Le CNB montre sa patte arc-en-ciel
Le 24 juin dernier, le Conseil national des barreaux a défilé dans les rues de Paris à l’occasion de la Marche des fiertés. Une démarche qui n’est pas anodine pour l’institution.
C’est à l’occasion des manifestations du 1er mai qu’eut lieu la première marche des fiertés à Paris, c’était en 1977. Comme outre-Atlantique, où la première Gay Pride suivit le raid de la police contre le Stonewall Inn, la marche française est apparue dans un contexte de contestation sociale. En 2023, le contexte aussi était à la lutte : la France est passée de la 7e à la 10e place des pays européens les plus engagés en faveur d’une pleine égalité pour les personnes LGBTQI+ selon l’ILGA Europe.
En 2022, d’après le bilan annuel du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, les services de police et de gendarmerie ont enregistré 4 040 atteintes « anti-LGBTQ+ », 2 420 crimes ou délits et 1 620 contraventions. Les personnes LGBTQI+ ont toujours plus besoin de se battre pour leurs droits… et d’être défendus.
Montrer le soutien de l’institution judiciaire
Pour être au plus près de ce besoin, cela fait 4 ans que le Conseil national des barreaux (CNB) prend part à la marche traversant la capitale. Florence Nèple est présidente de la commission égalité du CNB. Depuis 2015, la commission propose des actions de terrain « pour sensibiliser à l’égalité et faire cesser les mentalités et comportements discriminants », propose des outils de formation « pour intégrer, entre autres, la démarche de genre, d’égalité professionnelle ou de responsabilité sociétale dans toutes [leurs] actions », « décline auprès des pouvoirs publics une position commune de la profession en matière d’égalité », et multiplie les partenariats avec la société civile comme le Défenseur des droits, les universités ou des centres de recherche.
« Très vite, ces actions ont généré une réflexion autour de la lutte contre les discriminations, quelles qu’elles soient, puis plus spécifiquement concernant les personnes LGBTQ+. Nous avons publié un guide de lutte contre le harcèlement et la discrimination, en mars 2023. La commission a également été sollicitée lors de la loi de novembre 2016 facilitant le changement d’état civil pour les personnes transgenres ». Le CNB a aussi été sollicité par le ministère de la Justice pour tirer un bilan – avec la Dilcrah – de cette loi. Enfin, la Thaïlande a approché le Conseil national des barreaux pour travailler sur un projet de loi sur le mariage pour tous (une élue du CNB s’est rendue dans le pays en tant que soutien juridique).
Faire de la prévention au sein même de la profession
Logique donc que, le CNB et avec lui la commission égalité se rende tous les ans à la Marche des fiertés et par là même soutienne la population LGBTQ+. Et ce ne sont pas que des préservatifs estampillés « les avocats vous protègent » que les bénévoles distribuent. « Depuis 2019 on s’allie avec l’association française des avocats LGBT et le barreau de Paris pour montrer que les avocats sont à même d’accompagner les personnes victimes de violences ou de discriminations, mais aussi pour le droit des familles. Beaucoup de personnes sont en demande de renseignements », explique Florence Nèple.
Mais la présidente de la commission égalité insiste sur le fait que la présence du CNB à la Marche des fiertés a aussi pour but de changer les choses à l’intérieur de la profession. Pour améliorer la connaissance sur les dossiers particuliers concernant les personnes LGBTQ+ : « on organise une formation à destination des avocats pour leur donner des bases sur là où en est le droit pour les personnes LGBTQ+ et leurs familles, par exemple. Il existe beaucoup d’avocats militants qui interviennent auprès d’elles, mais il serait idéal que tous les professionnels aient les bases pour accueillir correctement toutes les personnes dans les cabinets, par exemple ». La professionnelle pointe aussi du doigt l’urgence pour les professionnels de la justice concernés, que la profession ouvre son esprit. « Je pense qu’il y a encore une certaine méconnaissance voire une certaine résistance dans la profession. C’est pour cela qu’on en parle, qu’on est présents à la Marche, pour vaincre les réticences… il y a encore beaucoup de personnes qui se cachent, qui n’osent pas évoquer leurs vies ou leurs familles autour de la machine à café ce qui est dommageable pour tout le monde », souligne-t-elle.
Un véritable réseau de professionnels de la justice LGBTQ+
C’est dans cet esprit que plusieurs réseaux ont été montés ces dernières années dans le double objectif d’aiguiller le public LGBTQ+ vers des professionnels bienveillants et de permettre aux professionnels LGBTQ+ de trouver du soutien dans un secteur parfois très conservateur. En 2013, Stéphane Cola, militant et spécialiste du web, avait créé le réseau des avocats, médecins et notaires gay friendly regroupant un carnet d’adresses de plus de 600 noms à travers toute la France. L’objectif était d’apporter aux personnes confrontées à des discriminations dans plusieurs domaines (logement, santé, travail, famille) les professionnels adéquats.
En 2018, c’est à l’initiative de quatre avocats des barreaux de Paris et de Marseille, que l’association française des avocats LGBT (AFA LGBT+) a vu le jour. Elle a pour ambition de porter la voix des professionnels LGBT dans les instances professionnelles, d’être un interlocuteur concerné pour les médias, les organismes ou institutions politiques travaillant sur des questions touchant les droits des personnes LGBT. Depuis sa création, l’Association a développé un pôle Entraide, qui assure des permanences gratuites, mais aussi un pôle de réflexion pour émettre des avis sur divers projets de loi et organise des formations à l’attention des confrères et des consœurs, des directions juridiques (en droit du travail, en droit pénal, etc.). Selon le coprésident de l’association Guillaume Marquis, d’autres associations, des parlementaires, des ministres et même le Conseil d’État ont contacté l’association « en [leur] disant: « Génial, nous allons pouvoir trouver des juristes qui ont une appréciation fine et une connaissance approfondie de ces sujets » » !
L’association propose aussi tous les deuxièmes mardis du mois des rencontres conviviales dans le IXe arrondissement parisien : de quoi constituer un écosystème vertueux pour rendre plus légères, dans les allées des tribunaux, les conversations du lundi matin.
Référence : AJU009p2