Le tribunal de Bobigny exige plus d’effectifs pour aller « Plus vite, plus haut, plus fort, ensemble ! »
Désaturation du tribunal, préparation des JO 2024, création d’une filière dédiée aux violences conjugales… L’audience solennelle de rentrée du tribunal de Bobigny qui a eu lieu le 16 janvier dernier, a été l’occasion de passer en revue les défis de l’année à venir pour la justice séquano-dyonisienne.
Jouant dans la même équipe, ce lundi 16 janvier, dans la salle d’audience n° 1 du tribunal de Bobigny, à l’occasion de la rentrée du tribunal, Peimane Ghaleh-Marzban, le président du tribunal de Bobigny, et Éric Mathais, le procureur général, se sont passé la balle. Leur objectif : obtenir des moyens supplémentaires pour la justice du 93, qui, le 7 décembre dernier, semblait au bord du forfait. Visant leur ministre de tutelle, les deux magistrats avaient alors envoyé au président de la cour d’appel de Paris, ainsi qu’à son procureur, une note d’alerte avertissant : « Le tribunal de Bobigny n’a pas les moyens de ses ambitions et des charges singulières qui sont les siennes dans la perspective des Jeux olympiques ». En cette après-midi d’hiver, les deux hommes avaient à cœur de calmer le jeu, soulignant les efforts de la Chancellerie vis-à-vis de leur tribunal. Le président s’est d’abord réjoui du choix imminent de l’architecte destiné à façonner son extension, prévue pour 2027, des travaux entamés pour rénover le système électrique, du transfert du pôle civil (11 services de 50 à 70 personnes et 1 km de dossiers) dans l’immeuble L’Européen, ou encore de l’expérimentation à 360° censée régler les problèmes informatiques de la juridiction. Il a ensuite remercié le directeur des services judiciaires pour l’augmentation du nombre de magistrats passés de 140 en 2021 à 146 en 2022, et pour celle du nombre de fonctionnaires, passant de 428 en 2017 à 490 en 2022, sans compter les 56 contractuels attribués au tribunal. « Mais on observe un décrochage entre ces créations de postes et la situation du greffe, où l’on constate plus de départs que d’arrivées, où le turnover est important : 17 % des postes y sont vacants », modère Peimane Ghaleh-Marzban.
Création d’une filière dédiée aux violences conjugales et intrafamiliales
De l’avis des deux hommes, ces octrois de postes ne suffisent pas à faire face à l’engorgement actuel du tribunal. Malgré la création d’une seconde chambre dédiée aux comparutions immédiates, la moitié d’entre elles s’achèvent au-delà de 22 heures, du fait, principalement, des audiences pour violences conjugales, qui exigent de prendre du temps. Les comparutions immédiates liées à ce motif ont augmenté de 54 % cette année. Les convocations sur procès-verbal pour violences sur conjoint ont, elles, augmenté de 60 %. « La juridiction a déployé le dispositif « téléphone grave danger », nous avons mis en place un protocole d’information des victimes en cas de libération de leurs auteurs, et lancé un observatoire des violences par conjoint. Depuis 2017, on observe une hausse de 100 % de condamnation, de 160 % des déferrements directement après la garde à vue, et de 187 % du nombre moyen années d’emprisonnement », égrène le procureur général Éric Mathais. La montée en puissance de cette problématique conduit le tribunal à envisager la création une filière dédiée aux violences faites aux femmes et au sein de la famille, dotée de magistrats spécialisés, dont les liens seraient renforcés avec le reste du tribunal – juges d’application des peines, juges aux affaires familiales – afin de fluidifier le traitement de ces dossiers. Les violences conjugales occupent également le pôle « affaires familiales » du tribunal civil, qui est parvenu à réduit le délai de traitement des ordonnances de protection de 21 jours en 2020, à cinq jours en 2022. Et si le nombre de requêtes d’ordonnances de protection a baissé d’un quart en 2022, l’acceptation de ces requêtes a bondi de 57 % en 2021 à 69 % en 2022.
Déstocker : une urgence avant les JO
Comme tous les tribunaux de France, le tribunal de Bobigny fait face à un problème de stock, notamment en matière pénale. Si deux magistrats instructeurs supplémentaires ont été nommés, permettant d’écluser un grand nombre de dossiers, le problème de saturation s’est reporté en aval, du fait du faible effectif de greffe, et du faible nombre de juges des libertés et de la détention. Avec 550 dossiers en stock, le président appelle de ses vœux des moyens supplémentaires pour créer une chambre dédiée aux affaires les plus importantes. « Nombre de dossiers relèvent de la criminalité organisée et ne peuvent pourtant être transférés à la juridiction parisienne, du fait de sa propre saturation », déplore le président. La demande de création d’audiences de « déstockage » est aussi réclamée par le procureur général, car l’arrivée des Jeux olympiques ne va pas améliorer la situation. Les magistrats demandent également la mise en place d’un conseil de juridiction dédié à la gestion des Jeux olympiques. « On observe déjà une augmentation de 8 % des gardes à vue par rapport à 2021. Dans le département, la moitié des tentatives d’homicides sont liées aux stupéfiants : chacun des 165 points de deal génère entre 40 000 et 60 000 euros de profits journaliers ! Ces quatre dernières semaines, les forces de police ont saisi 719 kg de stupéfiants, et interpellé 109 personnes », détaille Éric Mathais. Vols avec violence, agressions, escroquerie à la billetterie, au logement touristique, faux taxis, dopage, trafics en tout genre vont venir s’ajouter à la délinquance classique du département le plus pauvre de France métropolitaine. « Les magistrats du parquet purgent chaque année 7 000 situations pénales, 600 décisions ont été prises en 2022, et 1 200 peines, mises en exécution. Nous devons traiter 700 dossiers de fraude aux fonds Covid, car 10 % des fraudeurs se trouvent dans le 93, ce qui équivaudrait à 100 millions d’euros à récupérer »…
Un effort est exigé en termes d’effectifs pour améliorer le fonctionnement du dépôt. Les conditions de détention inquiètent également : le taux de suroccupation de la maison d’arrêt deVillepinte s’élève à 187 %. Le tribunal demande donc la création d’un 11e juge d’application des peines, et tente de mettre en place une politique d’application des peines soutenable, en développant les dispositifs de libération sous contrainte, en travaillant sur un nouveau régime de réduction des peines, en mettant l’accent sur la promotion des travaux d’intérêt général.
Au civil : adapter l’activité aux moyens humains
La rentrée, à Bobigny, était aussi l’occasion de faire le point sur le tribunal civil. Le travail des magistrats du pôle de proximité a permis de réduire, en deux ans, le délai de traitement des dossiers de surendettement de 20 à 6 mois. Le stock du service de la protection sociale a également été assaini, avec deux mois de délai entre la requête et le délibéré. Aux prudhommes, le délai, pour un départage s’élève à six mois, du fait du développement du recours à la médiation, salué par le président Peimane Ghaleh-Marzban. « Deux points noirs subsistent pourtant », expose-t-il. Le premier est lié à l’engorgement de la 21e chambre du fait de la possibilité, depuis 2018, de contester les titres exécutoires contre les assureurs et les personnes responsables de préjudices corporels, qui a donné lieu à une multiplication du stock par trois pour atteindre 1 259 dossiers. « L’État aurait tout intérêt à mobiliser des ressources, en mettant à disposition des juristes assistants, ou en détachant des magistrats administratifs, car le contentieux s’élève en tout à 91 millions d’euros », explique Peimane Ghaleh-Marzban. Second point de blocage : les 11 600 dossiers de contentieux aérien qui noient la juridiction d’Aulnay-sous-Bois, qui « n’ont rien à faire devant un juge », déplore le président.
Il a enfin attiré l’attention sur la situation du tribunal pour enfant, sur lequel une alerte avait été lancée tant du fait des mesures dont certaines restaient inexécutées pendant plus d’un an, que du manque de prise en charge adaptée des enfants handicapés. La secrétaire d’État à l’Enfance a reçu une délégation du tribunal, à qui elle a souligné l’intérêt qu’elle portait au sujet, et sa détermination. « La mise en place du Code pour la justice pénale des mineurs a révélé la fragilité du tribunal qui a dû, du fait d’un problème d’effectifs au niveau du greffe, renvoyer 28 audiences en trois mois. En 2023, la priorité sera donc d’adapter l’activité aux moyens humains, grâce à un soigneux calibrage des audiences », estime le président.
« Les JO, c’est maintenant, et nous ne sommes pas en état de traiter l’éventuel afflux de procédures judiciaires supplémentaires. Des propositions ont été faites (…), je sais que les moyens sont contraints, mais j’ai bon espoir quant à la réception de ce que nous avons pu proposer », termine Peimane Ghaleh-Marzban qui s’estime « garant de la bonne administration de la justice en Seine-Saint-Denis », et refuse d’endosser une quelconque responsabilité quant à l’incapacité du tribunal à traiter de nouveaux dossiers et la dégradation de la réponse pénale. « Les moyens qui nous ont été donnés, nous en avons fait quelque chose et sur ce qui reste à faire, cette note était tout sauf une complainte (…) . Cette note était l’expression d’un engagement permanent, d’une volonté de dépassement, de la passion qui nous anime pour le bien public (…) L’idéal du juge, c’est de faire aimer la République » !
Référence : AJU007r8