Le prix Gisèle Halimi récompense l’éloquence au féminin

Publié le 28/06/2017

Le 12 mai dernier, la Fondation des femmes, structure qui collecte des fonds et offre des conseils juridiques aux associations de défense des femmes, organisait le premier concours d’éloquence à la Maison du barreau de Paris. Six candidates talentueuses, venues d’horizons divers, se sont livrées à une joute oratoire pour dénoncer les discriminations sexistes devant un jury de personnalités engagées pour l’égalité entre les sexes. En fin de soirée, la gagnante a remporté le prix Gisèle Halimi, devant un public venu en masse.

Visible depuis le Pont neuf, la foule cachée sous des parapluies s’étend presque jusqu’au Quai de l’Horloge. À l’entrée de la Maison du barreau, ça négocie sec ! Sept cent personnes se sont inscrites pour assister à la première édition du prix Gisèle Halimi, or la salle ne peut en accueillir que deux cent cinquante. La situation est inédite, les personnes chargées de l’accueil sont débordées et un rien tendues. Maïmouna Haïdara, élève avocate, coordinatrice de la force juridique à la Fondation des femmes et chargée d’organiser la soirée, se confond en excuses. « Je suis désolée, nous sommes complètement dépassés par notre succès », explique-t-elle. « Généralement les gens réservent mais ne viennent pas tous», justifie l’étudiante, un peu fébrile, auprès de ceux, nombreux, qui devront rester dehors.

Quelques minutes plus tard, Maïmouna réapparaît, rayonnante en blouse en wax mauve et jaune, devant l’estrade sur laquelle les candidates au prix Gisèle Halimi vont bientôt livrer leur prestation. Visage encadré par de longues tresses ramassées en demi-queue de cheval, elle félicite ceux qui ont fini par obtenir une place assise sur un strapontin. « Si vous êtes ici, c’est que vous avez déjà gagné un sacré combat », plaisante-t-elle. Pour les autres, les ultra-motivés qui ne renonceront pas au concours, dussent-ils le regarder assis en tailleur à même le sol, un modeste écran a été installé à l’entrée de la Maison du barreau. Pour eux, puis pour les participants au concours, Maïmouna, parfaite en chauffeuse de salle, réclame « un tonnerre d’applaudissements ».

Geneviève Garrigos, présidente de l’association de soutien de la Fondation des femmes, organisatrice de la soirée, est la première à prendre la parole devant ce public très mobilisé. La soirée, explique-t-elle, vise à mettre en avant l’éloquence au féminin. « Le verbe est encore l’apanage masculin, ce qui exclut les femmes de la cité et les relègue au foyer et à leur babillage », constate-t-elle, avant d’évoquer celles qui ont su briser cette tradition discriminatoire : Monique Antoine et Colette Auger, avocates proches du MLF, et bien sûr, Gisèle Halimi, dont le concours d’éloquence porte le nom. En défendant la mère d’une fille tombée enceinte après un viol lors du célèbre procès de Bobigny, l’ avocate a ouvert la voie à la dépénalisation de l’avortement, rappelle-t-elle. Geneviève Garrigos profite également de la tribune pour présenter l’association. « La Fondation des femmes, c’est un soutien matériel, car l’association finance des projets comme Gynécologie sans frontière, qui aide par exemple les femmes migrantes à Calais. C’est aussi une force juridique. Quatre-vingts avocats travaillent pro-bono pour faire entendre les droits des femmes ».

Vers 20h30, avec une petite heure de retard, le jury entre enfin en scène. La première personne à franchir la porte  est un homme, le vice-bâtonnier élu, Basile Ader. « Il est né un 8 mars et est engagé pour l’égalité homme-femme au barreau de Paris », précise Maïmouna. Suivent Dominique Attias, « vice-batonnière qui a lutté pour son “e” final », l’avocate Valence Borgia, présidente d’honneur de l’UJA et membre de l’équipe juridique de la Fédération des femmes, la comédienne Noémie de Lattre, la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert, et enfin la journaliste et animatrice Audrey Pulvar, présidente du jury de cette première édition.

Élève avocate se destinant au pénal, Alba Horvat est la première candidate à prendre la parole. Silhouette gracile, visage encadré d’un sage carré blond, elle intervient sur le thème : « Mais vous étiez habillée comment ? ». Pour dénoncer la culture du viol, elle raconte l’histoire de Nathan, 18 ans, abreuvé d’images lascives dans le métro et de porno sur internet, qui a rendez-vous avec Agathe, rencontrée sur Tinder. Nathan, n’est pas un méchant garçon, mais, l’alcool aidant, il devient à force d’insistance et de gestes déplacés un « violeur insidieux » comme il en existe tant. « Quatre-vingt pour cent des viols sont commis par des proches de la victime. Comme le dit Marlène Schiappa, on apprend aux filles à ne pas se faire violer, mais pas aux hommes à ne pas violer ». Alba Horvat termine son histoire en rappelant fermement ce qui devrait relever de l’évidence : « Aucune jupe, aucun verre, aucun baiser ne justifie jamais de se passer du consentement. Notre mission est de sensibiliser à cela nos cousins, nos frères, nos amis, tous les hommes de notre entourage ».

L’artiste Fatima Benomar prend ensuite la parole. Invitée à intervenir sur le thème : « Eh, mademoiselle ! », elle dénonce, dans un poème en rime très joliment écrit, les pressions subies dans les rues du Maroc à Paris. Après avoir décrit la situation, elle invite à bien nommer les coupables, pour bien les identifier. « Nous ne sommes pas sifflées par des chaussées, des rues et des avenues », assène-t-elle, remettant en cause le terme même de « harcèlement de rue ». Le responsable de ces comportements, estime-t-elle, n’est autre que le « patriarcat », système qui donne aux femmes cette « identité détestable de n’être qu’une proie ».

Ancienne secrétaire de la Conférence du stage, Anne-Sophie Laguens est la première avocate à s’exprimer ce soir-là. Elle livre une performance remarquable, maniant humour et drame avec un entrain et une gouaille digne d’Édith Piaf. Elle intervient pourtant sur l’excision, sans doute le sujet le plus lourd de la soirée. Elle commence toutefois par oser la farce, s’imaginant elle-même se faire exciser après un week-end trop alcoolisé. C’est risqué, mais maîtrisé. « Ce n’est plus la peine de perdre du temps dans une quête de plaisir. Il faut gagner plus pour travailler plus, en marche, au trot, au galop !… C’est bien, finalement, de ne plus rien sentir, de devenir un peu transparent », ironise-t-elle, provocatrice. « Il paraît qu’il faut en passer par là pour trouver un mari, un homme qui restera ». L’assemblée rit franchement, mais s’arrête net quand l’avocate attaque la seconde partie de son réquisitoire, où il est question de douleur, de draps souillés, de « femmes motus et lèvres cousues ». La conclusion, tout en nuance, interroge sur le sens même de ce type de concours, « depuis la confortable île de la Cité » et remet la femme brisée au cœur de la réflexion. « Que doit-on lui dire ? Qu’elle est une arriérée ? Qu’elle n’est pas condamnée, et est tout autant femme avec un berlingot fantôme qu’avec un bras en moins ? Qu’elle est une survivante ? », demande-t-elle au public. Drôle et émouvant, son discours sera l’un des moments forts de la soirée. 

Sur les bancs, le public, majoritairement jeune et féminin, est songeur. Même lorsque l’on est conscient des vexations, humiliations et abus dont toutes les femmes sont un jour victimes, à échelle diverse, la succession d’interventions a de quoi donner le tournis. Maïmouna suggère, après ces trois interventions, de faire une pause pour prendre le pouls du jury. Celui-ci est plus qu’emballé. Anne-Cécile Mailfert se dit « épatée par les trois premières concourantes ». Audrey Pulvar, visiblement très enthousiaste, trouve « formidable » de parler de ces « choses réelles et pas souvent évoquées ». Valence Borgia salue, à raison, « des éloquences très différentes les unes des autres mais très puissantes, qui montrent que le féminisme est à la fois espiègle, impertinent et bouleversant ». Basile Ader, admiratif et lucide, anticipe : « on va avoir du mal à délibérer… ». La plus en colère est Dominique Attias, manifestement « complètement prise aux tripes ». « Je sentais la rage monter », avoue la vice-batonnière, le visage grave. « On vit ce que vivent ces femmes. Tout cela est tellement banalisé que lorsque ces femmes parlent, on reprend tout dans la gueule. On ne peut plus rien accepter de tout cela ».

Le concours reprend avec Leila Alaouf, étudiante en lettres à la Sorbonne, révélée il y a peu par le concours d’art oratoire Eloquentia organisé à Paris VIII par l’avocat Bertrand Périer. Aujourd’hui, connue comme blogueuse féministe, elle intervient sur le sexisme ordinaire, avec un sujet intitulé : « Le masculin l’emporte ». Elle qui portait le voile pendant de longues années – dont elle ne renie rien – arbore désormais une magnifique chevelure brune lâchée sur les épaules. Son discours pugnace et provocateur contraste avec la douceur de son visage. « Permettez-moi d’être votre bonne conscience basanée de la soirée », entame-t-elle, avant de raconter sa propre expérience, dans laquelle sexisme et racisme se sont souvent entremêlés. « Nous, femmes, minorées et racisées, n’avons pas choisi nos combats, ils se sont imposés à nous », affirme-t-elle sur un ton très calme et posé. Son texte, allusif et poétique au risque d’être parfois difficile à suivre, est émaillé par un slogan qui revient comme un refrain. « S’aimer est hautement politique et nous entrons en résistance ».

Deuxième avocate à concourir, Beryl Brown entame son discours par un retentissant « Salope ! ». La pénaliste en tailleur gris et chignon strict, qui emprunte ce vocabulaire aux blogueurs désinhibé par l’anonymat du web, précise « Ça claque comme ça dans l’air, comme une gifle ». Elle intervient sur le cyberharcèlement et le revenge porn, et se livre à un recensement non exhaustif des atteintes sexistes présentes laissées sur la toile par des inconnus frustrés ou des figures célèbres, comme le président américain Donald Trump. Elle interprète son texte tel une comédienne, ménageant des silences, laissant poindre sa colère. « Ce ne sont que des mots sur un clavier, mais les mots, ça reste. Les mots, ça blesse », souligne-t-elle.  

Dernière participante de la soirée, l’humoriste Chloé Ponce-Voiron, invitée à développer le thème « Moi, présidente de la République » entame sa prestation en fredonnant le tube de Michel Sardou, Femmes des années quatre-vingts. Dans cette chanson, Sardou, « voyageant en absurdie », imagine des femmes au pouvoir, systématiquement en posture érotique. La jeune trentenaire se rappelle de cette chanson qu’elle entendait enfant à la radio, sans la comprendre vraiment, puis se livre à un examen à l’humour corrosif des poncifs sexistes contenus dans ce titre. « Je fais partie de ces femmes qui ont de l’ambition, qui ont bénéficié de l’acharnement des précédentes… Vive la République, et vive les meufs », finit-elle par répondre à Michel Sardou, sous les applaudissements d’une assistance aussi hilare que conquise. Le public peut cette fois rire de bon cœur, sans arrières pensées.

Sa prestation espiègle lui vaudra un prix coup de cœur du jury. Le prix Gisèle Halimi sera, lui, décerné à la première candidate, l’avocate Alba Horvat, à l’issue d’une délibération que l’on imagine volontiers difficile.

LPA 28 Juin. 2017, n° 127d2, p.3

Référence : LPA 28 Juin. 2017, n° 127d2, p.3

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