femmes victimes de violences, avions rédigé une tribune dénonçant l’aléa du traitement des plaintes par la police et la gendarmerie. Nous avions évoqué pour la première fois la nécessité d’un véritable droit à un avocat dès le dépôt de plainte. À partir de là, nous avions commencé un travail militant, soutenu par une centaine d’avocats, dont Julie Couturier et Vincent Nioré, nos bâtonniers actuels. Nous avons repris notre plume pour formuler à nouveau cette proposition jusqu’à obtenir cet amendement voté mi-novembre à l’Assemblée nationale. Avec l’adoption de cette loi, c’est un an de combat qui a abouti.

Karen Noblinski : Le mouvement « double peine » avait levé le voile sur des sujets connus du grand public et des institutions, mais dont on parlait trop peu. De nombreuses femmes se sont saisies de l’opportunité créée par ce mouvement pour dénoncer les conditions de prise en charge dans les commissariats. Elles disaient qu’elles y étaient parfois mal reçues, et que souvent l’article 15.3 du Code de procédure pénale n’était pas respecté : on ne recueillait pas leurs plaintes sur le champ et on leur demandait de revenir plus tard ou d’aller dans un autre commissariat censé être plus compétent. Pourtant, la loi française permet de déposer plainte dans n’importe quel commissariat, quel que soit votre lieu de domicile. En partageant nos expériences avec d’autres avocats pénalistes, nous avons réalisé que cela nous était arrivé plusieurs fois que l’on nous demande de sortir pendant le dépôt de plainte. Certains officiers de police judiciaire étaient méfiants, alors que notre but était de faire une union entre les différents corps de professions qui mènent à la réussite d’une enquête et d’un procès pénal. Nous avons voulu éveiller les consciences et souligner qu’il y avait une imprécision sur la possibilité de la présence de l’avocat. Ce flou pouvait mener à des interprétations arbitraires et variables d’un commissariat à l’autre. Le but de cet appel était de rappeler ce que le Code de procédure pénale prévoit pour réaffirmer les droits des avocats et des plaignants dans le cadre d’un dépôt de plainte. L’adoption de cet amendement par l’Assemblée nationale marque une avancée conséquente pour les plaignants et les plaignantes.

AJ : Que prévoyait le Code pénal au sujet du dépôt de plainte ?

Rachel-Flore Pardo : L’article 10-2 du Code de procédure pénale était imprécis. Il disait que, lors du dépôt de plainte, le ou la plaignante pouvait être accompagné(e) de la personne majeure de son choix. Il ne précisait cependant pas que cette personne puisse être un avocat. Il m’est par conséquent arrivé qu’on m’empêche d’assister ma cliente lors d’un dépôt de plainte. En décembre 2021, cet article a été modifié. Il a été précisé que le plaignant pouvait être accompagné de la personne de son choix, y compris un avocat. Seulement, l’avocat est un auxiliaire de justice. Son rôle n’est pas simplement d’accompagner mais d’assister son client.

AJ : Aujourd’hui, est-il courant que les personnes qui déposent plainte soient accompagnées d’un avocat ?

Karen Noblinski : Nombre de personnes déposent plainte seules chaque jour en France. Néanmoins, dans le cadre des violences sexistes ou sexuelles ou des infractions criminelles, pousser la porte d’un commissariat est périlleux et difficile. L’étape du dépôt de plainte peut prendre du temps et la prise de conscience commence parfois en toquant à la porte d’un cabinet d’avocat. Lors du dépôt de plainte, certaines personnes sont bouleversées et perdent leurs mots, ne sont pas claires, ni précises, ni complètes dans leurs explications. Elles ont du mal à qualifier les faits juridiquement. C’est normal. C’est alors le rôle de l’avocat de permettre au plaignant d’être précis. Sa présence peut permettre des déclarations complètes et la police dispose d’informations spatio-temporelles précises. Tout cela participe de la manifestation de la vérité. Je me dois de préciser que nous ne voulons pas que cette évolution du droit soit obligatoire. C’est une faculté qui s’ouvre à tous. Il faut que chaque personne qui arrive au commissariat puisse disposer de l’aide d’un avocat si elle le souhaite. Il ne doit plus y avoir d’inégalité entre ceux qui connaissent un avocat et ceux qui n’en connaissent pas et déposent plainte dans des conditions qui ne sont pas optimales, ni pour elles, ni pour la justice. L’avocat, en posant des questions et en contribuant à rassurer la victime, peut favoriser le travail des policiers.

AJ : Quel serait le rôle de l’avocat lors du dépôt de plainte ?

Rachel-Flore Pardo : Le cœur de notre proposition est de prévoir pour l’avocat un rôle dès ce stade de la procédure. L’avocat pourra désormais poser des questions et faire des observations, et pourra aider à la manifestation de la vérité. Son rôle doit permettre de mieux garantir le droit des victimes, d’améliorer l’efficacité de la procédure pénale et de favoriser la confiance dans la justice. C’est quelque chose d’essentiel.

Il faut également permettre la prise en charge de l’intervention de l’avocat par l’aide juridictionnelle dès le stade du dépôt de plainte. L’article 10-2 prévoyait que celle-ci ne pouvait être demandée qu’au moment de la constitution de partie civile. Mais il y a, avant cette constitution de partie civile, des étapes déterminantes dans la construction du procès pénal. Le dépôt de plainte en est une, cruciale. Le fait que la prise en charge dès le dépôt de plainte ne soit pas prévue par les textes crée une inégalité manifeste entre les victimes selon leurs moyens. Celle-ci doit être réparée.

Karen Noblinski : Un autre point qui doit être souligné est la notification des droits des plaignants, qui intervient à l’issue du procès-verbal du dépôt de plainte. Jusqu’alors, l’officier de police judiciaire vous notifiait vos droits à l’issue de vos déclarations. Nous nous sommes dit, et d’autres avocats avant nous, qu’il était étonnant de se voir notifier ses droits – à un avocat, à un examen médical, à un accompagnement par une association – si tard. Il est important que cette notification des droits intervienne en amont lorsque la victime arrive au commissariat.

AJ : Comment l’avocat va-t-il être sollicité ?

Rachel-Flore Pardo : Ces questions devront être résolues et confrontées aux moyens des différents acteurs. Nous pourrions nous inspirer des systèmes qui, aujourd’hui, fonctionnent. Nous avons des permanences d’avocats pour les gardes à vue et pour assister des victimes lors des confrontations. Nous pourrions reprendre ce système et l’étendre à l’étape du dépôt de plainte. Comme l’a rappelé Karen Noblinski, il pourrait y avoir cette mention des droits dès l’arrivée au commissariat et qu’on pose la question comme aux gardes à vue : « Souhaitez-vous être assisté(e) d’un avocat ? ».

AJ : Comment ce combat militant est-il devenu un projet d’amendement ?

Rachel-Flore Pardo : Nous avons pris la plume et travaillé pendant un an pour voir de quelle manière ce droit devait être rédigé dans notre code. Nous nous réjouissons que Véronique Riotton, présidente de la délégation sur le droit des femmes à l’Assemblée, s’en soit saisie. Tous les partis partageaient nos questionnements. Ce texte a été voté à l’Assemblée nationale à l’unanimité des députés présents. Cela montre que nous avons mis le doigt sur un véritable dysfonctionnement. Nous poursuivons le combat et restons à la disposition de tous ceux qui voudront travailler à la mise en œuvre effective de ce nouveau droit.

AJ : Avez-vous des retours de la part des policiers ?

Karen Noblinski : Nous n’avons pas eu de retours négatifs de la part des officiers de police judiciaire. J’espère qu’ils nous soutiennent, car notre volonté est de travailler main dans la main avec l’institution policière, dans un contexte où l’enquête peut être longue avant que le parquet ne décide de l’opportunité des poursuites. Les officiers de police judiciaire représentent le premier accès à la justice pour les plaignants. Ils font le lien avec l’institution judiciaire. La position du ministre de l’Intérieur, qui a donné un avis favorable à cet amendement, est peut être révélatrice de l’état d’esprit des policiers et des gendarmes vis-à-vis de ce nouveau droit.

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