L’œil du crime, par Gilles Leclair
Octobre 2024, les éditions Michel Lafon publient l’ouvrage L’œil du crime – 24 affaires criminelles dans le viseur d’un super flic, de Gilles Leclair, un ancien chef de la brigade criminelle de la PJ de Versailles. Dans cet ouvrage, retraçant dix ans de carrière, l’auteur nous fait le récit, sous forme de polar, de vingt-quatre affaires des années 1970 et 1980. On y découvre ou on redécouvre des histoires d’assassinats, d’enlèvements ou encore du meurtrier en série Michel Fourniret.
Michel Lafon
Dans les premières pages de L’œil du crime, Gilles Leclair explique qu’il n’avait pas « vocation à devenir commissaire de police ». Mais plus il avançait dans ses études de droit, plus il prenait conscience qu’il ne pouvait poursuivre une carrière universitaire, qui s’inscrit dans un monde qu’il qualifie de « peu réaliste, abstrait et théorique ». « J’avais besoin d’action, de contacts humains et d’une vie fondée sur le collectif, écrit-il. Mon ami de fac, Philippe Defins, toujours de bon conseil, me dit un soir : « Je te verrais bien commissaire de police. » Et c’est ainsi que je me suis présenté au concours de commissaire sans connaître la différence entre un flic et un gendarme, et que je me suis retrouvé, en 1978, adjoint au groupe criminel du service régional de police judiciaire de Versailles. » S’il choisit Versailles comme centre de formation, « c’est par commodité ». Vivant chez ses parents à Dreux, en Eure-et-Loir, il lui était facile de se rendre sur place. Et c’est ainsi qu’il arrive en 1977, devant l’hôtel de Noailles, pour ses premiers jours de stage pratique de commissaire de police.
« Rendre hommage »
Lorsque Gilles Leclair décide de prendre la plume, il fait le choix d’écrire sur ce qu’il connaît le mieux, sa vie professionnelle. Il a tout naturellement commencé par le début, c’est-à-dire ses dix années passées au Service régional de police judiciaire (SRPJ) de Versailles. « Je me suis lancé sur la narration d’affaires criminelles sélectionnées, nous dit-il. Je voulais mettre le focus sur ce service qui m’a donné les bases professionnelles qui ont favorisé le déroulement de ma carrière. C’est aussi une histoire humaine car la PJ de Versailles est une seconde famille, c’est ma maison. Je lui dois beaucoup. Quand on travaille en équipe, à longueur de journée, y compris durant les jours fériés et les vacances – des périodes souvent perturbées –, ça crée des liens. Je voulais leur rendre hommage. » De formation littéraire, avec un bac philo, Gilles Leclair a obtenu une licence en droit, puis un doctorat. Lui qui a toujours aimé écrire, il a le sentiment, grâce à ce livre, de pouvoir « récompenser » les efforts de l’ensemble des inspecteurs de l’époque. « Sans jalousie ni condescendance à l’égard du 36 [quai des orfèvres, NDLR], j’ai voulu montrer, à travers ce récit, que la première brigade mobile, moins médiatisée que la préfecture de police de Paris, est tout autant composée de policiers chevronnés, professionnels et engagés », écrit-il dans le prologue.
« La grande aventure de ma carrière »
Pour Gilles Leclair, cette première étape l’a formé non seulement en matière de procédure, mais aussi de management. Des compétences qui lui ont servi tout au long de son parcours. « C’est la grande aventure de ma carrière, avec dix années pleines. » À travers les histoires qu’il raconte, on perçoit les différences entre hier et aujourd’hui. À l’époque, pas de brigade des stups ni d’antiterrorisme. Ces spécialités ont été créées à la suite d’une évolution de la criminalité. Au moment où Gilles Leclair débute, c’était plutôt « l’époque des braqueurs, qui « tapaient » dans toute la région parisienne. On avait entre 600 et 800 braquages par an ! Je me souviens de types de la banlieue sud, qui d’habitude s’attaquaient aux fourgons de banques, et qui s’appelaient le dimanche pour braquer un cinéma. C’était invraisemblable. » Selon Gilles Leclair, « cette période du grand banditisme – braquages de banques, fourgons, proxénétismes – est révolue, avec un basculement sur les stups. Il y a une date qui peut paraître anodine, c’est celle de la première overdose recensée en France, en 1969. C’est une date charnière car le phénomène s’est alors développé très rapidement. À la Crim’ en 78, on avait entre 20 et 30 overdoses par an sur notre territoire… »
Méthode et esprit d’équipe
Dans les années 1970, peu de choses distinguent les méthodes de la police judiciaire de celles des années 1920. Il écrit : « Ce n’est que plus tard, dans les années 1990, que de nouveaux outils ont révolutionné la pratique de la police judiciaire. Je citerai les principaux : les empreintes génétiques (ADN) et le Fichier national des empreintes génétiques s’y rapportant (FNAEG), le Fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), la localisation géographique des téléphones portables, l’étude du contenu des ordinateurs, des téléphones et des smartphones des victimes et des mis en cause, l’étude des enregistrements de vidéosurveillance, en tout lieu, et les images y afférant, le décryptage de tous les objets ou outils numériques utilisés dans notre vie courante (GPS dans les véhicules, balances domestiques, réfrigérateurs, aspirateurs, téléviseurs connectés…), la mise en place d’outils informatisés pour les rapprochements dans les enquêtes (SALVAC, système d’analyse des liens de la violence associée aux crimes). » Il cite un autre exemple, celui des opérateurs en poste dans les centres d’information régionaux (CIR) qui « constituaient des fiches composées de trous correspondant à un code, genre de Morse sur papier. Lorsque l’aiguille traversait les trous de plusieurs fiches que l’on superposait de manière verticale, il était supposé que les affaires puissent être liées, parce que les modes opératoires ou les moyens utilisés par les auteurs d’un crime et d’un délit étaient suffisamment ressemblants ou proches. » Aujourd’hui, dit-il, « on démarre tout de suite avec les rubalises et les enquêteurs attendent que la police scientifique fasse son travail. À l’époque, on protégeait moins bien les scènes de crime. Combien de fois n’a-t-on pas « viré » les pompiers qui saccageaient tout, lors de leur intervention ? C’est une période qui m’a beaucoup marqué et c’est passionnant. »
Avec des enquêtes essentiellement fondées sur « l’humain », le plus important, insiste-t-il, « est de mettre en place une bonne coordination entre les groupes ». « L’homicide volontaire est l’infraction la plus dramatique. Il faut être précis, avoir de la méthode et l’esprit d’équipe ; ce n’est pas donné à tout le monde. J’étais un jeune commissaire de 24 ans avec des vieux de la vieille qui avaient connu la guerre d’Algérie. On m’a adopté assez vite mais il fallait montrer qu’on était le patron. Des commissaires m’ont beaucoup aidé aussi. La police est un corps hiérarchisé et il est nécessaire que quelqu’un soit chargé de la coordination, comme un chef d’orchestre ; il est également important que, sous l’égide de leur chef, les enquêteurs s’intéressent également aux enquêtes diligentées par leurs collègues. C’est ce que j’ai essayé de transposer quand j’étais numéro 2 à la PJ. On avait de bons résultats parce que les « types » n’étaient pas enfermés dans leur secteur. Je considère que c’est la bonne formule. »
De son expérience, il tire quelques enseignements. « Quand on est dans la police, en tout cas en PJ, il faut un dévouement absolu, oublier les lois des 35 heures, privilégier le collectif et savoir que le chef n’a pas toujours raison. Il doit pratiquer l’humilité et protéger ses troupes. L’humain étant, à mon avis, le même partout, le chef ne doit pas oublier qu’il a des collaborateurs, qu’il doit savoir féliciter, voire promouvoir mais aussi sanctionner, lorsque c’est nécessaire. Il doit être juste. »
« Le fruit du hasard »
Après dix années à Versailles, Gilles Leclair est muté en Corse. « Je suis parti parce qu’on m’a poussé vers la sortie, raconte-t-il. À cette époque, on ne postulait pas, on était à la merci des chefs. Après un an et quelques mois passés à Ajaccio, le ministre de l’Intérieur m’a fait savoir que je devais « nettoyer les casinos ». J’ai alors quitté la Corse et rejoint le service des « courses et jeux ». C’était notamment le début des enquêtes pour blanchiment d’argent, sans loi spécifique puisque la loi sur le blanchiment a été votée alors que j’étais encore en poste. »
Gilles Leclair s’y sent bien et « s’éclate » pendant quatre ans, jusqu’à un changement de politique. « La police a été conduite à mettre un frein sur les enquêtes dans ce domaine. Un de mes anciens grands directeurs m’a alors fait nommer aux Stups, ce qui ne m’a pas dérangé puisque le périmètre de notre action dans les cercles et les casinos s’était considérablement réduit. »
Le reste de sa carrière s’est poursuivi dans des postes, qui apparaissent, la plupart du temps, comme le « fruit du hasard » : « Le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, m’a envoyé à Europol parce qu’il fallait un Français qui parle anglais dans l’équipe de direction. » Gilles Leclair, après d’autres postes dans la police nationale et dans le corps préfectoral, occupe finalement le poste de directeur de la sûreté du groupe Air France de 2014 à 2020. « J’ai pris ma retraite pendant la période du Covid avec l’intention d’écrire. C’est ainsi que j’ai déjà publié deux ouvrages et qu’un troisième est en cours de rédaction ».
Référence : AJU016y5
