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Les Français soutiennent massivement le secret professionnel de l’avocat

Publié le 31/05/2021
Une main fait le lien entre 3 icônes de personnages numériques. Au centre du triangle un cadenas
jirsak / AdobeStock

Dans le contexte d’État d’urgence sanitaire et de lutte contre le terrorisme, les avocats du barreau de Paris se posent en vigies des libertés fondamentales. Le bâtonnier Olivier Cousi et la vice-bâtonnière Nathalie Roret ont mis en place un « baromètre des droits ». Jusqu’à la fin de 2021, cet observatoire a pour mission d’alerter les pouvoir publics et les citoyens sur d’éventuelles atteintes aux libertés. Le dernier sondage rendu public portait sur le secret professionnel de l’avocat. Les résultats sont réconfortants pour la profession, 90 % des sondés le considérant comme aussi important que le secret médical. Une « Très bonne surprise », estime le bâtonnier de Paris.

« 93% de la population soutient le secret professionnel. Ce chiffre impressionnant montre le besoin de protection et de secret de la population », s’est d’abord enthousiasmé le bâtonnier Olivier Cousi, incrédule. Mieux, plus de 90 % des Français le considèrent aussi important que le secret médical, et 80 % d’entre eux s’inquiètent des perquisitions dans les cabinets d’avocats.

Pour analyser les résultats du dernier baromètre des droits, le barreau de Paris avait convié quatre témoins de champs différents : l’avocat pénaliste Hervé Temime, l’ancienne dirigeante d’entreprise Anne Marie Idrac, l’experte en numérique Asma Mhalla, et l’homme de médias Denis Olivennes.

« Il y a un élan qui permet d’asseoir le secret de la défense », a d’abord posé le bâtonnier de Paris en préambule, rappelant que ce baromètre sort alors que le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti porte un projet de loi destiné à renforcer ce secret professionnel. « Il a soulevé la question de la limite entre les pouvoirs de l’enquête et celui de la défense. Son élan, a été repris par les parlementaires qui l’ont complété. C’est un bel effort et un bel exemple de fonctionnement de la démocratie », a salué le bâtonnier de Paris.

Auteur du livre Secret défense en 2020, Hervé Temime est un défenseur du secret dans la vie professionnelle comme dans la vie privée. « Ce chiffre ne reflète pas du tout ce qu’on constate dans nos vies », s’est étonné le ténor du barreau. « On a l’impression que le secret n’est plus perçu comme une qualité. Ce sondage est donc une très bonne surprise ».

À côté de ce plébiscite de la population, une autre donnée a attiré l’attention du pénaliste. 83 % des avocats du barreau de Paris estiment que le secret professionnel de l’avocat est menacé et plus de la moitié d’entre eux l’ont vu se dégrader au cours des dernières années.

74 % d’entre eux pensent d’ailleurs qu’il n’est plus garanti dans les échanges mail, sms ou téléphone. « Ils ne sont pas si nombreux à estimer que la situation a évolué et ce n’est pas complètement faux », a assuré l’avocat, pour lequel le secret est malmené de longue date. Lui campe sur une position très ferme : « La publication d’un échange entre avocat et client est innommable. Aucun cas ne peut justifier la divulgation de ces échanges. Si les avocats commettent des infractions, ils doivent pouvoir être poursuivis, mais pas au prix de la violation initiale du secret ».

Hervé Temime a rendu compte de son expérience de la commission sur le secret de l’avocat créée par le garde des Sceaux, réunissant avocats, magistrats et policiers. « Nous avons dû batailler fortement pour obtenir les avancées sur le plan de la défense du secret », a souligné Hervé Temime. Il a déploré, à titre personnel, que le projet de loi ne permette pas de protéger davantage le secret dans le cadre d’une mission de conseil, « là où il est le plus atteint ». De même que le bâtonnier Olivier Cousi s’est prononcé au cours de cet échange en faveur d’un secret professionnel pour les avocats en entreprise. « Ils font les mêmes parcours, ont les mêmes formations que les avocats, mais la France ne leur reconnaît pas ce statut, contrairement à l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne », a-t-il posé. « Si le projet de loi porté par Éric Dupond-Moretti ne renforce donc pas les droits des avocats en entreprise, cela n’est pas de la responsabilité du garde des Sceaux mais de celle de la profession », a pour sa part insisté Olivier Cousi, rappelant que la profession, à l’échelle nationale, s’était largement prononcée contre ce statut.

Estimant que l’heure est à la transparence, « comme le montre la rémunération des chefs d’entreprise, discutée en détail lors des assemblées générales », Anne-Marie Idrac, ancienne présidente de la RATP et ancienne secrétaire d’État au commerce extérieur, s’est elle aussi dite surprise par ce plébiscite. Elle a dépeint les cabinets de médecins et ceux des avocats comme « des endroits dans lesquels on peut se sentir en confiance ». Elle a pointé une « intéressante continuité entre les deux professions », toutes deux ayant « à la fois un rôle de prévention et d’intervention ».

Denis Olivennes, directeur du journal Libération après avoir été responsable du pôle information de Lagardère Active, intervenait dans ce débat au titre de représentant de la presse « Je suis frappé par la maturité démocratique de nos concitoyens », a-t-il loué, avant d’y voir une spécificité bien française. « Nous sommes le pays qui a inventé la notion de vie privée au dix-huitième siècle, nous résistons mieux que d’autres à l’idéologie venue des pays anglo-saxons », a-t-il estimé. « Les Français comprennent que protéger le secret des avocats n’est pas protéger les avocats, mais leurs droits à eux ». Faisant à son tour l’éloge du secret, il a poussé l’exercice jusqu’à défendre le secret d’État. « Les négociateurs du processus d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens n’auraient pas pu le faire sans le secret », a-t-il développé à titre d’exemple. « Pour nous aussi, journalistes, le secret est sacré. Sans secret des sources, nous ne pouvons pas exercer notre profession ». Prenant son auditoire à rebrousse-poil, il n’a pas manqué de souligner que « la presse peut transgresser tous les secrets, s’il y a une contribution à un intérêt général prépondérant pour le débat public, y compris celui de l’instruction et même celui de la relation entre un avocat et son client ». « La contrepartie de cette liberté est la responsabilité, et donc un travail équilibré et contradictoire », a-t-il précisé, reprenant les termes de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Asma Mhalla, experte en numérique, accompagne la transformation des entreprises et des administrations publiques. Elle a pointé la contradiction de notre époque, prise entre « souci de la vie privée et exposition de soi permanente ». Elle a pourtant mentionné une « prise de conscience de la menace numérique ». Elle a insisté sur le fait que le numérique n’est qu’un outil. « La question est de savoir comment l’intelligence artificielle et les algorithmes pourraient être compatibles avec l’État de droit. On tâtonne car ce sont des outils nouveaux, qu’on est en train de civiliser et d’apprivoiser, et qu’ils viennent pour la plupart d’entre eux des États-Unis. Ils sont basés sur la captation des données personnelles et si possible sensibles, ces dernières faisant leur valeur économique », a-t-elle souligné, rappelant qu’il fallait « faire converger performance et état de droit ».

Après ces quatre plaidoyers pour le secret, les questions des auditeurs ont mis la justice algorithmique au cœur du débat. Sceptique, Hervé Temime a rappelé que la justice pénale française est fondée sur la personnalisation des textes. « Si on y renonce, on renonce au meilleur de notre justice pénale. Je ne me projette pas dans une justice algorithmique », a-t-il déclaré. Il a rappelé que les peines planchers, venues des États-Unis et instaurées par Nicolas Sarkozy en cas de récidive, avaient provoqué un désastre judiciaire Outre-Atlantique, un homme ayant par exemple été condamné à une peine de 65 ans de prison pour le vol d’une bouteille de whisky dans un supermarché.

Asma Mhalla a détaillé les écueils du numérique. « Les algorithmes sont de la statistique sur du passé, cela implique plusieurs risques », a-t-elle posé. Le premier : celui des faux positifs. « On voit sur la reconnaissance faciale qu’il n’y a pas une efficacité totale. Il y a des erreurs sur des vies humaines ». Le deuxième écueil est que les algorithmes, construits par des cerveaux humains, incluent les biais et opinions de ces derniers. « Elles peuvent donc amplifier les phénomènes de discrimination. Cela se voit aux États-Unis sur les logiciels de justice ». Dernier problème, et pas des moindres : un régime d’algorithmes prédictif ferait « passer de la présomption d’innocence à la présomption de culpabilité ».

Olivier Cousi a craint un emballement pour ce système « comme s’il était parfaitement fiable, ce qui n’est pas le cas ». « On est passé par les fax, les photocopieuses, les ordinateurs. On a découvert des outils qui nous fascinaient et qui sont parfois dangereux. La justice n’échappe pas à ces progrès, il faut pouvoir les appréhender de la manière la plus équilibrée possible », a-t-il rappelé. Avant de conclure que la profession avait grand besoin de formation sur la protection. « Il y a des pratiques très simples que chacun peut mettre en place : changer ses mots de passe, avoir des adresses sécurisées. Les États-Unis ont sorti des lois qui permettent aux agences fédérales américaines de saisir n’importe quelles données saisies par un hébergeur américain. En conséquence, un avocat français ne devrait pas utiliser une boîte gmail car c’est contraire au secret professionnel » !

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