Hauts-de-Seine (92)

Le tribunal de commerce de Nanterre prend une dimension internationale

Publié le 12/02/2020

L’audience solennelle du tribunal de commerce de Nanterre, le 24 janvier dernier, fut coprésidée par le président sortant Frédéric Dana et son successeur Jacques Fineschi. Temps fort de cette rentrée : l’annonce de la création d’une nouvelle chambre internationale, au sein de laquelle des juges consulaires anglophones pourront répondre aux besoins des entreprises multinationales du département des Hauts-de-Seine.

Comme toujours, le parquet ouvrit cette audience de rentrée. Dans le style sérieux et chaleureux qui la caractérise, la procureure Catherine Denis commença par rendre un hommage appuyé au président Frédéric Dana, sur le départ après dix-huit années d’exercice bénévole au sein du tribunal de commerce de Nanterre. Elle loua son impartialité et son indépendance. « Votre haute idée de la justice commerciale vous a conduit à mettre au premier plan tout à la fois, la rigueur juridique, l’efficacité économique et la déontologie. Mon parquet conservera durablement la mémoire de votre empreinte », rappela-t-elle. Elle rendit également hommage au travail des juges consulaires bénévoles, « des cadres et des entrepreneurs de haut niveau, de sociétés nationales et internationales dont les compétences s’additionnent pour former une juridiction de très haut niveau ». Aux nouveaux juges installés, elle redit son engagement. « Vous pouvez compter sur un parquet pleinement investi. Je souhaite que le ministère public, au-delà de la sphère pénale, continue d’occuper pleinement son rôle de gardien de l’ordre public économique devant la juridiction consulaire, même si les ressources humaines que je peux consacrer à cette mission à la fois complexe et passionnante ne sont pas toujours à la hauteur de mes espérances ». Elle précisa que, malgré le manque d’effectifs, le parquet parvient à être présent à l’essentiel des audiences hebdomadaires de procédures collectives, et participe, en outre, à de nombreuses réunions amiables.

Vint ensuite la traditionnelle présentation du territoire des Hauts-de-Seine, deuxième locomotive économique de France après Paris, composé à la fois de très grandes entreprises mais aussi de 165 000 petits établissements et de 20 000 entreprises artisanales. Elle en souligna la dimension internationale, rappelant que 2 700 établissements relevant de groupes étrangers y sont implantés, employant à eux seuls 182 000 salariés, « soit le quart des salariés de ce département ». Dans le même ordre d’idées, elle rappela que plus de 41 % des entreprises implantées dans le quartier de La Défense sont des entreprises étrangères. Un caractère international que la juridiction, en ce début de nouvelle décennie, entend accentuer. L’audience de rentrée fut en effet l’occasion d’annoncer qu’un protocole a été signé en décembre 2019 afin de doter la juridiction d’une « chambre internationale de contentieux ». Catherine Denis salua vivement cette décision ambitieuse. « Cette chambre du contentieux international, de haute technicité, a vocation à connaître des litiges de nature économique et commerciale comportant un caractère international : des litiges dans lesquels sont susceptibles de s’appliquer des dispositions de droit de l’Union européenne, de droit étranger et des conventions internationales », a-t-elle explicité. Des juges consulaires anglophones y écouteront les parties plaider en anglais, ce qui, estima la procureure, devrait être un facteur d’attractivité supplémentaire pour le département, particulièrement dans le contexte tourmenté du Brexit.

Elle détailla enfin l’action du parquet. En 2019, celui-ci a saisi le tribunal de 132 requêtes en ouvertures de procédures collectives et de 31 requêtes en sanction, contre 7 seulement en 2017. « La politique de sanctions a été amplifiée dans le but de concourir à l’assainissement du tissu économique », rappela Catherine Denis. L’exclusion d’individus dont le comportement est clairement malhonnête est un impératif de justice : ils laissent en pleine connaissance de cause des passifs sociaux et fiscaux conséquents, détournent à leur profit les actifs de la société et souvent la TVA collectée, et abandonnent ainsi sans les dédommager les salariés et leurs familles », détailla la procureure. Elle incita les mandataires et administrateurs judiciaires à apporter leur concours à cette politique de sanction en signalant, comme le leur demande le Code de commerce, les comportements délictueux dont ils auraient connaissance.

Si elle insista longuement sur le « climat de confiance » liant les juges consulaires et le parquet, ainsi que sur le dialogue constant mené « dans le respect des prérogatives de chacun », elle se montra également soucieuse de faire valoir les droits des chefs d’entreprise. Elle revint ainsi sur la loi Pacte, rappelant que celle-ci ouvre aux débiteurs en redressement judiciaire la possibilité de proposer un administrateur judiciaire. « Mon parquet veillera à ce que ces demandes soient bien actées, et que si le tribunal n’y fait pas droit, il le notifie comme il le doit », affirma-t-elle.

Ce fut ensuite au tour de Frédéric Dana de prendre la parole. Clôturant un mandat de plus de trois ans à la présidence du tribunal, il prononça un discours sobre, commençant, comme le veut l’exercice, par un bilan de l’année écoulée. Il rappela qu’avec plus de 31 000 décisions rendues, le tribunal peut se targuer d’une moyenne de 140 décisions rendue par jour ouvrable. Parmi celles-ci, 17 483 décisions de contentieux et 13 729 décisions en matière de procédure collective. Dans le détail, il fit état d’un taux d’appel en baisse (3,2 %), d’une hausse des injonctions de payer, d’une augmentation de 28 % des décisions contentieuses, « quasiment exclusivement due à l’accroissement du nombre des injonctions de dépôt des comptes », et enfin d’une hausse significative des décisions de sanction, passant de 129 jugements en 2019 contre 95 en 2018.

Au-delà des chiffres, il mit en avant l’esprit qui anima le tribunal au cours de l’année 2019. Il cita l’article 21 du Code de procédure civile disposant qu’« il entre dans la mission du juge de concilier les parties » et rappela, chiffres à l’appui, que le tribunal s’y était employé. « Afin de promouvoir le mode aternatif de règlement des différends, un effort important de sensibilisation a été accompli auprès des juges de notre tribunal et nous constatons une forte progression du nombre de désignations de médiateurs et de conciliateurs, qui s’élève en 2019 à 142, contre 81 en 2018, et 75 en 2017 ». Il redit l’engagement de son tribunal pour la prévention de l’insolvabilité. S’il déplora que les entreprises tardent à signaler leurs difficultés, il fit tout de même état de tendances encourageantes en la matière. Il rappela en effet que le nombre des ouvertures de procédures amiables, conciliation et mandat ad hoc, est en hausse de 10 % par rapport à 2018, que le chiffre d’affaires des entreprises impactées a été divisé par 2, et que le nombre de salariés concernés a largement baissé, passant de 9 582 à 6 707. « Ces chiffres démontrent que cette procédure n’est plus exclusivement réservée aux groupes de grande taille, mais bénéficie également aux PME et aux ETI, ce dont nous nous réjouissons », commenta-t-il.

En écho aux mots de Catherine Denis à son égard, il rendit à son tour hommage à l’action du parquet, loua son regard « attentif et complémentaire » à celui du tribunal, ainsi que sa présence « respectueuse de l’indépendance des juges ». Au-delà du traditionnel bilan de l’année écoulée, Il revint enfin sur ces trois années passées à la tête du tribunal. Il rappela avoir pris ses fonctions en novembre 2016, quelques jours seulement avant la promulgation de la loi de modernisation de la justice, qui venait conforter le statut du juge consulaire et accroître l’exigence de formation à son égard. Une loi qu’il a veillé à mettre en pratique, insista-il. « Un diplôme universitaire a été mis en place avec l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) pour les procédures collectives, des formations ad hoc sur l’audience ou le jugement ont complété la formation initiale des nouveaux juges », détailla-t-il. Il expliqua avoir également mis en avant la nécessaire indépendance d’esprit des juges, et le respect dû au justiciable, notamment par une écoute attentive au cours de l’audience. « Le justiciable doit retrouver dans la décision rendue non seulement les éléments de fait et de droit mais l’effort du juge pour instruire avant de dire le droit. C’est la seule réponse possible à ceux qui pensent que les machines et l’intelligence artificielle remplaceront un jour le juge. C’est ce qui fait que la décision de justice n’est pas une solution cristallisée mais un jugement », résuma-t-il, avant de passer la parole à son successeur, qu’il félicita comme il se doit chaleureusement pour son élection.

Ce fut donc à Jaques Fineschi, le nouveau président du tribunal, qu’il revint de conclure cette première audience de la décennie. Lui aussi rendit un hommage appuyé à son prédécesseur Frédéric Dana, estimant qu’il avait contribué, « par son impartialité reconnue et la qualité de ses jugements à la réputation d’excellence du tribunal en matière contentieuse et à la formation de nombreux juges. Il laisse ainsi un héritage de grande valeur qui m’est particulièrement précieux ».

Ces mots de remerciements prononcés, il plaça son mandat de quatre ans sous le signe de la parité homme-femme en rappelant qu’une femme, Catherine Drévillon, ancienne présidente de la chambre de placement, l’assisterait dans ses fonctions en qualité de vice-présidente. « Ce n’est pas la première fois qu’une femme devient vice-présidente de notre tribunal », nuança-t-il, avant d’affirmer que « ce nouvel état de parité a reçu un excellent accueil de l’ensemble des juges ».

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Faisant le vœu d’une collaboration toujours plus solide tant avec le parquet qu’avec le service de greffes, « dans le souci premier de l’ordre public économique et de l’intérêt économique général », il présenta les sept nouveaux juges consulaires. À ces sept hommes, tous passés par de grandes entreprises, il rappela ce que les entreprises attendaient de leur part : des décisions impartiales mais aussi rapides et motivées en des termes accessibles.

Jacques Fineschi termina son allocution en annonçant les priorités de sa présidence. Il se dit soucieux de rechercher un « exercice humain » de la justice. En plus de la promotion de la nouvelle chambre internationale, il mit en avant le développement de la médiation et de la conciliation, celui de la détection des difficultés, l’encouragement des mandats amiables qui permettent de garder confidentielles les difficultés des entreprises. Ses derniers mots allèrent de manière remarquable aux chefs d’entreprise en liquidation, qu’il dit vouloir aider à rebondir. Il rappela d’ailleurs que la loi Pacte incite les tribunaux à aller dans ce sens, tout comme la directive européenne du 6 juin 2019, dont il rappela le titre entier : « Directive relative aux cadres de restructuration préventive, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement ». Il estima que s’il existe une petite minorité de « voyous économiques, à écarter des affaires par une interdiction de gérer ou une faillite personnelle », la majorité d’entre eux mérite d’être accompagnée dans ce moment particulièrement difficile. « Pour la majorité des dirigeants, malchanceux, négligents ou même incompétents, la dégradation de la santé financière de l’entreprise s’accompagne souvent d’une dégradation de leur situation matérielle, de leur situation familiale, et partant de leur santé psychologique pouvant les conduire à la dépression, voire au suicide », rappela-t-il, avant de dresser une liste d’association spécialisée dans l’accompagnement de chefs d’entreprise en détresse à faire connaître aux entrepreneurs malheureux.

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