Le TGI de Paris à J-84 du Big Bang

Publié le 07/02/2018

Jean-Michel Hayat a présidé le 22 janvier 2018 la dernière rentrée solennelle du TGI de Paris sur l’Île de la Cité. À cette occasion, il a sollicité l’indulgence pour les difficultés qui pourraient surgir dans les semaines à venir compte-tenu du Big Bang que représente le déménagement.

C’est avec émotion que Jean-Michel Hayat a présidé la dernière rentrée solennelle du TGI dans le palais de l’Île de la Cité. Pour autant, on chercherait en vain une once de nostalgie dans son discours. Le président du TGI de Paris est depuis des mois un fervent promoteur du nouveau palais de justice, dont il a eu largement l’occasion de mesurer le confort et la fonctionnalité en préparant l’installation de son tribunal dans ses nouveaux locaux. C’est donc résolument tourné vers l’avenir qu’il a présidé cette dernière rentrée en concentrant son discours sur les réformes à accomplir, tant concernant la procédure dans le cadre des chantiers de la Chancellerie que s’agissant de l’organisation de son tribunal.

Un véritable retour à la collégialité ?

Plusieurs des propositions du rapport piloté par Frédérique Agostini et Nicolas Molfessis sur la procédure civile remis à la Chancellerie le 15 janvier dernier répondent aux souhaits de réforme émis par le TGI de Paris. À commencer par la réorganisation de la procédure civile visant à imposer aux parties de produire l’ensemble de leurs arguments et de leurs pièces dès le début pour fixer le litige. Un autre souhait de Jean-Michel Hayat que l’on retrouve dans le rapport consiste à opérer une césure dans le procès. Le juge se limiterait à trancher la question de droit, renvoyant les parties à la médiation pour en tirer les conséquences pratiques. De même, le président plaide pour une réforme améliorant la gestion des dossiers sériels, qu’il décrit comme « les dossiers qui posent des questions identiques mais qui sont pendants devant plusieurs juridictions, mais aussi les dossiers dans lesquels plus de 20 demandeurs assignent le même défendeur envers lequel les demandes sont identiques ou quasiment semblables ». Il s’agit de créer un « dossier-pilote » qui serait jugé en trois mois dans le cadre d’un circuit prioritaire tandis que les autres feraient l’objet d’un sursis à statuer. Une fois le dossier-pilote définitivement tranché, les parties des autres dossiers seraient invitées à recourir à la médiation sur la base de la décision déjà rendue. Autre réforme souhaitable, le renforcement du principe de l’exécution provisoire pour les décisions de première instance. Mais Jean-Michel Hayat a mis en garde : « Ce principe qui ne pose pas problème en soi ne peut être envisagé, sans que soit concrétisé un véritable retour à la collégialité, mais cela passera par une politique résolue de résorption des vacances d’emploi qui ont franchi, au TGI de Paris, pour le siège non spécialisé, le taux de 15 % » !

Six mille jugements de débouté complet chaque année

Enfin, il a évoqué les 6 000 jugements de débouté complet rendus chaque année par l’ensemble des formations civiles. Un chiffre qui pose à ses yeux la question du coût pour la justice de ces actions infondées. « Si l’accès à la justice doit rester gratuit, convient-il, « est-il politiquement et judiciairement incorrect de soutenir que celui qui a initié une procédure ayant abouti à un débouté complet en paie le prix, même forfaitisé ? ». Au chapitre des projets qui concernent la juridiction, il a annoncé la création en septembre 2018 d’un pôle économique et commercial, composé d’une trentaine de magistrats, qui traiteront les contentieux de la propriété intellectuelle, des brevets d’invention, des dessins et modèles communautaires, du droit bancaire, des baux commerciaux, des loyers commerciaux. En matière pénale, seront créés, également en septembre un 12e cabinet d’instruction au pôle antiterroriste de l’instruction et un 12e JLD qui « va permettre au service qui a rendu l’année dernière 22 000 décisions, de bénéficier de conditions de travail plus satisfaisantes ». S’agissant enfin du déménagement, il a prévenu que le tribunal fonctionnerait au ralenti à compter du 1er avril et jusqu’à la mi-mai et il a en conséquence sollicité l’indulgence et la bienveillance de tous durant les semaines qui viennent car « il y aura forcément des retards ici ou là, des couacs, des bugs, des pépins, des difficultés inattendues »…

L’obstacle de la CJUE

De son côté, le procureur François Molins a axé son intervention sur le terrorisme. Le parquet de Paris suit actuellement 489 dossiers d’enquête et d’information concernant 1 533 personnes dont 432 mis en examen et 277 placés en détention. La nouvelle menace a-t-il expliqué concerne les revenants sachant que 676 Français se trouveraient en Syrie, parmi lesquels 295 femmes. Or, a souligné le procureur, si les femmes ont longtemps été cantonnées à des tâches marginales et subalternes, aujourd’hui elles sont appelées à participer, de même que les enfants, au djihad armé. « Dans ces conditions, a expliqué François Molins, nous devons nous garder de toute naïveté, de tout angélisme, dans le traitement de ce problème qui, en cas d’arrestation en Irak ou en Syrie d’hommes, de femmes et d’enfants, doit être effectivement résolu au cas par cas, de façon pragmatique et responsable, dans le respect des règles de droit et de procédure mais aussi de la souveraineté des États sur le territoire desquels ils ont été arrêtés et qui ont le droit de décider de les juger là où ils ont commis leurs forfaits ». François Molins a confié son inquiétude à propos d’un arrêt de la CJUE du 21 décembre 2016 qui restreint la possibilité pour les États membres d’exiger la conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation. Ils peuvent prévoir une conservation ciblée de ces données pour lutter contre la criminalité grave, mais cette conservation doit être limitée au strict nécessaire. Or, selon François Molins, les enquêteurs ont besoin d’accéder à ces données qui ne concernent pas le contenu des messages mais leur circulation. C’est notamment cette exploitation qui a accéléré l’enquête sur l’attentat du Bataclan. Sans remettre en cause l’importance de la vie privée, le procureur estime que cette protection ne saurait être absolue : « L’équilibre à trouver est subtil, certes, mais une protection caricaturale des données personnelles aurait pour conséquence immédiate un affaiblissement des autorités chargées d’identifier et de poursuivre les auteurs de crimes ».

 Le PNF a rapporté à l’État 522 millions en 2017

Enfin, Éliane Houlette a dressé elle aussi son bilan d’activité. Le parquet national financier (PNF) gère aujourd’hui 478 procédures, dont 38 abus de marché, 207 atteintes aux finances publiques, 235 atteintes à la probité. En 2017, le montant total des amendes, condamnations et confiscations prononcées s’élève à 788 millions d’euros, dont 522 ont déjà été versés dans le budget de l’État ou saisis à titre conservatoire. Par comparaison : le montant cumulé des peines d’amendes fermes prononcées par l’ensemble des tribunaux correctionnels en France s’élevait, en 2015, à 227, 9 millions d’euros, a souligné Éliane Houlette. Elle a également rapporté les 788 millions au coût estimé du PNF, soit 4 millions par an correspondant à la rémunération de 18 magistrats, 11 fonctionnaires, 5 assistants spécialisés, 2 adjoints techniques ainsi qu’au paiement du loyer et des frais de justice.

L’affaire la plus significative traitée en 2017 concerne la première convention judiciaire d’intérêt publique créée par la loi Sapin 2 conclue le 30 octobre et homologuée par le président du TGI de Paris, le 14 novembre. HSBC Private Bank a accepté de payer une amende de 300 millions d’euros en échange de l’abandon des poursuites pour démarchage illicite et blanchiment de fraude fiscale aggravée. Éliane Houlette n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. Son objectif consiste désormais à faire sauter le « verrou de Bercy », cette procédure au terme de laquelle l’administration fiscale est seule compétente pour saisir le juge pénal d’une fraude fiscale, après avis de la Commission des infractions fiscales (CIF). Ce verrou a été déclaré conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel sur question prioritaire de constitutionnalité dans une décision du 22 juin 2016. « Le moment n’est-il pas venu alors de s’interroger sur la pertinence de son maintien alors même que la lutte contre la fraude fiscale est affirmée comme une priorité nationale et que le parquet financier a été créé pour lutter contre cette délinquance, indissociable de la grande délinquance économique et financière ? », s’interroge Éliane Houlette qui dénonce le fait que ce monopole « restreint le plein exercice de l’action publique et explique en partie que la variété des sanctions pénales en matière de délit fiscal ne se déploie pas ». Par exemple, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et la convention judiciaire d’intérêt public ne sont pas applicables à la fraude fiscale. Elle fonde donc beaucoup d’espoir sur la mission mise en place à l’Assemblée nationale pour réfléchir sur ce sujet. Celle-ci rendra ses conclusions fin avril. Cette rentrée pleine de projets de réformes et d’annonces de modernisation n’a laissé qu’une place très modeste à la question des moyens. Il est vrai que le nouveau palais de justice résoudra sans doute, une fois le déménagement passé, une partie des difficultés liés à l’inadaptation des locaux actuels. Et puis une loi de programmation devrait bientôt être présentée. En principe…

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