L’UJA fête ses 100 ans de combat avec une revue exceptionnelle
Le 19 et le 20 avril prochain, l’Union des jeunes avocats (UJA) de Paris organise une revue spéciale pour les 100 ans de sa création. L’occasion de revenir sur l’engagement des troupiers et troupières, jeunes avocats ou juristes chevronnés, tous et toutes réunis par l’amour du spectacle… et des combats sociaux pour la profession.
DR
« C’était pas mal, là, les filles ! » Dans la salle de répétition du studio Luna Rossa, près de Bibliothèque dans le XIIIe arrondissement, Marie-Laetitia Chaussy, avocate en droit de l’immobilier et directrice de la revue, se félicite de la prestation de ses consœurs en train de fredonner une reprise de la comédie musicale Grease, à la sauce « revue » de l’UJA. Le rythme était bon, les paroles maîtrisées et les voix claires. Ce dimanche matin, l’ambiance est joyeuse, mais consciencieuse aussi, malgré la nuit trop courte des apprentis artistes : dans moins de deux semaines, la trentaine d’avocats engagée au sein de la revue de l’UJA passera sur scène pour présenter une édition spéciale à l’occasion des 100 ans de l’organisation (la revue de Paris a, elle, plus de 60 ans, NDLR). « Je voulais une revue intergénérationnelle, explique la présidente de l’UJA, Anne-Laure Casado. Si l’alchimie prend malgré des générations différentes, alors le pari est gagné ».
En cette matinée, on pressent déjà que le pari est gagné. Les troupiers, en tenue casual, se prennent au sérieux mais en même temps s’amusent des reprises détournées de leur répertoire. Au programme, le grand écart entre des artistes comme Maurice Chevalier, Francis Lalanne ou Barbara. Les « Confessions nocturnes » de Vitaa deviennent « Audiences nocturnes », « Wrecking ball » de Miley Cyrus se transforme en « 5 000 balles », en rappelant le minimum tarifaire d’un collaborateur pour les cabinets parisiens, combat porté par l’UJA. Des sketchs abordent, sans limites, des sujets aussi divers que le craquage des juges ou des pénalistes, la question des honoraires (et parfois, des abus dans ce domaine) ou le fameux dîner en ville où chacun a une question juridique à poser à son ami avocat. Côté troupiers, le choix transgénérationnel plaît à Marie-Laetitia Chaussy, adepte de la danse classique dans sa jeunesse, en charge de l’administratif et des chansons, accompagnée d’Estelle Dubois et de Charles Ohlgusser à la direction des sketchs. Le point commun de tous ces avocats et avocates ? Un amour de la scène. « Pour moi, c’est comme une vraie passion », confie d’ailleurs en riant Marie-Laetitia Chaussy. Ce matin, elle est venue avec son fils, guitariste, qui participe au spectacle. Et ce goût de la scène ne semble pas étranger au fidèle engagement de l’avocate au sein de la revue.
L’amour de la scène
« Pour certains, la prise de parole est dure et cet exercice de la scène permet de leur donner une confiance en eux », concède Marie-Laetitia Chaussy. Pour d’autres, le plaisir est immédiat et manifeste. « Bien sûr, les avocats sont des professionnels de la parole et de l’art oratoire. Il y a des liens entre leur métier et le spectacle. Ils ont des facilités, précise Benoît Celotto, ancien avocat pendant 15 ans et passé par les cours Florent, co-metteur en scène de la revue. Mais défendre quelqu’un est une chose, divertir en est une autre » !
Et d’ailleurs, confesse Yves Levêque, directeur musical de la revue pendant 26 ans, musicien, compositeur, arrangeur, tout juste primé à l’international pour un concerto classique (Word Classical Music Awards et au World Grand Prix Music Contest), il existe de « vraies pépites ». Force est de constater que plusieurs avocats et avocates ont raccroché la robe pour devenir comédiens. C’est le cas de Caroline Vigneaux mais aussi de Sandrine Sarroche. « Une vraie génération d’artistes », estime Benoît Celotto. Lui aussi a été membre de la revue, mais ses activités artistiques furent rapidement incompatibles avec le métier d’avocat. « J’avais plus de plaisir sur scène, l’évidence s’est imposée ».
D’autres parmi les troupiers font aussi la navette entre profession d’avocat et les arts. Pour Carine Chassol, la scène est devenue plus qu’une passion. Elle qui a toujours baigné dans la musique – un groupe de rock au lycée, un père dans un orchestre, un frère compositeur – en a fait son métier. « J’ai découvert la revue le jour où j’ai prêté serment. Je suis arrivée à un événement organisé à cette occasion, qui s’est avéré être un cocktail. Mais à 24 ans moi, je n’avais qu’une envie : répéter ! », se souvient-elle, amusée. Elle intègre la revue et sera la première avocate à proposer du chant lyrique avec une reprise acérée de Carmen – où elle dénonce l’alliance entre RPR et Front national en 1998. Quand elle devient associée dans un gros cabinet anglo-saxon, elle ne compte pas ses heures. La revue devient sa bouffée d’oxygène. « Cela donnait de l’espoir aussi, je pouvais montrer que même en travaillant beaucoup, on pouvait s’adonner à sa passion ». Mais après 20 ans de barreau, Carine Chassol décide de tirer sa référence, et de se tourner vers le spectacle. Elle monte une pièce sur Offenbach, joué à Avignon en 2019 et prévu à Paris l’année suivante, mais déprogrammé pour cause de crise sanitaire. Elle qui ne pensait rien réussir à faire de ses compétences ultra-spécialisées en finance réalise qu’elle a gardé de ses deux décennies d’exercice « la rigueur, le sens de la coordination, l’absence de peur quand les choses semblent compliquées et la gestion humaine ».
Laëtitia Marchand, spécialiste du droit pénal, ne dit pas autre chose, quand elle s’octroie une rapide pause, entre deux morceaux et un rapport à corriger sur son ordinateur. Pour l’ancienne présidente de l’UJA, forte d’une formation en musique et en chant, rejoindre la troupe a été l’occasion de renouer avec une passion enfouie. « Quand on voit le spectacle de l’UJA, ça donne trop envie d’être sur scène ! », lâche-t-elle, enthousiaste. En 2014, elle a donc intégré la revue et ne l’a plus quittée. Ce qu’elle aime par-dessus tout ? « L’esprit de troupe et l’expérience collective. Cela pousse à faire du mieux qu’on peut afin de présenter le plus beau spectacle possible ». Et si elle continue et apprécie cette activité, c’est que cela lui procure une grande joie et un plaisir véritable. Ce plaisir, Estelle Dubois, qui supervise les sketchs, le ressent aussi. Elle a découvert la revue par le biais du cabinet où elle était stagiaire. Si elle tient autant à cette organisation, c’est que « le métier s’est durci. Il y a de moins en moins de temps pour des activités annexes ou la sociabilité, la pression est énorme. Alors ceux qui continuent à faire de la scène sont un peu des « résistants »», estime-t-elle. L’un de ses moteurs est la réaction du public. « Quand nous réussissons à faire rire, il y a l’idée d’un cadeau. Alors que la profession est soumise à des tensions fortes, c’est très valorisant ». À quelques mètres d’elle, une voix perce. « On file Grease avec les sketchs et toute la chorégraphie ! On fait tout même si ce n’est pas parfait », lance Marie-Laetitia Chaussy. La pause est finie. Les musiciens sont en place et les troupiers s’installent pour entamer un nouveau morceau.
L’humour pour faire passer des messages
« Mais cette revue est aussi l’occasion d’exposer les combats de l’UJA à vocation syndicale », rappelle Laëtitia Marchand. 100 ans, ce n’est pas rien ! Pour Anne-Laure Casado, présidente actuelle de l’UJA, avocate depuis 2011, l’essentiel était de concocter le meilleur programme possible. « Comme ce sont des reprises, il nous fallait revoir les archives des revues. Les directrices et directeurs de la revue ont repris des cassettes VHS jusque dans les années 90 ! », s’amuse-t-elle. Les sketchs et les chansons ont été re-sélectionnés mais aussi, parfois dépoussiérés afin de coller à l’actualité et aux engagements de l’UJA. Anne-Laure Casado rappelle ainsi l’inscription historique de son organisation. « Après la Première Guerre mondiale, un certain nombre d’avocats sont rentrés du front en ayant tout perdu et ont connu la précarité. C’est à ce moment-là que l’on a perçu la différence de situation entre les avocats issus de familles aisées et les autres. C’est ce qui a motivé des avocats et quelques avocates à se fédérer pour faire bouger les lignes, à faire évoluer leur statut en vue d’une meilleure autonomie financière. l’UJA est par exemple à l’origine du minimum de rétrocession d’honoraires pour les collaborateurs. Jusqu’à ce jour, les valeurs d’entraide et de solidarité restent ancrées à l’UJA, alliées à une vision moderne de la profession, qui se projette dans l’avenir ». Les sujets de préoccupation actuels sont nombreux : inflation du coût de la vie, conséquences de la crise du Covid (rattrapage de toutes les cotisations et remboursement des PGE…) ou lutte contre les discriminations ou les inégalités de genre.
Mais faire de la scène permet aussi de prendre de la distance avec ses propres pratiques ou ces petits travers du quotidien. Dans « Maudits avocats » (reprise de « Maudits Français » de Linda Lemay), on rit des paroles raillant les personnalités parfois démesurées des avocats. « Même quand leurs structures sont petites/ ils ont toujours d’immenses bureaux/ ce n’est qu’un petit truc technique pour y faire tenir leur ego ».
« En général, on adore se voir mis en scène », assène Carine Chassol, même si le ton est parfois cynique, ironique, voire grinçant. Un peu d’autodérision ne fait jamais de mal… Anne-Laure Casado reconnaît aussi que « cette revue est une façon subtile de faire passer des messages ou de critiquer les actions de notre bâtonnier ou du garde des Sceaux, d’interpeller nos responsables ou les pouvoirs publics ».
Des amateurs « plus plus »
Côté scène, la collaboration avec des musiciens professionnels permet un résultat très qualitatif. Yves Levêque connaît bien l’exercice. « Faire cela m’a toujours plu, je suis attaché à l’UJA. Ensemble, nous avons fait les 3/4 des plus grands théâtres de Paris ». Car ces avocats « dont certains ont quinze ans de scène sont des amateurs « plus plus » », résume le metteur en scène Benoît Celotto.
Leur secret ? « Ils font preuve d’une motivation extraordinaire. Travailler avec des non-professionnels est très intéressant car ils essaient de se surpasser. Il y a une énergie naturelle », analyse Yves Levêque. Le directeur musical, Jean-Luc Chapelon, aime aussi particulièrement « la réactivité et la mémoire des troupiers, leur esprit d’équipe. Cette énergie est belle. Quand on dit « amateur », souvent c’est péjoratif. Mais étymologiquement, cela veut dire « aimer »». Et les troupiers sont aimés, le public acquis à leur cause. « Parfois au début, ils se sentent petits. Mais à la fin, ils se sentent grands, et le résultat est formidable », conclut Yves Levêque.
Référence : AJU008m7