Le cabinet Raoult, de l’humanisme avant toute chose

Publié le 26/12/2024

Depuis trois générations, le cabinet Raoult est situé au cœur de la ville de Versailles. Fondé en 1929, par Jean Raoult, il a été repris par son fils Christian, avant d’être à son tour transmis au petit-fils, Philippe, en 2004. Ce dernier intervient dans tous types de contentieux, avec une spécialisation dans la réparation du préjudice corporel. Après presque cent ans de vécu, le cabinet Raoult est resté discret, prônant depuis les débuts une approche humaniste du métier.

Me Jean Raoult

Cabinet Raoult

« Mon grand-père était le premier de la famille à faire des études de droit », se souvient Philippe Raoult. Inscrit au barreau en 1929, Jean Raoult « s’est impliqué pour l’inscription des jeunes confrères au barreau. Il a d’ailleurs été à l’origine de l’Union des jeunes avocats de Versailles ». Celui qui fut très jeune bâtonnier de Versailles (et l’un des plus jeunes bâtonniers de France), a également œuvré pour l’inscription des femmes au barreau. « Il a créé la conférence du stage en 1949. Pour la rentrée de 1951, il a voulu mettre l’accent sur les 50 ans de la loi permettant l’accès des femmes au barreau. Il a voulu donner une résonance à cet événement. » Adjoint au maire de Versailles, Jean Raoult a mené « une carrière brillante » d’après son petit-fils, défendant notamment Eugène Weidmann, un tueur en série allemand, en 1939. « Mon grand-père était très jeune et commis d’office pour le défendre. Tous les ténors n’ont eu de cesse d’essayer de lui « piquer » le dossier. D’autres ont réussi à se faufiler mais Weidmann a toujours conservé pleine confiance en lui, de telle sorte qu’il l’a défendu jusqu’au bout. » Condamné à mort, l’exécution d’Eugène Weidmann fut la dernière en place publique en France. « Ça me fait frémir de m’imaginer à la place de mon grand-père à défendre la tête d’un homme et d’aller jusqu’à l’échafaud. Ce fut terrible. Quand je vais au palais de justice à Versailles j’y pense toujours. »

Le père de Philippe, Christian, prit la suite du cabinet en 1963. « Lui aussi a été bâtonnier de Versailles, avec une ouverture internationale, notamment comme président du conseil consultatif du barreau européen. » Philippe Raoult, qui voulait être journaliste, a finalement choisi la voie du droit et a passé son barreau en 1992. Il travaille une dizaine d’années auprès de son père jusqu’à sa retraite.

Une spécialisation en dommage corporel pour Philippe Raoult

« La justice est pleine et entière quand les victimes peuvent obtenir une réparation du corps et de l’âme », c’est sans doute pour « rétablir un certain équilibre » qu’il s’est tourné vers le droit du dommage corporel, après avoir été secrétaire de la Conférence du stage : « Grâce à ce concours que j’ai remporté en 1994, j’ai eu la possibilité de défendre des gens aux assises pour toutes sortes de crimes. Après cela, j’ai voulu me tourner vers les victimes. » Cet engagement s’est par exemple traduit dans sa participation en tant que membre du conseil de l’ordre à la mise en place d’un protocole entre les associations d’aide aux victimes du département des Yvelines et le barreau de Versailles. « J’ai remarqué avec des confrères du conseil de l’ordre que certains essayaient de tisser des rapprochements avec des associations pour tenter de récupérer des dossiers, ce que je ne trouve pas correct. De même, certains vont distribuer leur carte de visite dans les lits d’hôpitaux, ce que je trouve intolérable. J’ai voulu mettre de l’ordre là-dedans lorsque j’étais au conseil. Nous avions réussi à signer un protocole d’accord avec ces associations pour que les personnes en souffrance et en besoin d’avocat soient dirigées vers le barreau et non pas vers un cabinet en particulier. Pour que les choses soient claires et sans copinage. »

L’idée est de réduire le risque d’avoir en face de soi des avocats qui n’auraient pas forcément les compétences requises. La contrepartie de cet accord est de permettre à l’ordre de diriger les personnes en demande vers des confrères ou consœurs spécialisés ou qui s’engagent à suivre une formation continue sur le droit du dommage corporel. « Si vous tapez « avocat victime » sur internet, vous trouvez tellement de gens qui s’autocongratulent de spécialités ou de compétences qu’ils n’ont pas ! Cette contrepartie répond à un souci d’excellence et de compétence du barreau de Versailles vis-à-vis du justiciable. »

Transmission et évolution

Nostalgique d’un temps où les audiences physiques étaient plus nombreuses et les contacts plus chaleureux entre confrères et magistrats, Philippe Raoult n’est pour autant pas bloqué dans le passé. Bien au contraire, cet enseignant à l’école des avocats de Versailles (HEDAC) aime « transmettre aux jeunes ». L’une de ses fiertés est d’avoir créé la revue de l’Union des jeunes avocats, un spectacle satirique qui a lieu tous les deux ans. « C’est un ciment. Avant on se retrouvait après nos audiences pour partager nos expériences, on était un barreau très uni. Tout cela se disloque parce qu’on est enfermé dans la solitude de nos cabinets. Il faut œuvrer pour trouver d’autres moyens, la revue en est un, elle permet de tisser des liens, de se connaître et de s’enrichir de l’expérience des autres. » Philippe Raoult le répète, c’est « l’humanisme » qui l’anime, et « la transmission ». Il lui fallait donc trouver une personne qui rejoigne ces valeurs pour s’associer avec lui. C’est le cas de Ludovic Tardivel, depuis 2021. Spécialiste lui aussi du droit du dommage corporel, il est membre de la commission formation et enseigne la procédure civile au Centre régional de formation professionnelle des avocats depuis treize ans. « Je gère avec lui le cabinet depuis quatre ans car l’exercice seul n’était plus un modèle viable. » Face à la concurrence, l’important était de conserver ses valeurs tout en faisant évoluer le cabinet. « L’aura du cabinet Raoult est importante, poursuit Me Tardivel, avec sa structure à taille humaine. C’est un modèle particulier qui se développe un peu différemment depuis quatre ans. Ça me tenait à cœur de le rejoindre pour sa dimension historique et son rapport à la profession d’avocat. On doit garder cela et ne pas être de simples chefs d’entreprises. Ce cabinet a sanctuarisé cette conception du métier, même si on ne peut faire fi de la réalité économique et financière de la structure. »

Avec un regard sur trois générations d’avocats, installés dans la même ville depuis presque un siècle, le cabinet Raoult a vu le métier changer. « Mon grand-père évoluait dans l’insouciance de l’équilibre financier de son cabinet. Aujourd’hui, nous sommes devenus des chefs d’entreprise, assommés par les charges. Les gens ont moins de moyens et nous devenons inaccessibles. À raison des vicissitudes économiques, un fossé se creuse. L’essence de notre métier, la défense des libertés fondamentales, ce souci de justice, s’effacent parfois derrière des considérations consuméristes. Le cabinet qui se consacre à la défense des libertés fondamentales ne sera pas le plus riche du barreau, tant pis ! J’aimerais pouvoir évoluer plus sereinement comme le faisaient mon grand-père et mon père. » Unique à Versailles, le cabinet Raoult possède deux spécialistes du dommage corporel. Philippe Raoult se dit « ravi de cette formule parce que c’est un métier qu’on ne peut plus exercer seul, et pour lequel il est essentiel de trouver une association ».

Alors que l’entretien touche à sa fin, une discussion avec son père lui revient en mémoire. Lors de son inscription au barreau, le 14 décembre 1992, il lui avait dit : « Philippe, tu es quelque chose, maintenant il faut que tu deviennes quelqu’un. » Cette phrase l’a suivi tout au long de sa carrière. « J’avais un nom, il fallait que je me fasse un prénom. Quand vous commencez à travailler avec votre père, comme tout débutant vous ne savez rien mais lui pense que vous savez tout. Je ne pouvais pas compter sur lui pour des choses basiques, parce que dans son esprit je devais le savoir naturellement. C’est sa collaboratrice, Valérie Utter-Guiraud, qui m’a appris les ficelles du métier. Elle est d’ailleurs toujours ma collaboratrice. Je lui en suis reconnaissant, voilà trente ans que nous travaillons la main dans la main et j’en suis fier. Quand je vois des jeunes pressurisés, parfois mal considérés, ça me fait du mal, alors je suis heureux de voir qu’ici l’équipe évolue sereinement. Ce n’était pas facile de se faire un prénom. » Celui qui n’est plus « le fils de », a « coupé le cordon » parce qu’il n’a « pas d’enfants susceptibles de reprendre le cabinet ». Mais, dit-il, « j’ai trouvé un brillant associé qui assure la continuité et une jeune et précieuse collaboratrice, Léa Matoug qui est remarquable et a la même conception humaine de la profession que moi. Elle vient d’être élue brillamment à la commission jeune barreau. J’en suis fier, son avenir est prometteur, les confrères ne s’y sont pas trompés. » Quant à se présenter un jour à l’élection du bâtonnat, très peu pour lui, il préfère œuvrer dans l’ombre.

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