Les 50 ans du barreau des Hauts-de-Seine : un parfum de colère
La rentrée du barreau des Hauts-de-Seine (92) a eu lieu vendredi 18 novembre dernier au centre évènementiel de Courbevoie (92). Après un retour sur le jubilé du barreau, dont les dernières années dégageaient des effluves de soufre, le barreau avait convié Francis Kurkdjian, nez chez Dior, à monter sur scène pour s’entendre être accusé de sorcellerie…
Alors que la nuit est tombée sur Courbevoie, ce vendredi 18 novembre, les spotlight du centre événementiel font scintiller les robes de soirées autant que les robes d’avocats. Ce soir-là, 1 100 personnes sont réunies pour célébrer les cinquante ans du barreau des Hauts-de-Seine. Une fois la cinquantaine de secrétaires de la Conférence, membres du Conseil de l’ordre, bâtonniers et anciens bâtonniers du 92 ou d’ailleurs, et même Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits, installés sur scène, la cérémonie peut commencer sous le patronage du bâtonnier, Michel Guichard.
Un barreau en colère
Au premier temps de la valse – ainsi décrite par ce dernier -, hommage a été rendu aux avocats des pays en guerre, où les droits et libertés sont menacés. Pavlo Lutsyuk, bâtonnier de Rivne, en Ukraine, a offert au barreau des Hauts-de-Seine un drapeau tricolore décoré d’ambres, et frappé des armoiries des barreaux ukrainiens et français, avant d’inviter l’ensemble des convives à venir visiter l’Ukraine, une fois la victoire acquise. Puis la parole a été laissée à Martun Panossian, avocat francophone d’Arménie, avec qui le barreau des Hauts-de-Seine entretient des liens de coopération étroits. Le bâtonnier a ensuite rendu hommage aux confrères décédés pendant l’année. Reprenant les mots de l’article du Nouvel Observateur, il s’est particulièrement arrêté sur le cas de Marie Truchet, magistrate terrassée par un accident vasculaire cérébral en pleine audience, au mois d’octobre dernier. « Le barreau des Hauts-de-Seine est un barreau en deuil, et un barreau en colère. Marie est tombée, Marie ne s’est pas relevée. Les conditions de la justice se dégradent, et la justice dégradée est une atteinte à la démocratie », a rappelé le bâtonnier, appelant l’ensemble des avocats à participer au mouvement intersyndical de grève du 22 novembre.
Le second temps de la valse mettait à l’honneur l’histoire du barreau des Hauts-de-Seine. Un court-métrage relatait ses grands et petits jalons année par année, bâtonnier par bâtonnier. Le barreau des Hauts-de-Seine est né en 1972, après la création des départements, en juillet 1964, par l’association de 8 avocats. Il s’est plusieurs fois trouvé au cœur de l’actualité : quand Louisa Benakli, l’une de ses avocates, fut victime de la tuerie de Nanterre, ou pendant l’affaire Bettencourt, alors que Philippe Courroye était procureur du tribunal et que, proche de Nicolas Sarkozy, son nom était cité dans les enregistrements du majordome de l’héritière de L’Oréal. Les souvenirs plus récents se concentrent sur les réactions aux attaques contre les droits de la défense, qu’il s’agisse de faire corps autour de l’avocate qui s’était fait gifler, en garde à vue, par un membre de la DGSI, de la lutte contre les « cages de verre » installées dans les box des accusés ou contre l’usage de la visioconférence qui s’est développée avec la Covid. Des souvenirs un peu plus festifs sont également évoqués, comme celui des procès fictifs du cardinal Lustiger et de Jacques Vergès lors d’anciennes rentrées de la Conférence, de la création d’une fête de la musique du barreau, ou de colloques marquants, sur la criminologie ou le droit humanitaire.
Le barreau d’honneur de Michel Guichard
Michel Guichard reprend alors la parole, et après une litanie de remerciements si longue qu’il en fait un gag, se lance dans un bilan de son mandat, marqué par la mise en place de la plateforme BaroTech, qui centralise les informations de 15 barreaux. Son bâtonnat fut également marqué par une politique internationale dynamique, comme l’illustrent les jumelages avec le Sénégal, la Turquie, l’Iran, et l’Arménie. Ses deux ans à la tête du barreau furent marqués par un grand nombre de recours contre les dysfonctionnements de la justice. Avec l’Observatoire international des prisons (OIP), les avocats des Hauts-de-Seine ont agit en référé-liberté pour dénoncer les conditions de détention à la maison d’arrêt de Nanterre. Ils ont été les premiers à attaquer la circulaire de localisation des emplois (CLE) qui fixe le nombre maximum de postes attribués à chaque juridiction. Avec le barreau de Paris, le barreau des Hauts-de-Seine a également attaqué la loi « Confiance dans la justice » du 22 décembre 2021, devant le Conseil d’État, au motif qu’elle différencie le secret de la défense et le secret du conseil, protégeant mieux le premier que le second, obtenant du Conseil d’État la transmission d’une QPC. Enfin, le barreau a intenté un recours contre la directive européenne DAXIS, qui oblige les avocats à révéler les schémas frauduleux. Michel Guichard a enfin salué le barreau de Toulon pour sa prise en charge de la défense des 234 réfugiés de l’Océan Viking. Son discours se finit par un pastiche de « Toulouse » de Claude Nougaro : « Qu’il est beau mon barreau… qu’il est beau (…) Putain, quelle expérience de vie, ce bâtonnat ! ». C’est alors l’heure de passer le bâton aux futurs bâtonnier et vice-bâtonnier dont le mandat commencera début 2023, Isabelle Clanet dit Lamanit, et Fabien Arakelian, en les bénissant de sa phrase fétiche : « Tout va bien se passer » !
Le troisième temps de la valse est tourné vers la jeunesse et l’avenir. Les lauréats du prix de l’éloquence francophone, remis la veille, montent sur scène : Rachel Maffont a défendu Aya Nakamura ; Kadim Cissé, Mario Bros. Un petit film sur le format de « la boîte à questions » est projeté, pendant lequel les anciens secrétaires de la Conférence convoquent les souvenirs de leurs procès fictifs respectifs, que les accusés s’appellent Daniel Cohn-Bendit, Fanny Ardant ou Henri Leclerc.
Un nez haut en couleur
Last, but not least, le procès fictif, dont l’invité est resté longtemps mystère, peut commencer. Mayeul Pestre, secrétaire de la Conférence, chargé de l’accusation publique, fait à Francis Kurdjian, directeur de la création de parfums chez Christian Dior, un procès en sorcellerie, nécromancie et spiritisme, au nom de textes de lois d’un autre âge. Ses victimes ne sont autres que l’ensemble des convives présents ce soir-là, à qui il est distribué un bâtonnet imbibé de précieux liquide. « Pablo Escobar du Patchouli, Jean-Luc Delarue du chèvrefeuille, son nez est un Dyson qui aspire ce que lui offre la nature », s’emballe l’avocat de KPMG. Son adversaire, Joséphine Colin, spécialiste de la propriété intellectuelle, plaide ensuite pour défendre le nez. Puis Francis Kurdjian se lance dans une défense en vers, se retournant tantôt contre sa propre avocate, tantôt contre le président du tribunal, et il termine en ôtant sa veste, laissant apparaître, au dos de sa chemise, une tache rouge sang. Le spectacle est fini, place aux petits-fours et à la soirée dansante…
Référence : AJU007a1