Le tribunal de commerce Bobigny dit au revoir à son président, Francis Griveau et accueille Claude Dufaur
Le 18 janvier dernier se tenait la traditionnelle audience de rentrée du tribunal de commerce de Bobigny (93). Tandis que le bilan de l’année 2022 était dressé, le tribunal accueillait également son nouveau président, Claude Dufaur, après sept années de présidence de Francis Griveau, dont l’action a été saluée de tous.
« Il est des audiences solennelles de rentrée plus singulières que d’autres » ! Par cette phrase, le procureur de la République, Éric Mathais, présent lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de commerce de Bobigny, a évoqué la passation de pouvoir qui vient de se produire. Après 16 années passées au sein de la juridiction, d’abord en tant que juge consulaire puis président à partir de 2016, Francis Griveau, qui a atteint la limite d’âge, a en effet quitté ses fonctions au 1er janvier 2023. « « Une page se tourne pour la justice consulaire balbynienne, une transmission se fait, un relais est assuré », a poursuivi le procureur de la République. Le successeur de Francis Griveau, Claude Dufaur, a lui été élu le 1er décembre 2022. Les avis sur ces années de dévouement, tant du procureur de la République, Éric Mathais, de la procureure de la République adjointe, Isabelle Minguet, que de son successeur ont été unanimes. Les remerciements ont plu. Rappelant le caractère bénévole des fonctions de juge consulaire comme de président, Éric Mathais a déclaré : « Toutes ces heures consacrées à la direction, à l’animation, à la coordination, toutes ces réunions avec les acteurs de votre juridiction, toutes ces heures passées à rendre des décisions, notes, rapports, vous les avez prises sur votre vie personnelle et professionnelle ». Il a ainsi salué son sens profond de « l’intérêt général » en faveur de la justice commerciale et a évoqué le « plaisir que le ministère public a eu au cours de cette collaboration fructueuse », qui a « permis de progresser ensemble sur de nombreux sujets ».
Un tribunal qui change de président
Claude Dufaur, jusque-là vice-président du tribunal, a tenu à souligner l’énergie déployée par Francis Griveau pour développer son tribunal, notamment dans les secteurs de la formation et de la prévention. « Sous votre impulsion, le tribunal de commerce de Bobigny s’est transformé » ! Cela a été le cas dès son élection en 2015. Lors de la création des tribunaux de commerce spécialisés, réforme voulue par les pouvoirs publics pour traiter des procédures collectives les plus complexes, le tribunal de Bobigny n’avait pas été intégré à la liste initiale. « Par votre énergie, force de persuasion, vous avez su mobiliser tous les acteurs économiques du département et les acteurs politiques de tous bords », afin de démontrer la nécessite d’y intégrer Bobigny en vertu du dynamisme économique de la Seine-Saint-Denis. Initiative couronnée de succès car désormais le tribunal de Bobigny appartient bien aux 18 tribunaux de commerce spécialisés de France !
Francis Griveau a également été à l’origine de la création du CIP 93, il a développé la formation des juges consulaires par la mise en place d’une formation initiale, a fait de Bobigny un centre de formation de l’ENM. Lui-même dirigeant d’une PME de 25 personnes (spécialisée en produits chimiques), « le sort des chefs d’entreprise en difficulté ne pouvait vous laisser indifférent », a souligné Claude Dufaur, expliquant que Francis Griveau a par ailleurs été à l’initiative de l’Apesa 93 (cellule de soutien psychologique des chefs d’entreprise en détresse). Il a souligné la pertinence du partenariat créé avec les instances de l’université. Ainsi le tribunal a bien changé : son nombre de juges est passé de 66 à 78. Enfin, l’ancien président avait installé une grande convivialité dans le tribunal. Ce dernier, visiblement ému, a remercié chaleureusement son successeur, évoquant le travail collectif nécessaire à ces réussites. « Le travail d’un président, c’est organiser, déléguer, communiquer, en interne, avec Claude Dufaur, c’est un travail de tous les jours, avec les présidents de chambre, les juges. Et en externe, avec la participation de tous les auxiliaires de justice et organismes régionaux ». Il s’est dit très optimiste pour l’avenir de la juridiction, qui devra toutefpois faire face à de nombreux défis.
Une juridiction aux nombreuses spécificités
Le procureur de la République, Éric Mathais, a en effet rappelé les nombreuses spécificités du département, « le plus jeune, le plus dynamique, mais aussi le plus pauvre de France métropolitaine », ce qui impacte l’ensemble des juridictions implantées en Seine-Saint-Denis. Le parquet, parfois « sous-dimensionné », fait face à une « activité extrêmement soutenue », surtout dans la perspective des Jeux olympiques de 2024. Et pourtant, en dépit de cette situation et des problématiques majeures de criminalité, il tient « à ce que le parquet de Bobigny continue à s’investir en matière financière et économique, que ce soit en matière répressive ou par la présence au tribunal de commerce ».
Isabelle Minguet, procureure de la République adjointe, a insisté sur la « politique pénale volontariste » de son parquet. « Les magistrats de la division des affaires économique et financière mènent en effet des enquêtes de très grande ampleur, pour lutter contre des réseaux de travail dissimulé, d’escroquerie ou de blanchiment ». En 2022, la section financière a fait saisir des avoirs criminels pour environ 26 millions d’euros. Le parquet se veut aussi très mobilisé contre les fraudes aux finances publiques, lesquelles atteignent un niveau extrêmement élevé en Seine-Saint-Denis, d’où une nouvelle organisation du CODAF (comités opérationnels départementaux anti-fraude) ce qui place le parquet « au cœur d’une politique d’intensification et de ciblage des contrôles réalisés ».
Sur les sociétés éphémères, éléments majeurs de fraude sur ce département, l’accent sera mis sur le contrôle des sociétés de domiciliation en 2023.
En matière commerciale, « le parquet s’efforce d’être le plus présent possible aux procédures de procédures collectives ». Avec 418 requêtes, le parquet est à l’origine d’un quart des saisines du tribunal de commerce en cette matière. Le parquet est également attentif aux sanctions personnelles (interdiction de gérer, faillite personnelle…) et aux sanctions pécuniaires contre les chefs d’entreprises fautifs. Son souhait ? Que la Seine-Saint-Denis ne constitue pas « un refuge » pour les chefs d’entreprise peu scrupuleux voire franchement malhonnêtes.
Enfin, elle s’est montrée satisfaite « de l’efficacité du greffe en matière de police économique » : en 2022, 670 signalements de fraude en lien avec des demandes d’inscription ou modification du RCS (+ 130 %) ont été déclarés au parquet. Isabelle Minguet a rappelé son « immense plaisir à avoir travaillé avec Francis Griveau ». À Claude Dufaur, elle a dit se réjouir de leur future collaboration.
Une activité en hausse
Le nouveau président a pris la parole pour revenir sur les principaux indicatifs chiffrés de l’année écoulée. Il a partagé le constat en 2022 d’une « baisse d’activité importante des procédures collectives par rapport à 2019 et une légère hausse par rapport à 2021 », « loin, pour l’instant, d’un tsunami [des défaillances] annoncé ». En revanche, en contentieux, le nombre de décisions rendues au fond sont légèrement en baisse (2,27 % par rapport à 2021) ; mais il note une augmentation du nombre d’enrôlements des affaires au fond (+ 44,33 % ; soit une hausse de + 40 % par rapport à 2019). Le tribunal fait face à une augmentation du nombre de décisions rendues : 44 213 vs 43 734 en 2021, « très loin des 88 500 décisions rendues en 2019 » !
Concernant le RCS : la Seine-Saint-Denis, avec 167 410 entreprises inscrites contre 151 973 en 2021, est « toujours l’un des départements les plus dynamiques de France ». Le solde net d’immatriculations est de 13 541 comptes, radiations incluses. En 2022, 44 901 comptes ont été déposés dont 52 % dématérialisés, contre 43 % en 2021. En 2022, 43 % des sociétés n’ont pas déposé leurs comptes contre 44 % 2021.
Sur le contentieux : le président Claude Dufaur note une hausse généralisée des jugements depuis 2019. Les affaires au fond ont augmenté de plus de 30 %, tandis que les référés sont en baisse de 17 %. Les injonctions de payer sont en hausse de 35 % par rapport à 2021.
Sur les conciliations, elles sont en augmentation de + 40 % avec 110 enrôlements. « Il ne faut jamais oublier que le contentieux est le socle de notre tribunal, là où sont formés les juges à leur arrivée », a rappelé Claude Dufaurt. Le taux d’infirmation en appel est de 1,11 % et le délai moyen entre 1re audience et le jugement de 174 jours.
Sur la prévention, il a rappelé son importance, rappelant la nécessité « d’apparaître comme une aide aux entreprises et non comme des fossoyeurs ». Dans ce cadre, 323 entretiens ont été menés par des juges, ce qui permet d’obtenir des éléments d’alerte sur l’état des entreprises. À ces fins, il faudrait encore renforcer la collaboration avec la Banque de France, l’Urssaf, la DGFiP.
84 mandats ad hoc ou conciliations ont été recensés en 2022, pour 2,2 millions euros d’euros et 15 343 effectifs sauvegardés, avec une taille d’entreprises concernées en augmentation. Déplorant l’activité trop faible du CIP, Claude Dufaur a proposé pour 2023 des actions pour relancer son activité.
Toujours pour les entrepreneurs en difficulté voire en détresse repérés par des sentinelles, l’Apesa 93, dont la création a bien été effective en 2022, leur propose une prise en charge de cinq consultations gratuites.
En termes de procédures collectives, on note une augmentation de 4 % et + 15 % de redressements judiciaires. Les liquidations sont stables. Les déclarations de cessation de paiements sont en augmentation de 35 %, les assignations de + 80 % par rapport à 2021. Au tribunal de commerce spécialisé, 80 % des procédures relèvent de la prévention, dont la caractéristique essentielle est la confidentialité. Les sanctions sont principalement constituées d’interdiction de gérer et de faillites personnelles. 343 jugements ont été rendus, soit une baisse de 53 % en 2021, liée à la baisse des liquidations en 2020. 14 jugements de condamnation patrimoniale ont été rendus.
À l’énoncé des chiffres, le président Claude Dufaur a résumé : « une activité du tribunal en légère baisse pour le contentieux, stable en prévention et en augmentation pour les procédures collectives ».
Enfin, pour l’avenir, il a évoqué la transformation de certains tribunaux de commerce en tribunaux d’activité économique, avec compétences élargies (CCI, associations, agriculteurs, certaines professions libérales…). Il est « prévu d’ouvrir davantage les acteurs du monde judiciaire aux questions économiques en permettant le détachement des magistrats de l’ordre judiciaire dans les tribunaux de commerce » et la « mise en place d’une contribution financière proportionnelle à l’enjeu des litiges », qui pourrait abonder budget aide juridictionnelle. « Nous verrons bien le contenu des textes », au final, mais « il est important que notre institution reste indépendante et garde sa spécificité ». Pas d’échevinage possible en vue…
Enfin, le guichet unique de l’INPI, créé pour simplifier les démarches des entrepreneurs, entraîne de nombreux dysfonctionnements. Claude Dufaur a exprimé son souhait de voir un prompt rétablissement des services afin de fournir un accès de qualité aux chefs d’entreprise, comme c’était le cas avec Infogreffe. Les problématiques, tant structurelles que conjoncturelles, sont nombreuses en Seine-Saint-Denis. « Les qualités humaines et professionnelles » de Claude Dufaur, soulignées par Éric Mathais, lui permettront sans nul doute de relever les défis attachés à cette juridiction.
Référence : AJU007s6