Yvelines (78)

Les violences intrafamiliales et l’amiable au cœur de l’audience de rentrée du TJ de Versailles

Publié le 08/02/2023
Violence domestique
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À l’occasion de la rentrée du tribunal judiciaire de Versailles, la tradition d’une audience solennelle suivie d’un cocktail a pu reprendre après deux années marquées par la pandémie. Cette audience a été l’occasion pour la procureure, Maryvonne Caillibotte, d’interpeller sur les effets du « contentieux de masse » que représentent les affaires de violences intrafamiliales tandis que le président, Bertrand Menay, a entre autres souligné les avantages d’une justice de l’amiable. Sans pour autant passer sous silence les besoins urgents de moyens humains et matériels au sein des tribunaux des Yvelines, comme ailleurs.

« Il est peu de dire que ce drame a bouleversé l’ensemble de la communauté judiciaire française et par sa proximité géographique la cour et le tribunal de Versailles où certains d’entre nous la connaissaient personnellement  »! C’est par un hommage à la magistrate, Marie Truchet, en poste à Nanterre, décédée le 18 octobre 2022 alors qu’elle présidait une audience correctionnelle au tribunal de Nanterre, que le président,Bertrand Menay, a ouvert son discours lors de l’audience solennelle du 20 janvier 2023.

Il a évoqué le « remarquable mouvement de solidarité » de nombreux magistrats du tribunal judiciaire de Versailles qui se sont portés volontaires pour soutenir leurs collègues de Nanterre, « par la présidence de certaines audiences en fin de l’année dernière » : « Je souhaite ici les remercier tous, magistrats et fonctionnaires de la juridiction, pour votre engagement au quotidien, un engagement exemplaire au service de l’institution judiciaire ». Et ce malgré un « état de délabrement avancé », souligné par le Rapport du Comité des États généraux de la justice (octobre 2021-avril 2022), ou « rapport Sauvé ». L’idée n’étant pas ici, insiste le président, de « faire une longue complainte » mais d’espérer des résultats à la suite des annonces récentes du ministère de la Justice.

Des « bataillons intacts » malgré une augmentation de l’activité

Ce fut ensuite au tour de la procureure, Maryvonne Caillibotte, de prendre la parole. À la suite des remerciements de circonstance envers la préfecture, la gendarmerie, le conseil départemental ou encore les chefs d’établissements pénitentiaires, une attention a été portée au personnel du greffe qui appartient selon elle à « l’ossature » du tribunal. « Sans squelette solide, pas de marche en avant », affirme-t-elle. Pour les associations d’aide aux victimes, elle a voulu rappeler qu’elles étaient de « véritables auxiliaires de justice » sans qui il serait « inimaginable de fonctionner »…

En quelques chiffres, le tribunal judiciaire de Nanterre a compté 93 351 procédures pénales en 2022, contre 90 065 en 2019, année de référence hors Covid. Les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité avec déferrement sont surtout passées de 52 procédures en 2020 à quasi 300 en 2022. En 2019, la section mineurs famille du parquet a reçu 11 628 appels contre 13 225 appels en 2022 : soit une augmentation de 26 % !« Alors qu’ils font face à tout ça, que font mes bataillons ?», demande-t-elle à l’assemblée… « Mes bataillons ne bougent pas, ils sont intacts » ! Non sans une pointe de sarcasme, elle poursuit : « Est-ce qu’en 2019 on ne travaillait pas beaucoup ? Ou en tout cas on avait suffisamment de marge de manœuvre pour que gentiment nous puissions absorber avec les mêmes effectifs un travail évidemment largement supplémentaire. Je n’ai pas de réponse ! Quoique… Je pense qu’à Versailles, ici comme ailleurs, comme d’autres juridictions l’ont clamé fort, la réponse est à trouver dans le fait que cette machine judiciaire fonctionne sur l’engagement de nous tous, magistrats, fonctionnaires et auxiliaires de justice. Nous avons le sens du service public et quoi qu’il en coûte, nous avons toujours envie que ça fonctionne. Peut-être qu’un jour ça nous perdra, c’est peut-être déjà le cas, mais c’est profondément ancré en nous » !

Les affaires intrafamiliales : « un contentieux de masse »

Un contentieux a été mis en avant par Maryvonne Caillibotte, celui qu’elle qualifie de « contentieux de masse » : les affaires de violences intrafamiliales (VIF). « Dans une société de droit comme la nôtre, qui est particulièrement attachée à la préservation de l’ordre public et à la protection de ces membres, on doit être fier, de traiter enfin, à sa mesure, ce qui est un véritable fléau. Je ne dis pas que ces procédures n’existaient pas. Je vous parle aujourd’hui de complètement autre chose. Je vous parle d’une délinquance où le volume a complètement explosé et que nous parvenons à peine, péniblement à contenir. C’est une délinquance de masse ». Ce contentieux représente en effet 30 à 40 % d’augmentation en termes de volume d’activité au tribunal judiciaire de Versailles. Mais impossible de le traiter rapidement. Au contraire, ce contentieux « prend du temps » et même « nécessite » du temps. Dans cette procédure difficile et longue, la gestion et la logistique au sein du tribunal deviennent essentielles : il faut du temps pour l’enquête, rassembler les éléments de preuves, examiner le dossier, le plaider, le juger…

Surtout, ce nouveau volume est venu s’ajouter au reste des contentieux habituels – « lesquels n’ont pas disparu ». Or, dit la procureure, le politique a placé le contentieux des affaires de violences intrafamiliales en première place. Cette priorisation, affirme-t-elle, oblige de les traiter au détriment d’autres procédures, ou pire au prix de l’abandon d’autres contentieux. « Le contentieux des VIF n’a pas fait disparaître les autres contentieux, il les a fait reculer », s’inquiète-t-elle. En disant cela, la procureure a surtout voulu insister sur le fait que tout cela ne pouvait se faire à « coût zéro ». « Ce contentieux est devenu volumineux » et rien n’indique qu’il va diminuer. Cela veut dire pour les juridictions : déférer en comparution immédiate des auteurs ; des mesures de protection pour les victimes ; doter les femmes de téléphone grand danger (55 au TJ de Versailles)… mais aussi cinq audiences mensuelles supplémentaires dédiées aux violences intrafamiliales créées depuis 2019. Cela a entraîné des « conséquences irréversibles » avec un « stock de dossiers brutalement constitué » en 2020, soit 123 dossiers en attente. L’audiencement, évalué entre 18 mois et 2 ans pour ces dossiers, est alors devenu « une science très raffinée », « une denrée rare » qu’il ne faut plus gaspiller. Son constat est sans appel pour répondre à ces « conséquences en chaîne » : il y a besoin de moyens humains et matériels. Car aujourd’hui, la situation est inquiétante : « Je déshabille certaines sections pour habiller la section qui traite ce contentieux » et « tous les efforts d’organisation touchent à leurs limites ».

Son intervention s’est terminée sur une pointe d’humour : « J’ai confiance dans l’État qui vient d’annoncer de considérables efforts financiers consentis pour le ministère de la Justice. Je suis littéralement dans l’empressement au regard de ce que je viens d’exprimer, de ce qui permettra de faire baisser les délais de jugement. S’il y a un truc, je le veux ! »

Un tribunal tourné vers l’avenir

Le président du TJ de Versailles,Bertrand Menay, a repris la parole, insistant sur la « grandeur et la difficulté du métier de magistrat » et « l’optimisme » à avoir pour affronter les « nombreux nouveaux sujets de réforme annoncés ». Mais, rassure-t-il, au tribunal judiciaire de Versailles, ces trois dernières années auront été celles d’« effets honorables », « perfectibles » et « méritoires ».

S’il rejoint Maryvonne Caillibotte sur le constat de l’augmentation des violences intrafamiliales, évoquant une « juridiction sollicitée pour les difficultés de l’intime et du quotidien », il a mentionné les « alternatives » – les procédures simplifiées, les procédures rapides, les procédures devant la justice civile, familiale, sociale de proximité – qui « poursuivent leur redressement pour réduire les stocks et délais de jugement ». Le président a également voulu mettre en avant les nouveautés du tribunal, comme la mise en place de l’intermédiation des paiements des pensions alimentaires. Depuis fin novembre, l’application « mon suivi de justice » permet d’obtenir des informations sur ses rendez-vous, explique la peine prononcée et quelles sont les attentes des juges. L’effet est jugé positif puisque le nombre de présents aux convocations du juge d’application des peines a augmenté de 10 % depuis la mise en service de l’application. De même, l’aide juridictionnelle a évolué vers le numérique : la dématérialisation intégrale est devenue effective cette année. En passant par France Connect, les délais sont maintenant réduits à cinq jours maximum.

À la suite des dernières annonces du garde des Sceaux, notamment en ce qui concerne la « politique de l’amiable », le président a répondu que « le temps n’est plus à la parole, il est aux actes ! ».« Cette année 2023 devra se traduire par un engagement de tous dans cette voie, pour permettre aux justiciables de se réapproprier son procès, d’en définir les étapes et le calendrier. Il s’agit d’un nouvel office du juge qui s’appuie sur les avocats qui travaillent ensemble dans le même sens. Il s’agit pour les avocats d’un autre exercice professionnel où l’on ne subit pas la procédure, les calendriers, mais où l’on participe à la construction de la solution avant de la soumettre au juge […] à charge pour lui, dans un sens retrouvé de sa mission de trancher à différentes étapes des discussions entre les parties des points complexes ou ce qui demeure des sources de blocage ». Pour Bertrand Menay, le contentieux et l’amiable sont complémentaires. Il invite ainsi le Barreau de Versailles à engager une discussion sur cette question, « avant publication d’un texte incitatif ». « Le plus dur c’est de s’y mettre », conclut-il avant de clôturer l’année judiciaire 2022 et d’ouvrir celle de 2023.

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